Godzilla, métaphore des angoisses nucléaires, fête ses 70 ans

Le roi des monstres nés des cendres nucléaires, Godzilla, continue de terroriser la planète alors qu’il fête ses 70 ans le 3 novembre avec son rayon atomique.

Peu de monstres ont traversé les générations et les continents comme Godzilla, créature emblématique du cinéma japonais et symbole des plus profondes préoccupations nucléaires.

Godzilla a été créé en 1954 et fait partie de la vague Kaijū, cinéma de monstres japonais qui dépeint les forces de la nature contre lesquelles les humains sont impuissants.

Depuis le premier film de la série 38, il incarne la menace nucléaire et le traumatisme du Japon d’après-guerre.

La création du monstre fait écho aux catastrophes d’Hiroshima et de Nagasaki, ainsi qu’à la tragédie du navire japonais Daigo Fukuryū Maru, irradié lors d’un essai nucléaire américain de bombe H en 1954.

Ce monstre réveillé par les essais nucléaires, qui émet un rayon radioactif et laisse des retombées contaminant les survivants, reflète parfaitement l’angoisse de l’époque.soutient Alain Vézina, professeur de cinéma au Cégep de Saint-Jérôme et auteur de nombreux ouvrages, dont Godzilla et l’Amérique : Le Choc des Titans.

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Affiche originale du premier film Godzilla de 1954

Photo : Radio-Canada / Philippe Leblanc

William Tsutsui, fan de Godzilla, historien et président de l’Université d’Ottawa au Kansas, estime que la fascination de Godzilla persiste 70 ans plus tard en raison de la pertinence contemporaine du monstre.

Godzilla a commencé comme une réponse aux craintes de guerre nucléaire et au traumatisme de la Seconde Guerre mondiale. Elle reste d’actualité aujourd’hui car elle reflète également les craintes modernes, telles que le changement climatique, la pandémie de COVID-19 et l’instabilité politique.dit-il.

Godzilla occupe une place très particulière au Japon, où il reste une figure de fierté nationale et le visage de l’influence culturelle japonaise.

Ce monstre a ouvert la voie à d’autres produits culturels japonais, comme l’animation (anime), les mangas, les jeux vidéo ou encore la musique, désormais ancrés dans la culture mondiale.

Godzilla a une signification particulière pour les Japonais. Ce fut le premier produit de la culture populaire japonaise à obtenir une reconnaissance internationale après la Seconde Guerre mondiale.souligne William Tsutsui.

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La boutique Godzilla à Tokyo

Photo : Radio-Canada / Philippe Leblanc

La transformation du monstre : de destructeur à protecteur

Initialement symbole de destruction, Godzilla a progressivement évolué au fil des décennies pour incarner la résilience, voire la protection, dans les années 1960, marquant un tournant dans sa signification pour le public japonais.

Dans Ghidra, le monstre à trois têtes [1964]Godzilla passe de menace à protecteur du Japon, un changement qui symbolise la transformation de l’énergie nucléaire d’une Source de destruction à une force potentiellement bénéfiquea besoin d’Alain Vézina.

Cette évolution reflète un changement de perception du développement de l’énergie nucléaire civile au Japon, alors associé à la croissance économique et technologique.

Une critique acerbe de la science et de ses responsabilités

Au-delà du divertissement, la série Godzilla soulève des questions complexes sur la science.

Le monstre reflète les dilemmes de la science moderne, tiraillée entre ses promesses de progrès et ses conséquences souvent imprévisibles, selon Yuki Miyamoto, professeur au département d’éthique de l’université DePaul, à Chicago, et directeur du centre de sciences humaines de cette institution universitaire.

C’est une réflexion sur la responsabilité des scientifiques, notamment lorsqu’ils développent des armes inhumaines. Godzilla ne se limite pas à l’apparence monstrueuse. Il incarne l’ambiguïté d’une science qui ne résout pas forcément les problèmes qu’elle crée. La question est mieux posée dans ces films que dans Oppenheimer, dés.

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La tête de Godzilla apparaît derrière un centre commercial du quartier de Shinjuku à Tokyo.

Photo : Radio-Canada / Philippe Leblanc

En tant que professeur d’éthique nucléaire, Yuki Miyamoto utilise Godzilla comme outil pédagogique pour sensibiliser ses élèves à l’impact de la science sur l’environnement et la santé humaine.

Elle se dit surprise par le manque de connaissances de ses étudiants sur l’histoire de l’énergie nucléaire et ses effets sur l’environnement et la santé humaine.

Mes élèves ne connaissent presque rien des essais nucléaires américains, comme les 1 032 tests effectués par les États-Unis, mais lorsqu’ils découvrent que Godzilla est une métaphore de ces dangers, ils sont surpris et intrigués.dit-il.

La transformation américaine de Godzilla : un débat culturel

La tentative d’Hollywood de réinventer Godzilla a suscité des réactions mitigées. Dans la version de 1998, Roland Emmerich dépeint un monstre agile différent de la créature originale.

Cette rupture avec les racines culturelles japonaises du monstre a déconcerté Alain Vézina et ses premiers fans.

On a dit : ce n’est pas Godzilla, ça n’a rien à voir. Premièrement, cela va trop vite. Deux n’ont pas de senscritique.

Cette adaptation occidentale, très éloignée de la symbolique japonaise, montre les différences culturelles dans la représentation du monstre.

>>A Tokyo, Godzilla apparaît sur mille et un t-shirts.>>

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A Tokyo, Godzilla apparaît sur mille et un t-shirts. Surtout dans la boutique Godzilla !

Photo : Radio-Canada / Philippe Leblanc

Hollywood ne peut s’empêcher de transformer Godzilla en un film d’action à gros budget. Le Japon, en revanche, a réussi à créer des versions plus réfléchies de Godzilla qui vont au-delà de la simple peur pour répondre à des angoisses profondément enracinées.Il a espionné William Tsutsui.

La version américaine de 2014, bien que plus proche de l’originale, révèle néanmoins une perception divergente de l’énergie nucléaire.

Godzilla y est réanimé grâce à une bombe nucléaire, un acte considéré comme un moyen de protection aux yeux des Américains.

Ce contraste avec la version japonaise de 1954, dans laquelle le monstre est neutralisé sans glorifier l’énergie nucléaire, montre comment chaque culture interprète différemment les outils de pouvoir et de contrôle.

Godzilla, toujours d’actualité dans un monde fragile et incertain

L’attrait de Godzilla aujourd’hui va au-delà de la simple fascination pour un monstre géant, même si un grand nombre de fans américains ignorent les origines et le symbolisme du monstre.

Le professeur Yuki Miyamoto estime que certains jeunes fans voient encore Godzilla comme un rappel des dangers que la science continue de poser.

Nous sommes toujours confrontés aux déchets nucléaires produits par les centrales électriques. Cinquante ans plus tard, nous n’avons toujours pas de réponsesdés.

Les tensions géopolitiques modernes, comme le conflit en Ukraine et la catastrophe nucléaire de Fukushima au Japon en 2011, font écho aux thèmes de la série.

Tant que les inquiétudes autour des armes nucléaires persistent, Godzilla reste d’actualité pour rappeler les dangers de cette technologie.ajoute Alain Vézina.

>>Godzilla contre affiche Megaguirus, film japonais réalisé par Masaaki Tezuka, sorti en 2000.>>

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Affiche de « Godzilla contre. Megaguirus”, film japonais réalisé par Masaaki Tezuka sorti en 2000

Photo : Radio-Canada / Philippe Leblanc

La résurgence de films récents comme Shin Godzilla et Godzilla moins un il vise également à refléter les relations entre le Japon et les États-Unis. Ces films témoignent d’un Japon en quête de sa propre identité, entre alliances stratégiques et volonté de préserver son autonomie.

La série Godzilla compte désormais 33 films réalisés au Japon et 5 à Hollywood. Cependant, Yuki Miyamoto, Alain Vézina et William Tsutsui s’entendent sur une chose.

Selon eux, les deux films à voir sont l’original de 1954 et le dernier, Godzilla moins un, Oscarisé pour ses effets spéciaux et célébré pour son retour aux thèmes originaux.

 
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