Lorsque Zainab Ferozi a vu les femmes autour d’elle tomber dans la pauvreté après le retour du régime taliban, elle a rassemblé ses économies et a créé une usine de tapis. Comme elle, de nombreuses femmes afghanes créent leur propre entreprise pour répondre à leurs besoins et à ceux de leurs salariés.
Huit mois après la chute de Kaboul, Mme Ferozi a investi 20 000 afghanis, soit environ 275 euros, récoltés grâce à des cours de tissage, pour ouvrir son atelier à Herat, dans l’ouest.
Aujourd’hui, dit-elle fièrement à l’AFP, elle “prend en charge toutes les dépenses du ménage” car son mari, journalier, a du mal à travailler.
Ses quinze tisserandes sont d’anciens ouvriers ayant perdu leur emploi ou des étudiants concernés par l’interdiction d’étudier pour les filles de plus de 12 ans. Sous cet « apartheid de genre », selon l’ONU, le taux d’emploi des femmes dans la fonction publique est tombé de 26 % « à zéro ».
Touba Zahid, 28 ans et mère d’un enfant, a elle aussi dû se remettre après avoir été bannie de la faculté de lettres. Au sous-sol de la maison il prépare confitures et condiments.
– Boom à la Chambre de Commerce –
“Je suis entrée dans le monde des affaires pour créer des emplois et pour que les femmes aient un salaire”, raconte à l’AFP cette petite Afghane, souriante parmi ses employés en blouse blanche.
Ensemble, ils présentent les pots de confiture de figues et autres légumes marinés qui seront vendus sur place car les femmes sont de moins en moins autorisées à circuler en public.
Si certains tiennent des étals, les marchés sont dominés par les hommes et “il n’y a pas de vendeurs pour vendre ou promouvoir leurs produits”, déplore Fariba Noori, directrice de la Chambre de commerce des femmes (AWCCI) à Kaboul.
Les femmes ont également du mal à s’approvisionner car elles ne peuvent plus effectuer de longs voyages sans un compagnon masculin de leur famille, un “mahram”, un défi dans un pays où quatre décennies de guerre ont laissé de nombreuses veuves et orphelins.
Trouver « un mahram pour acheter leurs matières premières » est un défi, assure Mme Noori.
Malgré tout, l’AWCCI voit son nombre d’adhérents exploser : 10 000 aujourd’hui, notamment des PME, par rapport aux « 600 grandes entreprises » de 2021, rapportent ceux qui ont rejoint le patronat il y a 12 ans.
– « Sans comparaison » –
Khadija Mohammadi a lancé sa marque de tapis et de couture « Khadija » il y a deux ans. Professeur au chômage en raison des nouvelles lois talibanes, il emploie désormais plus de 200 femmes.
“Je suis fière à chaque fois qu’une femme aide une autre à devenir indépendante”, confie cette Afghane bien habillée qui dit payer ses employés entre 5 000 et 13 000 afghanis, soit entre 70 et 180 euros par mois.
L’un d’eux, Qamar Qasimi, travaillait encore l’année dernière dans un salon de beauté aujourd’hui fermé.
Aujourd’hui, cette mère de famille de 24 ans avoue tisser des tapis pour 5 000 Afghans car elle n’a « pas d’autre choix » pour subvenir aux besoins des huit membres de sa famille.
« En tant qu’esthéticienne, je pouvais gagner entre 3 000 et 7 000 afghanis en maquillant et coiffant une seule mariée. Il n’y a pas de comparaison », dit-elle parmi les femmes occupées.
Il n’y a pas que les salons de beauté qui ont fermé. La plupart des espaces où les femmes pouvaient se rencontrer ont suivi.
Pour tenter de leur offrir un espace de détente malgré tout, Zohra Gonish, 20 ans, a ouvert un restaurant réservé aux femmes au Badakhshan, au nord-est à la frontière avec la Chine.
– « Troubles psychologiques » –
« Les femmes peuvent venir pour des événements ou pour manger. Tous nos collaborateurs sont des femmes, donc nos clients se sentent à l’aise », explique-t-elle.
Si elle parle fièrement de son projet, Zohra Gonish a dû se battre en 2022 pour l’imposer dans un pays où la part des femmes dans le monde du travail est dix fois inférieure à la moyenne mondiale.
Elle a insisté pendant une semaine auprès de son père qui a fini par céder lorsqu’elle a expliqué qu’elle voulait “être indépendante financièrement mais aussi l’aider”, alors qu’un tiers des 45 millions d’habitants d’Afghanistan survivent de pain et de thé.
C’est aussi pour aider ses parents que Soumaya Ahmadi a rejoint l’usine de tapis de Mme Ferozi alors qu’il n’avait que 15 ans.
Privée d’école et « déprimée », elle voulait à tout prix quitter la maison.
« À la maison, j’étais en colère. Maintenant, nous travaillons et cela nous fait du bien, nos problèmes psychologiques ont disparu », déclare-t-il.
Avec son salaire, il veut s’assurer que ses deux frères ne soient pas privés d’éducation.
« Comme les écoles sont fermées aux filles, je travaille à leur place », explique Soumaya Ahmadi.
« Je leur dis d’étudier pour pouvoir faire quelque chose de leur vie. »
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