« La société française est aveugle au fait colonial »

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YANN LEGENDRE

Artiste et entrepreneur culturel, Sofiane Si Merabet, 43 ans, est l’auteur de L’Arabe confus (Belfond, 236 pages, 20 euros). Il anime le compte Instagram @theconfusedarab et interroge les identités et les mémoires arabes.

Vous expliquez que la nostalgie est le sentiment le plus partagé entre les différentes communautés arabes. Pourquoi ?

Le mot « nostalgie » n’a pas de connotation négative parmi les Arabes. Le HaneenC’est un sentiment avec lequel on a grandi, que ce soit dans la diaspora ou dans les sociétés arabes. Dans la diaspora, c’est le mythe du pays perdu. Mais même les gens qui restent dans leur pays élèvent leurs enfants avec cette idée que c’était mieux avant.

Chez les Arabes, cette nostalgie se double d’un sentiment de déclassement civilisationnel lié au mythe de l’Andalousie, au panarabisme, etc. Il y a une volonté de se rassurer en se tournant vers le passé. Aujourd’hui, cette façon de penser est remise en cause grâce aux diasporas installées dans les pays occidentaux. Il y a aussi l’influence des pays du Golfe qui parviennent à montrer un autre rapport au présent et à l’avenir.

Vous vivez aux Émirats arabes unis. Vivez-vous en quelque sorte un double exil ?

Mon départ vers le Golfe a été volontaire et lié à une volonté de reconstruire mon identité. J’y suis allée pour la première fois en 2004. Voir des panneaux en arabe sur des bâtiments modernes m’a fait comprendre qu’il ne s’agissait pas seulement d’une langue du passé liée à la religion. Cela a agi comme un pansement sur le fait que mon identité arabe avait été niée et mal comprise dans la société française.

J’ai une double nostalgie, celle d’une Algérie rêvée et celle de la France que j’ai quittée. Dans mon enfance, on m’a appris : « L’Algérie, c’est ton identité, et qu’elle soit bonne ou mauvaise, c’est une partie de toi. » C’est ce qui m’a aidé à être curieux et plus affirmé dans ma construction identitaire. Le fait d’avoir quitté la France il y a seize ans me permet de voir à quel point mon pays a changé. Si je suis nostalgique, c’est avant tout pour l’image que la France projetait au monde. Des mots comme « République », « laïcité », « égalité » avaient de la valeur. En retrouvant mes identités arabes, j’ai appris à aimer encore plus mon identité française. Jordan Bardella et Eric Ciotti n’ont pas le monopole de dire ce que devrait être la France.

Votre départ de France a-t-il été plutôt choisi ou subi ?

J’avais un emploi avec des perspectives d’évolution en France, ça se passait très bien, même si j’étais rattrapé par le plafond de verre. Je suis parti parce que j’avais besoin de vivre dans un pays arabe. Le Golfe a été pour moi une révélation. J’ai compris que les Arabes n’étaient pas condamnés à la pauvreté et au sous-développement. Dans le Golfe, il y a un imaginaire précolonial qui permet d’échapper à l’adversité directe et civilisationnelle.

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