Paris Match. En préambule de votre livre, vous confiez : « Je ne me suis jamais occupé d’écrire. Je ne l’ai jamais permis, je ne l’ai jamais vraiment interdit, cela n’a jamais été une question pour moi. Les seize pages qui suivent et votre beau discours en hommage à Natalie Portman lors du dernier Festival de Deauville attestent néanmoins de votre magnifique écriture !
Isabelle Adjani. écrire a toujours été une question pour moi, mais que je n’ai jamais vraiment… remise en question, en fait ! Un peu comme Montaigne, « Je suis capable de douter beaucoup, et même de douter de mon doute ! ». Cela s’appelle avoir un esprit de contradiction, n’est-ce pas ? [Elle rit.] Je me réjouis que des actrices comme Sophie Marceau, Anne Parillaud, Sylvie Testud, Isabelle Carré ou Isild Le Besco, que j’ai lu avec émotion, commencent à publier avec autant de confiance et avec autant de succès. C’est stimulant et engageant : ainsi une actrice peut écrire, tout comme un écrivain peut jouer !
Étiez-vous bloqué par le regard des autres et la peur d’être jugé ?
À moins d’avoir un don littéraire, je crois qu’il faut avoir lu sans fin pour écrire. Et j’estime que je n’ai pas assez lu pour acquérir cette légitimité. Mais pourquoi pas un jour ? C’est peut-être ma dernière histoire à venir. J’ai toujours aimé écrire. C’est l’éblouissement de la littérature qui m’a fait grandir en désir, pour ne pas dire en obsession, pour le texte ! La virtuosité d’une comédienne est liée aux mots, aux dialogues, à ce qui s’écrit comme à ce qui ne s’écrit pas mais qui s’écrit encore dans le silence et l’écoute. J’ai récemment découvert le film de la géniale Sophie Fillières « Stop ou je continue ». La puissance des dialogues entre les personnages d’Emmanuelle Devos et Mathieu Amalric est une pure écriture, et elle m’a littéralement bouleversée, abasourdie ! Certains écrivains sont marquants, éblouissants. Il y en a qui, dès leur premier roman, deviennent incontournables : Rimbaud bien sûr, Sagan, Yourcenar, Kerouac, Guibert, Koltès… Par leur voix, leur style et leur vision, ils « justifient le monde », comme l’écrivait Camus. D’autres, énormes, prennent plus de temps, Nathalie Sarraute par exemple, ou Pierre Michon.
Mais votre éditeur ne vous a pas encouragé à continuer à écrire ?
Il faut remettre les choses à plat : « Du côté de Marilyn » n’est pas un livre que j’ai écrit seul, c’est le prolongement d’un texte écrit conjointement avec Olivier Steiner, qui, lui, est un véritable écrivain. Cet ouvrage rassemble des extraits d’entretiens que j’ai donnés au cours de ma carrière. Il s’agissait même de six mains, puisque nous avons invité Marilyn à travers les propos de sa dernière interview, donnée quelques jours avant sa mort. Ce n’est ni un roman ni un essai. Ce flux serait autant un polymonologue qu’une conversation autofictionnelle. Qui parle? Elle ou moi ? Quand il y a trop de moi, je rejoins Marilyn. Quand Marilyn est attaquée par trop de « rayons du soleil », elle vient dans mon ombre. On se parle, on s’écoute, on attend ensemble, on se suit… Difficile de décrire ce relais fusionnel, joué pour la première fois sur scène, se permettant de se faire rare et de modifier le texte presque à chaque représentation. , de Paris à New York en passant par le village de Lacoste. Au théâtre, c’était la rencontre avec « Le vertige Marilyn », avec « Du Côt de Chez Marilyn », tout ce qui est dit et dit sur scène résonne à travers l’écriture. Après tout, il y a des gens qui écrivent comme s’ils parlaient à voix haute, n’est-ce pas Marguerite Duras ? [Elle rit.]
Duras ! C’est votre référence absolue, non ?
Oui, car c’est quand même le plus choquant, dans le sens où chacune de ses phrases est un choc. Hé, en ce moment, je suis à Trouville. Elle écrit : « Dès que je m’éloigne de Trouville, j’ai le sentiment de perdre la lumière. Je perds la brume du large, le vent. Regarder la mer, c’est regarder l’ensemble. C’est à Trouville que j’ai regardé la mer jusqu’à rien. Et me voilà dans les embruns, encore plus proche de la mer à travers ses paroles. Comment parvient-elle à si bien traduire l’émergence de la pensée ? Il ravive l’écriture en bouleversant nos esprits.
« Les livres sont des présences protectrices »
Vous avouez un amour particulier pour l’objet livre, au point d’être « atteint du tsundoku » vous écrivez, mot japonais désignant l’acquisition d’ouvrages que vous lirez plus tard…
C’est juste un besoin insatiable de lire, relire, feuilleter, découvrir, en espérant rompre avec le temps. Car il faut choisir le moment de lire, de réfléchir, d’écrire. Mais ma vie et mon travail font que le temps m’est le plus souvent subi, enlevé ou soustrait. Les livres sont donc des présences protectrices ; les livres, pour moi, c’est être entouré de ce qui me ressemble. Peut-on vivre en paix avec ce qui nous ressemble ? Je ne suis pas sûr.
La suite après cette annonce
Vous écrivez que toutes les actrices doivent quelque chose à Marilyn Monroe. Que lui dois-tu exactement ?
Avoir compris très tôt que la beauté n’est pas dénuée de douleur. Olivier Steiner a souligné cette citation de Virginia Woolf : « La beauté du monde, si fragile, a deux bords, l’un du rire, l’autre de l’angoisse, coupant le cœur en deux. » Cela veut tout dire, non ? J’ai découvert Marilyn à travers sa douloureuse liaison avec Arthur Miller : l’histoire de la superstar qui cherche la validation de son existence aux yeux de l’intellectuel le plus vénéré des États-Unis, lui, censé tout savoir, elle, censée ne rien savoir.
Pensez-vous qu’il ne l’aimait pas ?
Qu’est-ce que j’en sais, après tout ? Je suis tenté de croire qu’il ne l’aimait pas vraiment au-delà de son image, car Miller l’avait décrite dans sa correspondance personnelle comme une femme ennuyeuse, banale, vindicative et punitive. Marilyn avait été choquée lorsqu’elle l’avait découvert. Mais il aurait aussi écrit qu’elle avait plus de courage, de décence intime, de sensibilité et d’amour pour l’humanité que quiconque qu’il avait connu dans sa vie. Eh bien… Ils ont partagé cinq années de vie ensemble. La fin de l’histoire est un film, « Les déaxés », le film de leur séparation, la dernière de Marilyn.
« Nous subissons les excès, la privation de liberté, les attentes vampiriques de certains autres »
Comme elle, vous avez été espionné dans vos moindres faits et gestes et avez payé le prix de la gloire à travers un quotidien insupportable…
Insupportable, je ne sais pas, mais nous subissons les excès, la privation de liberté, les attentes vampiriques de certains autres. C’est comme une sanction. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, ce serait pire. S’ils avaient existé dans ces années-là, je serais probablement mort.
Certains de vos choix en tant que jeune actrice, comme jouer dans « Possession », ont été guidés par votre « vie d’époque ». [qui] était totalement confondu avec cet art dit dramatique », écrivez-vous. N’y a-t-il plus de confusion aujourd’hui ?
Il est un âge où se mettre en danger est possible, on n’a pas peur pour son équilibre, on n’a pas peur de la confusion. Nous ne le vivons pas comme tel à ce moment-là. On vit à corps perdu, on recherche l’intensité, on vit jusqu’à la mort. Mais quand vient le temps de mieux comprendre ce qu’est la vie, en ressentant la mort, en perdant ses parents, ses amis, sa foi en l’humanité, on calme le jeu. Au propre comme au figuré.
Comme dans « Masquerade » où vous incarnez une étoile déchue. Vous n’êtes plus confus mais vous vous auto-dévalorisez…
L’autodérision demande de la maturité et, si on peut parfois prendre plaisir à me confondre avec mes personnages, je prends plaisir à me fondre dans une ressemblance la plus vraie possible car, après tout, créer l’illusion est ma mission artistique. Je terminerai sur un clin d’oeil sans faux cils avec l’histoire de la robe verte Pucci de Marilyn. Lors d’une conférence de presse à Mexique, un journaliste s’est exclamé en la voyant apparaître : « Marilyn, quelle robe ! Et Marilyn de répondre : “Et pourtant, vous ne l’avez pas vu sur son cintre !”