Rencontre avec un auteur culte : Alasdair Gray et « Lanark »

Science-fiction : Alasdair Gray se remet sur les rails

La popularité de l’écrivain écossais décédé en 2019 augmente dans le monde francophone. Son livre culte, « Lanark », est réédité en livre de poche. Notre entretien de l’an 2000.

Publié aujourd’hui à 8h59

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Bref:
  • Alasdair Gray a marqué la littérature avec son roman culte « Lanark ».
  • La réédition de « Lanark » par Métailié met en évidence son influence durable.
  • Réédition de l’entretien de Gray réalisé par « 24 Heures » en 2000.

Il y a 24 ans, à l’occasion de la première publication de la traduction française de son monumental « Lanark », on aurait pu penser qu’Alasdair Gray deviendrait le nouveau chouchou des amateurs de science-fiction dystopique et de littérature baroque. Le mélange fantaisiste et postmoderne est peut-être arrivé un peu tôt pour le lecteur francophone. Aujourd’hui, l’écrivain écossais a inspiré Yorgos Lanthimos qui a adapté son « Pauvres créatures » et de nouvelles traductions notables ont été ajoutées à son corpus en français, comme « Janine 1982 »traduit par Claro l’année dernière. Aujourd’hui, les Éditions Métailié rééditent son célèbre « Lanark », son premier roman et ouvrage culte. L’occasion de exhumer de nos archives une rencontre avec cet auteur décédé il y a cinq ans.

D’anecdotes épicées en éclats de rire aigus ou en digressions érudites, Alasdair Gray, 66 ans, est un auteur digne de son premier ouvrage, « Lanark – A Life in Four Books », un labyrinthe baroque où les genres littéraires s’entrelacent dans une hybridation sans limites.

Un livre qui, bien qu’il vient d’être traduit en français, a été publié en langue originale en 1981, après une très longue maturation depuis la mise sur papier des premières ébauches de ce qui allait devenir un véritable labyrinthe littéraire en 1954 !

« À l’époque, j’avais en tête deux livres distincts. Le premier était une sorte de « Portrait de l’artiste en jeune homme », transposé de l’Irlande à l’Écosse et de Dublin à Glasgow : à la différence que ma tragédie d’artiste ne se serait pas terminée avec le départ du héros de son pays pour écrire son chef-d’œuvre, mais par son suicide. La seconde devait ressembler au « Château » ou au « Procès » de Kafka, dans une ville comme Glasgow, avec un personnage central ordinaire auquel le lecteur pourrait facilement s’identifier, un peu comme Gulliver ou Joseph K., vivant des aventures sérieuses, assez étranges, mais pas tellement de son propre point de vue.

Vision double

On l’a peut-être compris, ce double projet d’Alasdair Gray s’est transformé au fil des années en « Lanark », un livre monumental de 650 pages, à la hauteur des ambitions affichées par son auteur. A la base de ce montage ludique et audacieux de deux destins – l’un historique, l’autre fantastique – il y a la lecture d’un livre d’EWM Tillyard sur l’histoire de l’épopée qui marque ce jeune Écossais déterminé à remettre son pays sur le devant de la scène. carte de la littérature internationale.

Homère, Virgile, le Portugais Camoens et sa « Lusiade », John Milton et « Le Paradis perdu », ou encore Edward Gibbon et son « Histoire du déclin et de la chute de l’Empire romain » sont autant d’auteurs – et pas des moindres ! – qui fascinent le jeune écrivain pour sa capacité à proposer des histoires dans lesquelles des nations ou des traditions entières peuvent s’identifier ; et surtout pour leur capacité à mélanger les genres littéraires.

« La « Lusiade » de Camoens, aristocrate et navigateur aux côtés de Vasco de Gama, mêle l’épopée chrétienne, les interventions des dieux païens et est en même temps un manuel pratique de navigation ! C’est un mélange de différents idiomes : l’histoire épique peut englober des éléments à la fois réalistes et surréalistes. C’est l’exagération fantastique d’une métaphore étendue, habitée de détails réalistes. J’ai été frappé par ces mélanges entre la vie quotidienne, les écoles ordinaires où l’on est éduqué – souvent mal – et les hôpitaux ordinaires où l’on nous soigne – parfois bien – et la vie grotesque et colorée que l’on retrouve dans les livres.

Science-fiction politique

Enflammé par des mondes imaginaires qui dérivent parfois aux confins du cauchemar, Alasdair Gray, peintre lui-même (la couverture de son livre est un détail d’une de ses œuvres), cite encore les peintures fantastiques de Jérôme Bosch avant de défendre l’idée de ce pont jeté entre des univers lointains. « Les mondes fantastiques que nous imaginons sont simplement des versions du monde que nous vivons. J’ai été enchanté par la découverte de la science-fiction, notamment par l’un des plus grands, Wells, qui a tant marqué le XXe siècle.e siècle.”

Science-fiction : le mot est passé. Et, naviguant dans une époque et un pays indéfinis, le voyage fantastique de Lanark, l’un des deux personnages en lice pour le rôle principal de cette histoire croisée – l’autre étant Duncan Thaw, un jeune peintre marginal de Glasgow dans les années 1950 –, peut effectivement être assimilé à un genre souvent critiqué. Dans Lanark, Thaw ne dit pas : « Je n’aime pas beaucoup la science-fiction. Est-ce pessimiste ?

« Il est impossible d’écrire un livre avec une fin parfaitement heureuse. A moins de croire au paradis comme Dante, qui finit effectivement par prendre la première place ! Les objectifs politiques de Lanark, sorte d’utopie négative, sont très clairs. « Je suis désolé », rétorque Gray, qui compare volontiers la férocité politique d’un Tchekhov réaliste et d’un Swift fantastique, « mais je suis un socialiste qui croit au gouvernement démocratique, qui nécessite de petites unités politiques pour être efficace. Je suis un ardent défenseur de l’effondrement de la Grande-Bretagne et du démantèlement de tous les empires. »

L’actuel parlement autonomiste d’Écosse se réjouit : « C’est un début ! Et d’ajouter, un peu plus tard : « DH Lawrence disait : « Toute bonne écriture est locale, toute mauvaise écriture est provinciale. » Une manière élégante d’indiquer que Londres n’est pas sa principale obsession.

Caricature de lui-même

Entre autres qualités de son bordel spirituel, il ne faut pas sous-estimer l’humour d’Alasdair Gray – qui nous ravira en jouant sous nos yeux un dialogue hilarant entre Candide et Pangloss. Un sens du comique qui l’a par exemple poussé à figurer dans son propre livre, où il reçoit, lors d’un épilogue malicieusement attendu, la visite de son personnage Lanark. Coquet, il précise néanmoins que « c’est une caricature, et non un exact autoportrait ».

Un épilogue plus machiavélique qu’il n’y paraît, puisqu’il comprend, en marge, un index de toutes les formes d’emprunts et de plagiat dont son livre est responsable. En le parcourant, on remarque qu’il fait référence à des chapitres de fin inexistants évoquant une conclusion hypothétique et monstrueusement idéaliste ! Gray affirme que c’est un accident de mise en page qui l’a obligé à remplir des blancs imprévus, et qu’il en aurait profité pour citer des passages de tous ses amis écrivains… écossais ! “Dans toute œuvre d’art, il faut se laisser des surprises, sinon on s’ennuie et on ennuie le lecteur.”

Destins croisés

Critique Le livre très baroque d’Alasdair Gray, « Lanark – A Life in Four Books », joue sur la connexion de deux destins qui finissent par n’en former qu’un : celui « historique » (livres 1 et 2), celui de la jeunesse écossaise de Duncan Thaw et l’autre fantastique, proche de la science-fiction (tomes 3 et 4), de Lanark, qui sert de reflet (ou de continuation) déformé du premier.

Les choses seraient simples si le livre ne s’ouvrait pas avec le tome 3 et le voyage effrayant de Lanark arrivant dans le sombre Unthank, une ville où le soleil n’apparaît presque jamais et où la survie nécessite de sombres services sociaux. L’occasion de faire le point sur ce qu’Alasdair Gray doit – explicitement – ​​à Kafka. Il faudra ensuite lire la jeunesse tourmentée de Duncan Thaw lors d’une sorte de roman initiatique incrusté dans l’œuvre, et mesurer l’inspiration joycienne de l’Écossais, avant de revenir à Lanark dans le quatrième tome.

Conte politique, récit SF, roman freudien ou autobiographique et évocations écossaises sont présents dans ce livre culte de la supposée école de Glasgow. « Lanark », s’il vient d’être traduit, semble déjà avoir exercé une influence anglo-saxonne : « The Bridge » (« Entrefer ») de l’Écossais Ian Banks ou « The Journey of Anna Blume » de Paul Auster en sont deux. ses éventuels fils illégitimes, mais tout à fait recommandables. (ESB)

« Lanark », Alasdair Gray, éd. Métailié, 848 p. Traduction de l’anglais (Écosse) par Céline Schwaller.

Boris Senff travaille dans la section culturelle depuis 1995. Il écrit sur la musique, la photographie, le théâtre, le cinéma, la littérature, l’architecture, les beaux-arts.Plus d’informations @Sibernoff

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