Ce sont trois mots écrits en cursive sur un petit panneau bleu perché au-dessus. Bistrot de La Rochelle. En Charente-Maritime, les passants n’y prêtent même pas attention, mais au Vietnam, à 10 000 kilomètres du Vieux-Port, le signal est surprenant. En franchissant la porte d’entrée, une représentation de la Chaîne et des tours Saint-Nicolas accueille la douzaine de clients attablés en ce samedi soir d’octobre. « Le peintre a réalisé le tableau en une après-midi, sans brouillon. Je viens de lui montrer une photo sur Internet ! », s’émerveille encore Katy Loan en remettant les lunettes de soleil qu’elle n’enlève jamais.
Originaire de Saigon dans le sud, le patron a décidé d’ouvrir son premier restaurant dans son pays d’origine au début du mois. A 70 ans.
Une vie entre Nieul-sur-Mer et Paris
Avant cela, elle a rencontré une terre d’adoption, la France, où elle est entrée à 17 ans. La famille de son mari est originaire de Saintes, ses enfants y sont nés, mais le couple a choisi de s’installer à Nieul-sur-Mer. Katy Loan ne vendra la maison que lorsqu’elle partira pour Da Nang. Dans les années 1980, ce bourreau de travail fonde « Kim Long », rue Saint-Jean-du-Pérot, à La Rochelle, une manière de mettre en valeur le savoir-faire appris en compagnie de ses grands-mères vietnamiennes.
Son histoire d’amour avec la cuisine française s’écrit entre la côte atlantique et la région parisienne, où il ouvre son café-restaurant à Ivry-sur-Seine. « Le début de l’apprentissage a été dur ! souviens-toi. Une de mes employées, Marie-Thérèse, travaillait dans des relais routiers. Il m’a montré comment préparer de bons plats traditionnels. »
Imposer un plat français, un défi épineux
Bœuf bourguignonne, blanquette de veau, mais aussi feuilles de laurier. De chez elle à Nieul-sur-Mer, la Saigonnaise a tout apporté au Vietnam. Il lui appartient désormais de transmettre ses compétences. «Même si la viande était très tendre, la sauce au poivre n’avait aucun goût», grimace John Ribock, un client américain venu dîner avec sa femme. L’hôtesse court partout, écoute, prend des notes et peste contre ses cuisiniers : « Je lui ai expliqué deux fois. Je leur ai dit que la sauce au poivre, en France, ne devait pas être noire. Qu’il faut broyer les grains ! » Par ailleurs, selon elle, les locaux ont du mal à sortir de leurs habitudes. Et trouver de la coriandre dans le poulet basque, c’est vraiment dommage.
Katy Loan souhaiterait également élargir sa carte à moyen terme. « Pour la choucroute, elle risque d’être difficile à digérer en dessous de 35°C », sourit Cuong Vo, ami du Franco-Vietnamien et architecte local. Les obstacles restent nombreux. D’autant qu’il aimerait s’orienter vers les recettes atlantiques : « Ici, impossible de servir un plat de fruits de mer ! Les moules sont horribles, les huîtres sont grasses et n’ont pas le goût de l’iode. » Pour le moment, les coques uniques du Bistrot de La Rochelle sont incrustées dans la structure du bar, en guise de décoration. Au volant de son scooter japonais, Katy Loan s’est rendue dans les restaurants de la ville pour les récupérer. Ainsi, morceau par morceau, l’écosystème rochelais continue de se former à Da Nang.