Pie XII contre Hitler, un duel vertigineux et ambigu

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Image tirée de la série documentaire « Vatican Investigation : Le Pape et le Diable », réalisée par Max Serio. PICASSO FILMS SRO/BIG MEDIA

HISTOIRE DE LA TÉLÉVISION – JEUDI 12 SEPTEMBRE À 20H50 ET 21H40 – SÉRIE DOCUMENTAIRE

C'est l'un des lieux les plus secrets du monde, et il excite l'imagination plus que tout autre. Abrité derrière les hauts murs qui séparent la Cité du Vatican du reste du monde, les Archives apostoliques du Saint-Siège ne recherchent pas la vedette, loin de là. Les demandes d'interviews sont rarement prises en compte et les relations avec la presse sont généralement empreintes d'une solide méfiance, à la fois courtoise et ferme.

Lire l'enquête (en 2021) : Article réservé à nos abonnés Ce que l'ouverture des archives du Vatican peut révéler sur le silence du pape Pie XII sur le nazisme

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Les auteurs de la série documentaire en quatre parties Enquête au Vatican. Le Pape et le Diablene semblent pas avoir rencontré cet obstacle. Au contraire, ils jouissaient d'un large accès à ces lieux, ainsi que de la possibilité d'interroger le préfet chargé des archives apostoliques, Mgr Sergio Pagano, qui contrôle d’une main de fer les accès au Saint des Saints. Peut-être cela aura-t-il eu pour conséquence de contraindre quelque peu leur discours… En tout cas, ils adoptent, tout au long de ces quatre épisodes, une ligne plus que compatible avec les vues du Saint-Siège.

Il faut dire que le sujet de ces films est d’une importance cruciale. Il s’agit en effet d’évoquer l’attitude très controversée d’Eugenio Pacelli (1876-1958), devenu pape sous le nom de Pie XII en 1939, à la veille du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, face au nazisme, et plus précisément face à la Shoah. En cherchant à préserver une façade de neutralité, sans condamner ouvertement le génocide des juifs, le pontife a-t-il échoué ? A-t-il au contraire permis que des milliers de vies humaines soient sauvées en secret ?

Une « guerre secrète »

De grands intellectuels catholiques comme François Mauriac ou Jacques Maritain, que l'on ne soupçonnerait pas d'antipapisme, ont, en leur temps, exprimé leur confusion et leurs regrets. La polémique reprendra en 1963 avec la pièce Le Vicairedu dramaturge allemand Rolf Hochhuth (adapté au cinéma en Amen de Costa-Gavras en 2002), qui affirmera de manière quelque peu nuancée la volonté du Vatican de ne pas dénoncer l'horreur en cours.

Face à cette question vertigineuse, qui nous pousse à formuler les choses de manière très peu scientifique, les historiens sont démunis. D’autant que les archives du Vatican n’offrent, dans les millions de documents d’époque mis à disposition des chercheurs, aucune preuve irréfutable.

Mais la série documentaire ne montre aucune de ces hésitations. Au contraire, elle entend faire de Pie XII une figure lumineuse opposée à un Hitler devenu « le diable »justifiant ses silences par une ” réserve “ nécessaire aux opérations de sauvetage clandestines en cours.

Ainsi, la confrontation avec Hitler devient une « guerre secrète entre le bien et le mal » opposant deux individus dans une atmosphère flirtant parfois avec le roman d'espionnage. « Penser qu’Hitler pourrait s’arrêter simplement parce qu’un pape l’a condamné, c’est manquer de sens de la réalité. Agir sans parler était peut-être une meilleure option. »résume l’historien italien Matteo Luigi Napolitano. Ainsi, de temps à autre, le fait que le Vatican reste silencieux deviendrait presque la preuve ultime qu’il aurait lutté dans les coulisses…

Antijudaïsme chrétien multi-laïque

Loin de rendre les choses plus intelligibles, le fait de résumer l’affaire à une confrontation entre deux hommes tend en réalité à tout occulter. Sans évoquer les tensions internes à l’Église, et plus encore la persistance d’un antijudaïsme chrétien séculaire, comment expliquer la séduction qu’a pu exercer l’antisémitisme nazi sur de nombreux chrétiens, y compris au sein du clergé ? De même, sans évoquer les persécutions qui ont suivi la révolution russe et l’avènement de l’URSS, comment expliquer que le Vatican ait eu tant de mal à choisir son camp ?

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À l’aide de « révélations » et de documents présentés « pour la première fois »Les auteurs ont cherché à démontrer l'ampleur du travail effectué en coulisses par le Vatican, au point de vouloir en faire l'opposant numéro un en Europe à la barbarie nazie. Quant au silence persistant de Pie XII – qui, plus inquiétant encore, perdurera après la guerre –, il est justifié par des arguments flirtant parfois avec le relativisme. « Pourquoi le Vatican aurait-il dû prendre position ? [contre le nazisme] tandis que d’autres, comme le Premier ministre britannique Chamberlain, sont restés silencieux ?demande l'historien Frank McDonough.

Peut-être parce que le Vatican n’a pas abandonné l’idée de canoniser un jour Pie XII, et personne au Royaume-Uni n’a encore suggéré de faire du Lord Chambellan un saint.

Enquête au Vatican : le pape et le diableSérie documentaire réalisée par Max Serio (UE, 2023, 4 × 50 min). Diffusée sur Histoire TV et disponible à la demande sur MyCanal.

Jérôme Gautheret

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