Galerie Wilde : l’intelligence artificielle au service de la vie

L’intelligence artificielle donne vie à Wilde

L’artiste visuel britannique Mat Collishaw propose une réflexion esthétique sur la convergence parfois effrayante de la technologie et de la biologie.

Publié le : 18.09.2024, 11:40

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Parfois il se déplace paisiblement, parfois il tremble, il tressaille, comme en proie à une panique soudaine. Disposé sur une scène en miroir, cet impressionnant squelette de cerf animé domine l’espace de sa haute stature, à la fois gracieuse et cauchemardesque. Baptisé « Insilico » et conçu par Mat Collishawl’installation occupe le rez-de-chaussée du Galerie Wildequi, avec « Vivisystems », offre à l’artiste britannique sa première exposition personnelle à Genève.

L’artiste plasticien de 58 ans livre en trois chapitres une réflexion fascinante – et dérangeante – sur les similitudes dans le fonctionnement des systèmes informatiques et du monde naturel, ainsi que sur leur convergence. « En utilisant l’intelligence artificielle (IA) pour créer des images pour mon travail, j’ai vu les choses devenir récessives au fil des mois, comme dans un code génétique, explique-t-il. J’avais l’impression de voir naître un extraterrestre, c’était assez effrayant. »

Abus de X

Creepy se révèle aussi être la raison pour laquelle la carcasse du grand cerf panique : « J’ai conçu cette créature pour démontrer la nature toxique des réseaux sociaux », poursuit le natif de Nottingham. Car cet animatronique de résine, d’aluminium et de métal comprend un circuit électrique relié à un logiciel qui évalue l’intensité des insultes adressées à certains individus sur X (anciennement Twitter) – un écran au dos de l’œuvre affiche le flux en direct et le code utilisé pour déterminer les résultats.

Plus le niveau de maltraitance est élevé, plus la bête se débat. « Je voulais une sculpture qui puisse représenter ce sentiment de haine et ses effets, explique Mat Collishaw. J’ai choisi le cerf parce que, dans l’iconographie catholique, il est le symbole du Christ martyr. Et c’est un animal noble et vénérable : il est douloureux de le voir acculé et abattu par les chasseurs. » Ou torturé par des comportements collectifs sur la Toile.

Quant au titre de la pièce, « Insilico », il reprend le néologisme d’inspiration latine imaginé par analogie avec l’expression « in vitro » : il ne s’agit plus d’une expérience réalisée sur de la matière vivante, mais à l’aide de modèles informatiques.

La discussion se poursuit à l’étage, où sont accrochées une série de peintures à l’huile qui semblent tout droit sorties du XVIIe siècle.et Siècle flamand. Réunies sous le titre « Alluvion », ces toiles présentent, au premier abord, de très belles natures mortes mêlant fleurs et insectes. Lorsqu’on les regarde d’un peu plus près, on s’aperçoit que le végétal et l’animal sont si intimement liés qu’ils s’hybrident parfois, donnant naissance à de monstrueux bouquets composites.

Les pétales deviennent des ailes de papillon, des antennes poussent à la place des étamines et quelques longues pattes se prennent pour des tiges. « J’ai été fasciné par un livre qui explique le phénomène de Le mimétisme pouyannienque l’on observe notamment chez les orchidées, révèle l’artiste. Ces fleurs mettent en place un mécanisme de séduction visuelle afin de tromper les insectes qui pollinisent et propagent l’espèce.

« Pas de langage fondamental », 2023. Huile sur toile sous cadre en bois.

Processus Frankenstein

Mat Collishaw a utilisé l’intelligence artificielle pour générer ces images, à mi-chemin entre l’âge d’or de la peinture hollandaise et un processus d’expérimentation à la Frankenstein. « Au fur et à mesure, les images ont muté, comme des organismes vivants », explique-t-il. Le fait qu’elles soient incarnées dans le médium très classique de la peinture à l’huile les rend aussi envoûtantes que troublantes, car elles perturbent aussi nos références en histoire de l’art : traditionnellement, la nature morte est censée nous rappeler le caractère éphémère de la vie, une vie devenue ici dangereusement synthétique.

« Toutes les aventures durables », 2024. Huile sur toile.

La troisième partie met également en scène un métissage de fleurs et d’insectes qui ont fusionné encore davantage. Comme si, par manipulation, le naturel et l’artificiel avaient donné naissance à des organismes mutants, qui s’affichent en grand format sur les murs. L’originalité, une fois encore, réside dans le support : les efflorescences de leur vase ont été tissées sur un métier Jacquard, première machine mécanique bénéficiant d’un système programmable à cartes perforées, inventé en 1801 par le Lyonnais Joseph Marie Jacquard.

« Cette machine est en quelque sorte le précurseur de l’informatique moderne », explique l’artiste plasticien anglais. « Elle ouvre la voie à la naissance, dans les années 1840, du premier logiciel. » La représentation de ces bouquets biologiquement futuristes dans le tissage de soie éminemment solennel de la tapisserie a quelque chose d’un présage. Et personne ne sait si c’est un bon présage.

« Ces origines insensées », 2024, tapisserie Jacquard.

« Mat Collishaw : vivisystems », jusqu’au 2 novembre à Wilde, 19, bd Georges-Favon. Mardi-vendredi 14h-19h, samedi 11h-17h

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