Par chance, j’étais à la campagne le jour des élections américaines et je n’aurais pas pu être dans un meilleur endroit pour me changer les idées après les résultats.
J’ai pu respirer par le nez et crier quelques paroles d’église dans les bois, ce qui a fait surgir quelques tétras – l’oiseau le plus timide (et le plus stupide) de nos forêts. On dirait qu’il fait tout pour se laisser berner par ses prédateurs, ce repas ambulant.
Malgré cette belle balade, une immense fatigue m’est tombée dessus à l’idée de la planète subissant une saison 2 de spectacle de merde Trumpien, boosté cette fois par Elon Musk.
Ne pas faire de Trump une obsession sera difficile, nous le savons maintenant. Pendant les quatre années où il a été président, ses déclarations et ses dérapages ont constamment monopolisé l’attention, transformant l’actualité en téléréalité dont il était la star. Cela ressemblait à une éclipse médiatique sans fin, jetant dans l’ombre tous les autres sujets, même les plus importants, même les plus cruciaux pour notre avenir. Je n’ai pas l’intention de retomber là-dedans.
Nous savons que nous allons entendre des horreurs et des conneries pendant encore quatre ans. Il ne faut surtout pas perdre de vue toutes les choses en apparence petites qui pourtant donnent un sens à notre vie.
Cette réflexion me vient en lisant Tous les détails par Carl Bessette pendant ma semaine de vacances. J’ai entendu l’écrivain dans l’émission Il y aura toujours de la culture et j’ai trouvé son projet fascinant. Carl Bessette, co-fondateur des désormais disparues Éditions de l’Écrou, ne souffre pas de trouble obsessionnel compulsif (appelé TOC), qui peut rendre la vie très difficile aux personnes qui en souffrent, mais il peut clairement être classé dans le groupe des neurodivergents, car ils ont beaucoup de penchants obsessionnels.
Sauf que dans son cas, cela apparaît presque comme une joie, un vibrant éloge de l’organisation, de l’efficacité et de la délicatesse. Il compte systématiquement chaque marche des escaliers, et planifie soigneusement ses déplacements pour arriver TRÈS précisément à l’heure, car selon lui, la ponctualité est un art. « Tout est choisi. Tout est toujours choisi», estime ce sympathique maniaque, qui se lave les mains six ou sept fois par heure, et cela n’a rien à voir avec la pandémie, puisqu’il l’a toujours fait.
Pour Carl Bessette, utiliser la tondeuse à gazon est « un des plus grands plaisirs qui soient », étaler le pain se fait au millimètre près et il n’y a que deux façons d’ouvrir un sachet de chips (il n’explique pas laquelle).
J’ai beaucoup ri en lisant ce collage d’obsessions pourtant parfaitement inoffensives, tout en me disant que ma maison où il y a des livres pêle-mêle sans aucun ordre lui donnerait des cauchemars. Bessette tire du bien de ses habitudes, et rappelle qu’il est possible d’obtenir de petites satisfactions quotidiennes qui nous satisfont secrètement, à condition d’y prêter attention. « Au-delà du rituel de symétrie, le rituel de beauté », écrit-il. Et surtout le rituel. Tout simplement. »
Je suis allergique aux trucs ésotériques et à la spiritualité indésirable, mais il me semble que l’esprit de Carl Bessette correspond parfaitement à cette idée à la mode de la « pleine conscience ». C’est en tout cas le contraire du « lâcher prise » tant prôné aujourd’hui. Chaque seconde de sa vie est pensée, ritualisée, et même un peu sacrée, et une certaine gratitude s’y exerce parfois. Par exemple, lorsqu’il termine un livre, il le porte à son front et prend de profondes respirations, comme pour se fondre dans son contenu.
«Témoignage en tout d’un soin permanent, et nous en reparlerons», écrit Carl Bessette. Pouvez-vous imaginer à quoi cela ressemblerait si nous appliquions cela aux relations humaines ? En ce qui concerne les objets, j’appartiens, je m’en rends compte après avoir lu ceci, au camp neurotypique qui a besoin d’un peu de chaos pour s’organiser. Mais Tous les détails a le mérite de nous ramener à cette idée que chaque chose et chaque choix que nous faisons, les moindres détails (aucun ne l’est moins chez Bessette), sont importants, au fond. Même les choses les plus insignifiantes ont un impact sur notre existence. Et peut-être aussi, selon les mystères divins, du monde.
Tous les détails
Carl Bessette
Les éditions de ta mère
148 pages