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La génération Z aime apparemment les films B. Il n’y a plus tellement de honte aujourd’hui à porter des imitations de grandes marques, d’autant qu’elles sont chaque jour un peu mieux confectionnées. Parce que nous vivons à l’âge d’or des « dupes ». Ceux qui s’y adonnent préfèrent acheter une alternative pour quelques euros plutôt que de se saigner pour un produit fabriqué par une marque de luxe, ou se priver de quelque chose qui s’en rapproche. Les contrefaçons ont toujours existé, pourrait-on dire. Mais nous sommes passés à un niveau supérieur. Là où ils étaient l’apanage des ventes ambulantes sur les places ou sur les plages, ils peuvent aujourd’hui être commandés via Internet. Et pas n’importe comment.
Par exemple, le site dupe.com est un moteur de recherche assez impressionnant d’alternatives aux meubles les plus chers. Il suffit de cliquer sur une chaise de style nordique, un fauteuil de style américain ou une lampe de table élégante – des fournitures généralement bon marché – pour trouver leur équivalent pas cher. Avec une note donnée pour le prix, la similarité et l’esthétique. Nous pourrions passer la journée à chercher le triple A+. Le site devrait également prochainement élargir sa gamme de produits au-delà du simple mobilier. Le journal suisse La Tribune de Genèvequi s’est récemment penché sur le succès de la « dupe culture » auprès de la génération Z (née entre 1997 et 2010), a visité le site chinois DHgate. « Vous pouvez trouver de tout, des sacs à main Dior d’une beauté trompeuse aux mocassins Gucci. Au lieu de 2 140 euros, vous ne payez ici qu’environ 32 euros pour un sac – une bonne affaire. Mais la tendance à la copie ne concerne pas seulement le vol illégal de designs, mais aussi des alternatives moins chères aux produits très populaires.
Risque sanitaire et surproduction
Parmi ces produits populaires, les maillots de football. Les fans de football et les habitués des festivals savent que les maillots des clubs ou des équipes nationales sont devenus des t-shirts à part entière. Et les « vrais » maillots, c’est-à-dire ceux fabriqués par les plus grandes marques de sport, sont terriblement chers. Une tunique floquée peut atteindre 150 euros… quand on décide d’acheter un « vrai » maillot de bain. Car les imitations pullulent sur la Toile et sont, objectivement, frappantes par leur ressemblance. Pour certains, trois lavages sauront vous convaincre de la différence de qualité. Mais une enquête menée par nos confrères de#Enquête a révélé cet été que d’autres proviennent de la même usine que les officielles, sont produites de la même manière, mais échappent à Adidas, Nike ou Puma. Et sont vendus beaucoup moins cher.
Comme nous l’avons dit, la pratique est tellement établie que les sites proposent aujourd’hui de scanner un objet et de trouver immédiatement des options similaires à des prix bien inférieurs. Et dans tous les domaines : textile, cosmétique, mobilier. Presque tout est dans une version accessible. S’il est tentant de se moquer des défis que cela représente pour les marques toutes puissantes, force est de constater que les différences de qualité ne sont pas qu’esthétiques. Des traces de plomb ou de mercure ont été trouvées dans certains faux maillots de football célèbres et à succès. La qualité des cosmétiques peut également être inférieure. Au-delà de l’aspect purement financier, il pourrait s’agir à terme d’un enjeu de santé publique à surveiller. Car s’il y a un secteur où l’on connaît les dupes, c’est bien celui des parfums : des produits chimiques posés directement sur la peau, dont les contrôles qualité sont très stricts. Les dupes peuvent échapper à ces contrôles et contenir des substances nocives. Ils contribuent aussi à une certaine surproduction et surconsommation, les meubles trouvés par dupe.com provenant souvent de sites comme AliExpress ou Temu.
Trop gros pour échouer ?
Quant aux spécialistes marketing que nous avons pu contacter, on nous a répondu qu’ils n’avaient pas grand chose à dire, pour le moment en tout cas. Le comportement des consommateurs, et des jeunes en particulier, particulièrement réceptifs aux encouragements de certains influenceurs sur TikTok, serait avant tout dicté par une recherche de prix bas. Et par la fin de la stigmatisation de ceux qui se présentent avec des imitations. Au contraire, aujourd’hui, dans un contexte de crise sociale, d’inflation et de méfiance à l’égard de l’inaccessible, « la devise des adeptes de cette nouvelle tendance est : seuls les gens stupides dépensent encore beaucoup d’argent pour un original »résume le journal suisse.
Qu’en pensent les marques de luxe ? Nous avons traversé une galerie Inno à Bruxelles. “Oui, nous connaissons le phénomène des imbéciles”souligne une vendeuse au comptoir Chanel. « Pour le moment, je n’ai pas l’impression que cela ait un réel impact sur les ventes, tant les marges sont énormes pour les marques de luxe. Selon moi, la maison mère les surveille, mais la lutte contre les dupes n’est pas une priorité. D’autant plus qu’une marque comme Chanel a une clientèle très fidèle. Un peu plus loin, chez Longchamp, on dit aussi être au courant que ces faux sacs circulent « mais ici, nous n’y avons jamais été confrontés et nous vendons toujours autant ». « Pour une marque de luxe, se faire copier, c’est plutôt une bonne publicité »nous dit-on chez Dior.
Une vendeuse d’une autre marque de cosmétiques, un peu moins prestigieuse, précise encore l’incapacité des dupes à impacter les grandes firmes. « Parfois, les gens recherchent davantage l’emballage, l’emballage, mais le fait qu’ils puissent trouver des alternatives moins chères qui pourraient potentiellement fonctionner de la même manière les séduit. Cela leur permet de goûter à des produits plus luxueux. Évidemment, cela crée de la concurrence. J’ai déjà parlé à des clients qui disaient qu’ils achetaient des produits de luxe, mais comme ils ont trouvé plus ou moins le même produit à moindre coût, ils ne veulent pas dépenser autant d’argent.
Lassitude du luxe
Pour lutter contre les imitations, les fabricants devront faire bien plus que les interdire. Car le phénomène vient notamment d’un ras-le-bol du luxe, d’un « lassitude du luxe » observé par les professionnels du secteur du commerce. Et objectivé par des résultats financiers en berne. Kering et Burberry ont perdu 11 et 22 % de chiffre d’affaires par rapport à 2023. LVMH s’en sort mieux, avec une baisse d’un petit pour cent, qui fait néanmoins sourciller les actionnaires.
Le secteur du luxe a-t-il alors atteint ses limites, après les chiffres de ventes fous de la fin de la crise du Covid ? Ou va-t-elle profiter du phénomène pour se réinventer et profiter de la publicité que lui offrent les produits voulant l’imiter ? Ce que l’on sait, c’est que de nombreuses marques de luxe tentent actuellement des choses. Quitte à tomber dans le ridicule. Mais moins de consommateurs bavent aujourd’hui devant un sac sandwich Louis Vuitton à 2 700 euros, ou devant des chaussures Balenciaga d’une banalité flagrante à 1 100 euros. Des produits moqués par (une partie de) la génération Z, pas stupides.
D’ailleurs, preuve qu’elle est à la fois complexe et passionnante pour les chercheurs, la génération Z et sa manière de consommer ont récemment fait l’objet d’une autre étude. Réalisé par la plateforme de revente ThredUp, il révèle que la genZ a tout son poids sur le marché de l’occasion. Avec ses grands frères et grandes sœurs de genY, elle représente les 2/3 des acheteurs de produits d’occasion. Plutôt une bonne habitude mais dont la croissance exponentielle a deux effets pervers : une plus grande production de première main, et l’explosion des prix des produits d’occasion, devenant parfois plus chers que les neufs. La GenZ devra donc peut-être rapidement se réadapter. Rendez-vous pour la prochaine étude et la prochaine tendance.