Riche nouvelle pour Noémie Merlant : alors qu’elle incarnait Emmanuelle dans le film d’Audrey Diwan sorti cet automne et qu’elle écrit actuellement un péplum queer punk, « Les femmes au balcon », son deuxième long métrage derrière la caméra. Rencontre.
(Commentaires recueillis et mis en forme par Marine Guillain)
Révélé dans “Portrait d’une fille en feu” par Céline Sciamma, Noémie Merlant a depuis parcouru un chemin admirable, tant personnel que professionnel. C’est dans un hôtel de Genève qu’on la retrouve, au lendemain de la projection de « Femmes au balcon » dans le cadre du festival GIFF. Cette ode à la sororité et à la liberté, aussi caustique que sanglante, raconte les aventures de trois amis qui se retrouvent avec un cadavre sur les bras dans un appartement marseillais en pleine canicule… Doux, calme, lumineux, Noémie Merlant s’est exprimée avec précision, répondant à nos questions avec autant d’intelligence que d’authenticité.
Cineman : Quelle est la genèse de ce deuxième long-métrage sorti deux ans après « Mi iubita, mon amour » ?
Noémie Merlant : L’idée est venue de quelque chose de réel : je me suis enfuie de ma vie à un moment donné où plus rien n’allait, ni ma relation ni rien. J’ai ressenti une oppression totale à tous les niveaux. Je me suis réfugié chez mes amis exactement comme dans le film. Il s’agissait de Sanda Codreanuqui joue avec moi et Souheila Yacoubet ses sœurs. J’ai vécu longtemps avec eux et c’était la première fois que je ressentais cette sensation si particulière de libération et de libération totale. J’avais envie de retranscrire ce sentiment.
C’était quelle époque ?
NM : C’était pendant le confinement, j’étais à Paris, mais j’écrivais en pensant à Marseille, je suis tombé amoureux de cette ville à la fois chaleureuse et brisée de partout, et c’est pour ça que le film se déroule là-bas. À ce moment-là, ma vision changeait, s’ouvrait, ce qui me donnait envie de tout laisser derrière moi. J’ai pris conscience de beaucoup de choses et ma seule façon de pouvoir déconstruire et réapprendre à faire mes choix, à m’écouter et à me comprendre, était d’être déconnectée de tout et uniquement connectée à moi-même.
Cette prise de conscience et ce besoin de déconstruction, pouvez-vous expliquer comment elle est née ?
NM : C’est venu petit à petit et c’était lié à différents facteurs qui se sont produits très proches les uns des autres : ma rencontre avec Céline Sciamma, le tournage de « Portrait d’une jeune fille en feu », #Metoo, des femmes qui ont osé parler davantage. et plus encore et moi qui ai commencé la psychanalyse et qui me suis intéressée au féminisme.
« Femmes au balcon », au cinéma le 11 décembre
© 2024 Films frénétiques
Pour vous, y a-t-il un avant et un après « Portrait d’une jeune fille en feu » ?
NM : Ah oui, à tous les niveaux ! Celui de ma carrière, car avant on ne savait pas qui j’étais et j’ai eu beaucoup plus d’opportunités depuis. Puis cela a changé mon rapport à la société, à l’art, ma vision de femme, ma vision de tout ! Ce film m’a libéré.
Vous souvenez-vous de votre toute première rencontre avec Céline Sciamma ?
NM : C’était au casting, elle m’a donné les répliques, elle était super sympa. Puis il y a eu le tournage et nous ne nous sommes plus quittés.
Et elle a collaboré avec vous à l’écriture de « Femmes au balcon »…
NM : On a toujours beaucoup parlé du monde, du travail, de notre vie personnelle… Quand elle m’a demandé si elle pouvait lire le scénario que j’écrivais, ça m’a un peu stressé, j’avais honte, j’avais des doutes aussi, ne pas pouvoir pour la réaliser, ces idées nouvelles prenaient peut-être trop de risques. Céline m’a proposé de m’aider dans une relation très fraternelle, elle ne voulait pas s’en mêler, mais m’aider à m’affirmer et c’était très beau. Ce n’est pas du tout son genre de film, mais elle a beaucoup d’humour dans la vie donc c’était une collaboration très agréable.
Le choix du ton, qui mêle fantastique, humour et gore, a-t-il été fait dès le départ ?
NM : Oui. Moi qui ai tendance à toujours vouloir trop plaire, sourire et ne pas faire de vagues, je trouve que dans ce mélange des genres il y a une liberté absolue, on a droit au mauvais goût, on peut aller trop loin. Le gore et le fantastique sont de la fiction bien sûr, mais le reste est bien réel. J’ai aussi été agressée par un photographe quand j’avais 17 ans. Consciemment ou inconsciemment, j’ai mis dans le film toutes les scènes de violence répétées et vécues par moi, mais aussi par ma mère, mes cousins, mes proches… Bien sûr, il y a un effet cathartique. côté gore, je peux faire ressortir toute la violence reçue.
En l’associant à l’humour…
NM : Oui, car c’est l’arme absolue de la liberté. Je n’aime pas la violence, alors je veux la rendre caricaturale pour que vous n’y croyiez pas complètement. Ça fait du bien de se moquer de sujets sérieux, de prendre de la distance. Ce qui m’importe, c’est de faire du bien aux personnes qui en ont besoin, d’ouvrir un dialogue qui rassemble et qui nous fait avancer. L’humour était ma seule solution pour parler de choses traumatisantes. Je me défoule, je l’avoue !
« Femmes au balcon », au cinéma le 11 décembre
© 2024 Films frénétiques
Comment est né le choix du titre « Femmes au balcon » ?
NM : Donc en fait, c’est venu tout de suite, avant même que je commence à écrire ! Avec mes amis, nous passions notre - sur le balcon, il y avait un côté cocon, qui créait un pont entre l’intimité de l’appartement et l’extérieur, qui semblait hostile à ce moment-là, car l’espace public appartient moins aux femmes. « Femmes au balcon » est une manière de dire : des femmes ensemble, en sécurité, chez elles, mais qui en même - rêvent d’un autre monde extérieur. Ensuite c’est un jeu de mots avec l’expression « Il y a du monde sur le balcon » : le sein féminin est apparemment un sujet de discussion assez intense, je ne vois pas pourquoi, alors je commence le film avec le personnage de Ruby torse nu sur le balcon, comme les hommes d’en face. C’est une façon de dire “Voilà, vous avez vu ses seins, vous allez les voir tout au long du film et on passe à autre chose, c’est tout”.
Comme pour « Mi iubita, mon amour », vous réalisez ET jouez dans « Femmes au balcon » : n’est-ce pas trop intense de faire les deux ?
NM : Cela laisse moins de - puisqu’il faut jongler entre les deux positions. Par contre, en tant qu’actrice, j’ai un accès direct au cerveau de la réalisatrice, je n’ai pas besoin de me creuser la tête pour comprendre sa vision, c’est pratique (rires) ! Je sais ce que je veux et j’y vais droit au but. Mais je ne jouerai pas dans mon prochain film.
Parlez-vous de l’adaptation du livre Sporus, de Cristina Rodriguez, que vous avez qualifié de « péplum queer et punk » ?
NM : (elle rit) Oui ! Je ne sais pas si je trouverai l’argent, car un péplum coûte très cher, mais je ferai tout pour y parvenir ! C’est une histoire vraie. Sporus était un eunuque esclave marié à l’empereur Néron dans la Rome antique. L’histoire aborde les relations de pouvoir et les questions de genre, ce qui fait de nous des hommes, des femmes ou ni l’un ni l’autre.
Que signifiait pour vous jouer l’Emmanuelle de 2024 ?
NM : J’adore Audrey Diwan et ce qu’elle fait. J’étais très intéressée par parler d’érotisme, de plaisir féminin et surtout d’absence de plaisir féminin. Il me semblait essentiel d’en parler et de me reconnecter à mon propre corps, alors j’y suis allé les yeux fermés.
Emmanuelle, Elise dans “Femmes au balcon”, mais aussi Clémence dans “Innocent”, Francesca dans “Tár”, Jeanne dans “Mi iubita”, Nora dans “Les Olympiades”, Benjamin dans “Un homme bon” : on voit un lien entre tous ces personnages que vous avez incarnés ?
NM : Il s’agit pour la plupart de personnes qui ne correspondent souvent pas aux attentes de la société et qui tentent d’écouter leur désir et de l’affirmer, de vivre leur différence.
« Femmes au balcon » est disponible en salles à partir du 11 décembre.