« Être ingénieur au Maroc », un livre de Grazia Scarfo Ghellab

L'enquête a été réalisée sur la base de pas moins d'une centaine d'entretiens auprès d'ingénieurs marocains travaillant dans le Royaume, dont 20 femmes.


Présenté au dernier Salon international du livre de Rabat (du 10 au 19 mai 2024), voici un ouvrage de Grazia Scarfo Ghellab qui suscite l’intérêt. Pourquoi ? Par la dimension de l’enquête menée depuis des années sur le statut d’ingénieur au Maroc et ce dans cette perspective : celle des diplômes et du pouvoir (éditions Karthala, Paris, novembre 2023, 267 pages). Par le choix de cette hypothèse de travail également : en quoi le titre d’ingénieur est un atout particulier facilitant une place dans les « postes de pouvoir », celui des élites dirigeantes du Royaume ? Une problématique éligible à la sociologie de l’éducation : elle s’intéresse à la relation entre le statut de l’ingénieur d’une part et son statut social de maître – ce que l’on appelle la mobilité socioprofessionnelle.

Une élite d’État
L’ingénieur ? Il n’est pas dans la sphère du pôle de pouvoir mais dans celle d’une position de pouvoir, au niveau supérieur des « hiérarchies organisationnelles du secteur public », une élite d’État… L’enquête a été menée à partir de pas moins d’une centaine d’entretiens avec des ingénieurs marocains en poste dans le Royaume, dont 20 femmes. Cette méthode de sciences sociales s’est avérée utile en l’absence d’une base de données nationale sur les milliers d’ingénieurs, retraités ou en activité. C’était la seule option pour comprendre le monde des ingénieurs : comment devient-on ingénieur ? Quelle carrière ? Et comment se fait l’attrait et l’aspiration vers le secteur public ? Les réseaux corporatistes ne sont pas négligeables, comme celui de la Direction des ponts et chaussées, qui a lourdement investi l’appareil d’État et les entreprises publiques depuis le milieu des années 2000. Tous n’accèdent sans doute pas à des postes de direction, évoluant à des niveaux intermédiaires.

Mais il n’en demeure pas moins qu’il existe, à l’échelle mondiale, ce problème : celui des rapports entre technocrates et politique. Au terme de cette enquête menée pendant des années, Gracia Scarfo Ghellab explique les multiples chemins qui conduisent le diplôme d’ingénieur à la participation, à « la production et/ou à la reproduction des élites dirigeantes marocaines ainsi qu’à déclencher, plus largement, un processus de mobilité sociale ». Ce diplôme donne une valeur ajoutée non négligeable sur le marché du travail ; il valorise l’investissement éducatif ; il accélère et favorise le ticket d’entrée dans les élites du pouvoir.

L’auteur ne manque cependant pas de souligner « le fossé qui existe au Maroc entre mobilité scolaire et mobilité sociale ». Il évoque la faible compétitivité de l’offre de formation publique par rapport à celle du secteur privé – une sélection sociale accentuée par le déficit du système scolaire public. Un débat récurrent qui ne s’est pas – encore ? – traduit par des politiques publiques efficaces…

Bio-express
GRAZIA SCARFO GHELLAB

Sociologue italienne, elle est professeur de sociologie à l’Ecole Hassania des Travaux Publics de Casablanca où elle est installée depuis 1994. Elle a coédité deux ouvrages aux Editions Karthala : Les mondes universitaires face aux logiques de marché : circulation des savoirs et pratiques des acteurs, en 2011, et Etudier à l’Est, expériences de diplômés africains en 2025.

 
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