Que ses personnages soient niais ou sages, vulnérables ou féroces, Yasmina Reza n’a jamais voulu autre chose que leur rendre justice. Ou plutôt leur être juste. Le rire puissant qu’elle provoque en nous, au théâtre comme dans ses livres, n’est pas un spasme vénéneux. C’est un élan de lucidité, un moment de vérité : cet homme assis nu au bord du lit, cette femme qui fait de petits pas de danse au milieu du salon nous apparaissent soudain non pas dans leur posture ridicule, mais dans notre vulnérabilité universelle. Cartographe de la solitude humaine, Yasmina Reza devait, un jour ou l’autre, aller exercer l’acuité de son regard dans les tribunaux. Récits de quelques faitsson nouveau livre (Flammarion, 240 pages, 20 euros, numérique 15 euros), mêle ainsi souvenirs personnels et récits de procès ordinaires ou sensationnels. Elle a su y retrouver ses personnages habituels, « au-delà de toute espérance », et avec eux le grand sujet de son œuvre : les corps assaillis par l'usure du temps, la vie en proie à la désolation.
Lire la critique de Régis Jauffret | Article réservé à nos abonnés « Histoire de faits certains » de Yasmina Reza : comme un conte pour adultes
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D’une certaine manière, vos livres ont toujours eu pour but de mettre en accusation l’existence humaine et son insignifiance. Mais c’est la première fois que vous vous essayez à la forme du compte rendu de procès. Pourquoi ?
Cela fait maintenant une bonne quinzaine d’années que je vais aux procès. Au début, j’y allais sans prendre de notes. Par curiosité. Beaucoup d’écrivains s’intéressent à l’actualité, à ce que nous croyons différent de nous-mêmes. Mais les procès sont comme une petite boîte qui contient l’universel. Ce que nous croyons différent ne l’est pas. Aucun être ne se réduit à un seul instant, à une seule action. La société entière est convoquée au tribunal. Outre les premiers concernés, il y a la famille, les amis, les avocats, les fonctionnaires, les témoins… Au fond, c’est le monde familier. J’ai fini par y voir, à des niveaux très différents, ce que j’ai toujours questionné, l’imperfection de la vie. Les procès sont devenus un sujet à part entière, et non, comme je le croyais au départ, une Source d’inspiration accessoire. Je n’ai jamais écrit sur autre chose, la difficulté pour l’homme d’habiter le monde.
« Celle que l’on croit différente ne l’est pas », dites-vous… Dans un chapitre saisissant, vous racontez comment, avec d’autres lycéennes, vous avez un jour harcelé une enseignante. Dans ce livre où la violence et les crimes sont évoqués, est-ce une manière de conclure votre propre cruauté ?
J'entremêle des échelles très différentes dans Récits de quelques faitsque ce soit en racontant des crimes, des douleurs, des joies, et je me place au milieu des autres. J'invoque mes amis, ma propre existence. Je ne crois pas que la vie soit compartimentée. Elle est désordonnée, et passe du très banal à l'exceptionnel en un rien de temps. C'est un bain commun, avec plus ou moins d'opportunités, bon sang. Je n'ai pas pu m'en extraire. L'histoire de Mmoi Kling, qui était mon professeur d'histoire et de géographie, me hante encore. Cette femme, qui était gentille et douce, a disparu. Elle n'a plus jamais donné de cours. Je vois cette histoire comme une forme de crime silencieux.
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