Taylor Sheridan, une créatrice de séries qui parle aux trumpistes

Taylor Sheridan, une créatrice de séries qui parle aux trumpistes
Taylor Sheridan, une créatrice de séries qui parle aux trumpistes

Grands espaces et vies simples, hommes grincheux et femmes sexy… les productions du scénariste texan reflètent les archétypes et les valeurs traditionnelles de la « vraie » Amérique. Et battre des records d’audience.

Photo James Minchin/Paramount+

Di Anaïs Bordages

Publié le 18 novembre 2024 à 20h00

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Une blâme pas l’inefficacité du gouvernement fédéral, la rhétorique sexiste et anti-verte et une bonne dose de vulgarité – « Vendre des éoliennes est plus facile que vendre des chattes dans une prison pour hommes »… Nous ne sommes pas à un rassemblement de Donald Trump, mais dans le premier épisode de la série Landman, Dernière création de Taylor Sheridan, sur la procrastination des salariés d’une compagnie pétrolière.

En quelques années seulement, le scénariste texan a bâti un empire télévisuel : Pierre jaune, 18831923, maire de Kingstown, Tulsa King, Opérations spéciales : Lionne… Ses séries racontent l’histoire de la « vraie » Amérique, celle des petites villes où l’on boit de la bière et des jus de fruits plutôt que des smoothies et des lattés. Et ils déclinent toujours les mêmes valeurs, privilégiées par la droite américaine : l’antitaxisme, la défense du territoire contre une menace extérieure ou l’autonomie politique. Alors que Donald Trump revient à la Maison Blanche, le succès de la série de Sheridan est très révélateur.

Yellowstone, La première série scénarisée de Paramount a été commandée en 2017, quelques mois seulement après le début de la première présidence du milliardaire. Son extraordinaire succès dans les États ruraux en a fait la série la plus regardée du pays. Le créateur se rend vite compte qu’il ne doit pas s’aliéner les trumpistes. Alors qu’en 2017 il critiquait publiquement le président (« Pouvons-nous destituer ce salaud ? »), en 2022, lorsqu’un journaliste de L’Atlantique Lorsqu’on lui a demandé, Sheridan dit qu’il ne se souvient plus de cette déclaration. Joshua Sperling, professeur à l’Université d’Oberlin, le décrit j’aime la série « l’œuvre emblématique de l’ère Trump ». Les créations de Sheridan “Rassurez le public conservateur en lui disant qu’il existe encore des divertissements qui comprennent leur point de vue.”

Choisissez n’importe laquelle de ses productions et vous retrouverez le même archétype masculin : un homme bourru mais brillant qui ne communique que par aphorismes (Kevin Costner dans Yellowstone, Harrison Ford à l’intérieur 1923Billy Bob Thornton Landman). Souvent cyniques, ces personnages maudissent le wokisme et font justice eux-mêmes, nourrissant une méfiance à l’égard des institutions et des élites des grandes villes. Quant à l’uniforme : chapeau de cowboy pour les messieurs, décolleté plongeant pour les dames (qui, quand elles ne sont pas des écervelées heureuses d’être objectivées, sont des femmes fatales plus machos que leurs pairs masculins).

Cependant, le succès de la marque Sheridan ne peut s’expliquer uniquement par des raisons politiques. Ses programmes sont extrêmement bien rythmés et mettent en vedette les stars hollywoodiennes du passé (Kevin Costner, Harrison Ford, Helen Mirren, Nicole Kidman, Sylvester Stallone, Tom Hanks et Demi Moore). En 2020, la popularité de Pierre jaune elle explose aussi dans les grandes villes : alors que le monde entier est confiné, ses grands espaces et ses discours sur le retour à une vie plus simple attirent un large public.

Moderniser le western traditionnel

Mais le plus grand atout de Taylor Sheridan reste son écriture. Dans Pierre jaune Ô Landman, le scénariste modernise le western traditionnel, en intégrant non seulement les nouvelles technologies, mais aussi des problématiques économiques complexes. Comme le souligne Joshua Sperling, plutôt qu’une opposition binaire classique (cowboys versus Indiens), Sheridan intègre un troisième archétype (incarné par Jon Hamm dans Landman) : le capitaliste sans âme de la métropole, prêt à tout pour s’emparer des terrains locaux et les transformer en complexes immobiliers ou industriels.

Ce mélange de force narrative et d’ambiguïté politique, qui fait défaut dans de nombreux programmes contemporains, confère un attrait indéniable aux séries de Sheridan, même pour les libéraux qui les considèrent comme un plaisir coupable. «Taylor Sheridan veut aussi forcer l’opinion progressiste à se remettre en question. Il est conscient de s’adresser à deux publics, tout comme Pixar s’adresse à la fois aux enfants et aux adultes. » explique Joshua Sperling. L’auteur, qui refuse l’étiquette de « série républicaine », brouille habilement les frontières et présente désormais des couples mixtes, lesbiennes, immigrés, féministes… « Ce flou idéologique est une stratégie pour gagner sur deux tableaux. » confirme Joshua Sperling. C’est là toute l’ingéniosité de la série de Sheridan : quel que soit notre camp politique, nous roulons des yeux au moins une fois par épisode, puis nous en redemandons.

Landmansaison 1, série créée par Taylor Sheridan et Christian Wallace (USA, 10 × 50 min, 2024) | Avec Billy Bob Thornton, Ali Larter, Jon Hamm, Demi Moore. Sur Paramount+, deux épisodes puis un chaque dimanche.

 
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