Faut-il « renoncer aux voyages » aujourd’hui ?

Faut-il « renoncer aux voyages » aujourd’hui ?

La philosophe Juliette Morice se penche sur notre sans-abri. Ils posent problème depuis l’Antiquité. Nous en sommes au même point en 2024.

Publié aujourd’hui à 12h26

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On parle beaucoup de voyages dits « de loisirs », pour reprendre un terme un peu dépassé. Généralement pour le pire, je dois dire. Alors qu’il n’est pas question de « surtourisme », le débat se concentre aujourd’hui sur « l’empreinte carbone ». Et la presse médiatique montre des images d’une Venise ou d’une Florence surpeuplées. Je reviens. Je peux vous dire que si cela est vrai pour la cité des Médicis, c’est comme une acrobatie photographique pour celle des Doges. En dehors des rues réellement animées, il n’y a franchement personne.

“Pour Pétrarque, voyager fait perdre du temps, de l’argent et temporairement ses amis.”

Juliette Morice

« Abandonnez le voyage », le livre que Juliette Morice a sorti il ​​y a quelques mois, jette-t-il à son tour des anathèmes à ceux qui veulent voir le pays ? Pas vraiment. Le livre voit la situation d’en haut, et surtout de loin. En grande partie historique, elle est due à un agrégé et docteur en philosophie (on sait que les philosophes sont aujourd’hui aussi nombreux que les sauterelles de l’Egypte biblique), son mérite est avant tout de montrer une réalité. Les critiques adressées aux voyages, et donc à ceux qui les entreprennent, ne sont pas nouvelles, ni même avant-hier. C’est un problème depuis l’Antiquité. Une époque où il restait impossible d’avoir une carte à gratter du monde pays par pays. Je citerai un exemple plus moderne, puisqu’il remonte au 14ème siècle. Pour Pétrarque, partir loin signifie perdre de l’argent, beaucoup de temps et les liens d’une véritable amitié. Mieux vaut rester à la maison. Le poète avait pourtant beaucoup erré.

Le mouvement simple

Mais qu’est-ce qu’au juste un voyage, cette chose qui signifie à la fois le moyen et la fin ? Je vous rassure tout de suite, amis.ex d’expositions hors Genève ou Lausanne. Au sens que lui donne Juliette Morice, il s’agit d’une expansion de l’espace-temps. Deux composants sont nécessaires. Un seul ne suffit pas. Il faut sortir de son biotope, c’est-à-dire aujourd’hui à des centaines de kilomètres. Un certain temps passé sur place semble nécessaire. Prendre le TGV pour aller au Louvre en mangeant un sandwich dans le train est un voyage simple. Un voyage d’affaires n’est pas vraiment un voyage d’affaires, et même les Anciens l’auraient admis. Le problème concerne en réalité les vacances plus ou moins exotiques. Bronzer aux Seychelles. Barbotez dans un Club Med. Fête à Barcelone. D’autant qu’il manquerait à cela un élément essentiel d’un voyage respectable. La rencontre de l’Autre, avec un « A » majuscule s’il vous plaît.

Ce type de contact reste en principe la pratique des « voyageurs fréquents ». Ceux-ci, rappelle l’auteur, constituent une aristocratie très (trop ?) consciente de sa valeur. C’est l’univers de Nicolas Bouvier et d’Ella Maillart que Juliette Morice cite souvent même si elle enseigne au Mans. Les Suisses dominent ici, comme autrefois au tennis. Mais eux-mêmes sont arrivés après les autres. Le voyage d’aujourd’hui suit par définition les traces de ses prédécesseurs. Faut-il donc le refaire ? Chateaubriand, qui était pourtant grognon, en doutait déjà. Son contemporain Xavier de Maistre vantait dès 1794 les « voyages autour de sa chambre », lisant des récits d’explorateurs. Le geste pionnier aurait été fait une fois pour toutes. Alors autant rêver dans le confort, à une époque où les diligences n’offraient pas le confort d’un Eurostar en première classe. Nous le voyons. L’idée d’un voyage purement virtuel n’a pas attendu le XXIème siècle.

Restez près de chez vous

Qu’en déduit Juliette Morice, après avoir accumulé les citations en bonne universitaire ? Pas grand chose, finalement. Chacun a sa vérité, et ce volume n’est évidemment pas destiné aux mangeurs de kilomètres et aux stakhanovistes de photos souvenirs. En tout cas, ce dont le livre ne parle pas, c’est que la Planète semble rétrécir de toutes les manières. Il y a de plus en plus de pays en guerre et de plus en plus de frappes dans les aéroports pour vous maintenir au sol. Mieux vaut se promener près de chez soi, ce que font plusieurs personnes que je connais. La Suisse est après tout très belle même s’il n’y a pas de mer. Le beau car postal jaune y remplace volontiers la voiture. Reste à savoir si c’est déjà un voyage, ou si on reste encore trop près de chez soi. Très loin donc d’un Bouvier, d’un Maillart ou d’une Annemarie Schwarzenbach, décédés dans les Grisons à la suite d’un… accident de vélo.

Pratique

« Abandonner le voyage, Une enquête philosophique », par Juliette Morice, Editions PUF, 248 pages.

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Né en 1948, Etienne Dumont étudié à Genève qui lui furent de peu d’utilité. Latin, grec, droit. Avocat raté, il se tourne vers le journalisme. Le plus souvent dans les sections culturelles, il travaille de mars 1974 à mai 2013 à la Tribune de Genève, commençant par parler de cinéma. Viennent ensuite les beaux-arts et les livres. A part ça, comme vous pouvez le constater, rien à signaler.Plus d’informations

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