Opéra national du Capitole • Interview with Pierre-Yves Pruvot

Opéra national du Capitole • Interview with Pierre-Yves Pruvot
Opéra national du Capitole • Interview with Pierre-Yves Pruvot

La création mondiale de Voyage d’automne de Bruno Mantovani, donne déjà lieu de toutes parts à des réflexions multiples, enrichissantes et légitimes. Nous avons rencontré le baryton français Pierre-Yves Pruvot, déjà plébiscité sur la scène du Capitole et qui tiendra, à cette occasion, le rôle principal de cet opéra, celui de l’écrivain Marcel Jouhandeau.

Rencontre

Pierre-Yves Pruvot © Olivier Guy

Classictoulouse : Le Capitole vous a invité pour la première fois en 2019 pour la première mondiale de L’Annonce fait à Marie de Marc Bleuse, à l’Auditorium Saint-Pierre-des-Cuisines. Le public toulousain vous a vite retrouvé, en 2020 dans Parsifal (Klingsor), puis en 2022 vous êtes revenu pour La Gioconda (Barnaba) suivi en 2023 pour Tristan et Isolde (Kurwenal). Deux opéras de Wagner… Quel est votre répertoire actuel ?

Pierre-Yves Pruvot : En fait ma liste est très vaste : français, italien, allemand. Je ne suis pas du tout spécialisé dans aucun compositeur ou style. D’autant que je suis une personne très curieuse, souhaitant approcher, voire enregistrer des œuvres confidentielles. J’aime les explorer. Ma voix est celle d’un baryton lyrique qui évolue naturellement vers celle d’un baryton dramatique. A ce titre, j’ai pu aborder les opéras de Wagner et Strauss ces dernières années, tout en interprétant les rôles majeurs de Verdi et Puccini entre autres.

Connaissez-vous les créations mondiales et donc l’opéra contemporain ?

J’ai souvent participé à des créations mondiales. Le premier opéra contemporain que j’ai chanté était Le premier cercle de Gilbert Amy lors de sa première mondiale à l’Opéra de Lyon en 1999 sous la direction de Michel Plasson. J’ai également à mon répertoire toute une gamme d’œuvres contemporaines, pour voix et piano, voix et orchestre ou œuvres lyriques. J’aime me confronter à ces partitions, qui donnent l’opportunité d’aborder d’autres langages musicaux et d’explorer d’autres facettes de sa propre voix, tout en s’affranchissant du « poids » des interprétations précédentes…

Pierre-Yves Pruvot dans le rôle de Barnaba (La Gioconda d’Amilcare Ponchielli) au Théâtre du Capitole en 2021 – Photo : Mirco Magliocca

Quelle a été votre réaction lorsque Christophe Ghristi vous a proposé de rejoindre le casting de cet opéra ?

Très enthousiaste bien sûr, car je ne reçois pas ce genre de proposition tous les jours, et encore plus dans un théâtre qui m’est cher et où les moyens artistiques et techniques permettent de réaliser ce type de projet dans les meilleures conditions. . Je connaissais auparavant le travail de Bruno Mantovani mais je dois avouer que j’étais impatient, tout comme mes collègues de cette production, de recevoir la partition de ce Voyage‘automne.

Avez-vous déjà été informé de ce voyage d’écrivains français en Allemagne du 3e Reich ?

Je n’avais pas les détails en tête mais oui, je connaissais ce voyage. Cela dit, à part Brasillach et Drieu la Rochelle, je ne connaissais pas trop les autres personnages. J’ai donc lu rapidement le livre de François Dufay, Le voyage de‘automne, dont s’inspire étroitement le livret de cet opéra : c’est une œuvre brillante tant par son style que par le patient travail de précision dans le recoupement des différentes sources privées et publiques pour retracer dans ses moindres détails ce parcours de compromis. J’ai également acheté le livre de souvenirs de Gerhard Heller, Un Allemand à Parisce qui permet de s’immerger dans le monde littéraire et artistique du Paris sous l’Occupation, et du point de vue de l’occupant, ce qui permet aussi d’éclairer la situation sous un autre jour. Notre directeur, Marie Lambert-Le Bihannous a également proposé des morceaux de lecture ainsi que des podcasts à écouter pour nous familiariser avec ce voyage et ces protagonistes. Je dois ici exprimer mon admiration à Dorian Astor pour son magnifique livret, conçu en étroite collaboration avec Bruno Mantovani. Il n’est pas facile de faire revivre sur scène des personnages aussi méprisables : ils ont consciemment choisi de collaborer avec le IIIe Reich et à se compromettre, quand certains de leurs collègues juifs allemands durent s’exiler pour survivre, comme Brecht ou Zweig, pour ne citer qu’eux, et ce dernier jusqu’au suicide. Sans compter les autodafés de livres organisés par le Reich, et notamment la liste Otto en . Ils ont choisi de collaborer et de vivre une vie mondaine et tout à fait confortable à Paris, tandis que d’autres ont choisi la Résistance et ont parfois payé le prix fort. Durant cette période, des milliers de femmes et d’hommes – juifs, homosexuels, communistes, etc. – furent déportés, massacrés, lobotomisés. Et ce voyage en Allemagne en 1941 n’est pas anodin : hors de toute réalité, des écrivains français ont traversé une Allemagne de carte postale, dans l’opulence, l’ivresse, la transgression – voire la débauche –, uniquement préoccupés de leur gloire personnelle, drapés dans l’illusion que les nazis avaient mis en scène. pour flatter leur ego…

Pierre-Yves Pruvot © Mirco Magliocca
A gauche, Pierre-Yves Pruvot (Kurwenal) aux côtés de Nikolaï Schukoff (Tristan) au Théâtre du Capitole en 2023 – Photo : Mirco Magliocca

Vous chantez Marcel Jouhandeau, en fait le rôle le plus important de l’œuvre mais aussi le plus dramatiquement exposé : avez-vous fait des recherches personnelles sur cet écrivain décédé en 1979 ?

Bien sûr. J’ai eu son livre, Le voyage secret. Je lis des éléments biographiques pour comprendre le personnage. J’avoue que je n’ai pas eu le courage de lire davantage sa production littéraire. Il faut dire qu’en 1937 il était l’auteur d’un ouvrage intitulé Le péril juif qui, rien que par son titre, donne des frissons dans le dos, ou bien un D’abjection en 1939… Et puis le but de cet opéra n’est pas de faire une reconstitution historique à la manière d’un biopic. En tant qu’artistes, mes collègues et moi devons donner vie à ces anti-héros en montrant différentes facettes. Il faut aussi apporter une part d’imagination. Par ailleurs, le livret, bien que fidèle à l’Histoire, prend tout de même quelques libertés. L’important était de s’approprier nos personnages comme des figures d’opéra, avec toute la dimension parfois poétique et toujours romantique que cela implique. Sans trop en dévoiler, le livret se glisse dans les interstices et les silences du livre de François Dufay. Nous ne sommes pas sur scène pour donner une leçon depuis la chaise sur l’événement mais pour transmettre des émotions et susciter la réflexion. Marcel Jouhandeau fait sur scène des choses qu’il aurait peut-être aimé faire dans la réalité, lui qui était profondément introverti. De même, dans l’opéra, il tient une tirade antisémite d’une rare violence, ce qu’il a certes écrit mais qu’il n’aurait jamais prononcé. Je lis des éléments biographiques, je sais qu’il a eu une vie intime très compliquée mais en même temps je ne voulais pas m’encombrer de références historiques pour qu’elles n’aient pas trop de poids sur mon interprétation. et laisse ainsi une place importante à mon imagination. C’est ce qui parle le mieux au public. Tout en sachant que nous sommes dépendants des choix du compositeur et du librettiste ! Mais pour une fois, nous les avons tous les deux sous la main, ce à quoi nous ne sommes pas vraiment habitués ! Et c’est un enrichissement à double sens : nos interprétations font ressortir certains aspects de l’œuvre dont le compositeur et le librettiste n’avaient pas forcément conscience. Chacun apporte sa contribution au bâtiment et c’est un travail passionnant.

Quelles sont les difficultés vocales de ce rôle ?

Il n’y en a vraiment pas, sauf que le rôle est très long. Je suis sur scène presque constamment et souvent, quand je ne chante pas, j’ai encore des scènes à jouer. S’il y a un problème vocalement, il réside dans l’intonation et le rythme de la prosodie, donc sur le côté purement musical du rôle. En termes de portée, le rôle ne me pose pas de souci particulier. En revanche, sa construction dramatique est difficile car c’est un personnage qui vit dans son propre monde, loin des autres. Pour Marcel Jouhandeau, ce voyage n’est pas un acte politique, il le vit comme un voyage amoureux aux accents très adolescents et unilatéraux avec Gerhard Heller, cet officier allemand chargé de la Culture à Paris. Il est totalement indifférent au poids de sa présence dans ce voyage, et aux enjeux qui en découlent. L’opéra nous montre les événements à travers le prisme de sa vision, en décalage total avec le drame qui se joue en Europe. Mon travail d’interprète, au-delà du jugement que je porte en tant qu’être humain, consiste à creuser les défauts et les fractures intimes du personnage tel qu’il nous est présenté à travers le livret et sa mise en musique. Il en va de même pour d’autres rôles comme Wotan, Golaud ou Scarpia par exemple. Ils comportent tous des zones d’ombre qu’il faut nourrir dans nos interprétations. Ce qui leur donne plus de soulagement. Avec Marcel Jouhandeau, le terrain est fertile. Imaginez cet homme très célèbre, marié, menant une double vie car homosexuel, amoureux d’un officier allemand et tout cela sous les yeux de Goebbels. C’est impensable ! Il a tout noté dans ses cahiers. S’ils étaient tombés entre les mains d’une mauvaise personne, cela aurait signifié la mort pour eux deux. Jouer un tel personnage, qui à bien des égards suscite en moi la peur, n’est pas une tâche facile ; il est essentiel de retrouver des dimensions poétiques et lyriques.

Quelles réflexions vous inspirent sur ce voyage en tant qu’événement historique ?

C’est terrible de voir que l’Histoire se répète et que cette époque fait terriblement écho à la situation contemporaine. Tout ce qui se passe dans le monde, et même récemment sans entrer dans les détails, nous montre que le totalitarisme prend le dessus. Je suis malheureusement convaincu que la Culture subira de graves conséquences. Cela dit, tant qu’il y aura des théâtres d’opéra, on pourra toujours espérer…

Quels sont vos projets après ce voyage d’automne ?

[Rires !!!] Je vais me reposer, au cœur des Alpes, où je vis, car cette création demande beaucoup d’énergie, de concentration et d’investissement, entre la préparation musicale, dramatique et dramaturgique, et l’immersion dans les pages les plus sombres de l’Histoire. Après ces représentations, j’aurai besoin de nature, d’isolement et surtout de ma famille ! Ensuite je reprendrai les concerts et récitals dans les prochains mois, et notamment un autre voyage, hivernal cette fois, le Voyage d’hiver de Schubert, un spectacle conçu par mon partenaire, Caroline Blanpiedoù je chante le cycle mis en scène avec la projection d’un long métrage que nous avons réalisé ces derniers mois : une aventure extraordinaire ! Et bien sûr en espérant revenir bientôt sur la scène du Capitole…

Propos recueillis par Robert Pénavayre
une colonne ClassicToulouse

Apprendre encore plus:

> Voyage d’Automne, opéra en première mondiale de l’Opéra national du Capitole
> Entretien avec Bruno Mantovani

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