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« La victoire de Turgis sur le Tour de vaut tous les points UCI »

A 68 ans, Jean-René Bernaudeau est un incontournable du peloton. Malgré un statut Pro Team « inconfortable », le Vendéen continue de développer le Team TotalEnergies et espère toujours briller sur le Tour de . World Tour, Tour de France, Pogacar, dioxyde de carbone, cyclisme amateur et transmission : long entretien avec un passionné de cyclisme.

Crédit : Olivier Chabé / ASO

A l’aube de sa 26e saison dans le peloton professionnel, Jean-René Bernaudeau n’a pas perdu son franc-parler. Accessible et ouvert, le Vendéen n’a pas hésité à nous accorder un entretien. Entre deux rendez-vous et en pleine semaine précédant le Vendée Globe, le directeur de la formation de TotalEnergies a évoqué pendant plus de 30 minutes son équipe et le cyclisme actuel, dont il se sent de plus en plus éloigné. Mais sans perdre son enthousiasme et sa passion.

Votre saison a été contrastée avec un début de saison difficilequelques belles performances sur des classiques puis une Tour réussie. Comment jugez-vous cette saison 2024 ?

C’est bien mieux que l’année dernière. Il faut rester humble, le haut niveau est fragile. C’est une belle saison qui a montré nos valeurs dans un milieu qui cherche ses repères.

Par contre, en termes de points UCI, vous faites moins bien que l’an dernier…

Ah les points ! Non, nous ne regardons pas les points. La victoire de Turgis vaut tous les points souhaités.

Absolument pas. C’est un règlement qui crée une hiérarchie liée aux points UCI. A partir de ces réglementations, vous devez savoir de quoi vous êtes capable de faire. Nous savons que nous avons subi ce changement de règlement qui impose de compter les points des 20 meilleurs coureurs de chaque équipe. Évidemment, les équipes de 30 coureurs plus un dévo qui les remplace en cas de problème ont mathématiquement plus de chances. C’est une course que nous avons perdue d’avance.

« Le World Tour n’évolue-t-il pas vers un circuit fermé à 18 équipes ? »

Vous dites que le World Tour n’est pas un objectif…

Non, ce n’est pas un objectif, c’est une conséquence. C’est le leitmotiv quand je rassemble mes gars : le classement est une conséquence de notre performance, donc ça vient après. Quand on veut cultiver la victoire, il faut prendre le risque de perdre pour gagner. Si dans son subconscient on pense aux points, alors on assure, et si on assure, il n’y a plus de saveur. C’est un sujet compliqué, cette course aux points, et on voit bien que le système a montré ses limites.

Avec ce système, vous êtes entre la 19ème et la 21ème place. N’est-ce pas frustrant de ne pas être plus haut ?

Ce n’est pas frustrant, mais ce n’est pas confortable. Tudor et Uno-X représentent vraiment ce qu’est le sport, que de nouveaux projets émergent et ont la possibilité d’exister. Mais le World Tour n’évolue-t-il pas vers un circuit fermé à 18 équipes ? Je pense que le Bernaudeau de 2000 ne pouvait pas exister aujourd’hui. Ce système rassemble les organisateurs, les joueurs qui sont les équipes, et une autorité, l’UCI, qui doit régler tout ça. Et projetez ce que sera notre sport dans quelques années.

Avez-vous des demandes ou des conseils à adresser à l’UCI pour le développement du cyclisme ?

Nous avons la chance de voir des acteurs sportifs et autres faire des choses qui ne devraient pas être faites. On parle d’achat de contrats, de coureurs, on a même des équipes qui ont acheté leur place dans le World Tour. Je ne veux pas que le mot « acheter » fasse partie de notre vocabulaire. Il faut former, recruter, développer un projet. Nous avons un projet basé sur le sport étude de La Roche sur Yon, de la Vendée U et de l’équipe pro. Où l’UCI nous place-t-elle ? Sommes-nous importants pour eux ? On ne peut pas changer, on a un sponsor qui nous suit, on a des révélations avec Jeannière, Vercher, Burgaudeau, Gachignard, on a une dose de plaisir assez importante.

A votre écoute, on comprend que vous préférez gagner deux courses avec des coureurs formés en Vendée U, que de remporter le Tour avec un coureur recruté au prix fort.

J’ai la chance d’avoir un sponsor puissant, mais si demain il me demande de gagner le Tour, on pourrait recruter des watts et des points, mais ça n’a aucune saveur. Donc je ne le ferais pas. Mon sponsor non plus. Nous sommes là pour donner du sens à ce que nous faisons, et le sport de haut niveau a deux axes de progression : l’attractivité et la crédibilité. Moi, aujourd’hui, j’aime beaucoup Pogacar. Il est gentil, mais inhaler du dioxyde de carbone est mauvais pour la réputation du cyclisme. Pour moi, ce n’est pas bon. C’est quelqu’un qui crée de l’émotion, mais inhaler du dioxyde de carbone, c’est dramatique, je vois des enfants dans les écoles de vélo demander si on a la machine pour ça ! C’est dramatique. L’important c’est la crédibilité.

Comment résoudre cette évolution et ses problèmes ?

Je veux de la gentillesse, et surtout je veux construire des hommes de valeur. Nous avons bien développé le centre de performance avec Maxime Robin, nous avons un chercheur CNRS qui vient de rejoindre l’équipe, nous investissons dans le développement de notre structure. Là pendant 8 jours, tous les étudiants sport études de La Roche sur Yon sont passés entre les mains de nos ergonomes. On cherche notre place, je crois qu’on l’a trouvée, on se penche et je pense qu’on va montrer qu’on a raison. Il faut que les gens comprennent que nous ne faisons que du sport et que quand le sport se passe bien, les affaires viennent d’elles-mêmes.

Vous avez trouvé votre place avec ce projet local, à forte identité. Mais ça ne peut exister qu’avec le Tour de France, non ?

Oui, le Tour de France est vital pour nous, c’est une évidence. Désormais, le Tour de France n’a jamais été endommagé. Nous avons respecté le Tour, nous l’avons aimé, nous l’avons embelli et nous l’adorons. Ce ne sont pas des mots publicitaires, ils sont réels. Notre histoire est profonde et nous espérons ne pas être exclus d’un monde qui emprunte la mauvaise voie.

Pensez-vous pouvoir participer au Tour de France 2025 ?

On a fait un joli Tour en 2024, on a beaucoup de jeunes. Je pense que Mathéo Vercher a fait un Tour magnifique, nous sommes à la hauteur. Notre équipe a toujours été là et en 2024, il me semble que nous sommes la meilleure équipe française. Nous avons honoré le Tour de France qui nous permet d’avoir un sport magnifique, et nous l’avons toujours respecté. Nous étions acteurs à chaque fois.

« Alaphilippe m’a dit que ça n’avait pas d’importance, il a fait son choix par instinct. Limitez-vous à un tirage au sort. C’est la vie “

Vous avez beaucoup de coureurs prometteurs et très intéressants qui ont réalisé une belle saison. Cependant, comment construire un projet pour le Tour de France sans une grande tête d’affiche comme Julian Alaphilippe ?

Nous l’avons déjà fait, cela n’a pas toujours fonctionné pour nous, mais nous ne devons pas perdre notre âme. Julian, on lui a fait une très bonne offre, c’était pour rien, il était même mécontent d’avoir un choix aussi difficile à faire. Maintenant qu’il a fait ce choix, c’est la vie. C’est une équipe qui a fait un recrutement XXL, il en a peut-être tenu compte car il ne voulait pas être seul tête d’affiche de notre équipe. Il m’a dit que cela n’avait pas d’importance, il avait fait son choix par instinct. Limitez-vous à un tirage au sort. C’est la vie.

Vous avez abordé le sujet plus tôt, le cyclisme amateur est en crise. Les clubs ferment, Le cyclisme devient un « sport de riches »de nombreux parents ont peur que leur enfant fasse du vélo : les problèmes s’accumulent. Avez-vous des suggestions?

J’ai la chance de vivre dans un département qui me soutient, et nous avons beaucoup de projets pour les juniors et les cadets. Des choses très simples à réaliser qui demandent du bon sens de la part du département vendéen. On va le faire : prêts de vélos, courses en circuit fermé. Ensuite, le secteur professionnel doit prendre conscience qu’il n’est pas mécontent. Cependant, lors de la signature d’un contrat professionnel, certains clubs ne reçoivent pas d’appel téléphonique. Un club qui a fait des efforts pour former le jeune, qui a beaucoup investi, n’a pas de coup de fil, n’est pas sur la photo. Il n’y a rien.

Nous nuisons au bénévolat et détruisons la pyramide. En Vendée ce n’est pas le cas car on se parle. Quand on signe un contrat professionnel, c’est un événement. Mais pas pour tout le monde. Souvent, ce sont les agents qui gèrent tout, dès le niveau junior. Je me bats contre ce système. Dans mon équipe, il y a plus de la moitié des coureurs qui n’ont pas d’agent. Il n’y a plus d’autres équipes comme celle-ci. Nous les conseillons, nous répondons à leurs questions, nos portes sont ouvertes, nous pouvons discuter sans souci. Vous n’avez pas besoin d’un agent pour en discuter.

Il faut donc mettre en œuvre des projets simples, mais au détriment du sport ?

Le vélo coûte cher, c’est une évidence. Et en plus, les jeunes de 12 à 16 ans ont une croissance qui peut leur faire gagner 10 cm dans l’année. Donc le vélo, les chaussures, c’est trop petit. Il y a donc un modèle économique à créer. Nous avons lancé le prêt vélo, et nous allons faire de l’éducation. Les mercredis d’hiver, lorsqu’il pleut, nous allons à des ateliers pour apprendre à entretenir son vélo. Faites des choses classiques.

« Comment gérer un bike park avec des enfants qui gagnent jusqu’à 10 cm par an ? »

D’un point de vue financier, vous avez une bonne solution pour les jeunes, mais qu’en est-il des clubs ?

On peut effectivement parler de l’indemnité de formation, mais elle n’aidera pas les petits clubs, seulement les grands. A un moment, j’ai parlé d’indemnisation pour le dernier et premier club formateur, avec l’obligation pour les représentants de venir sur la photo. Pour célébrer ce moment avec le gamin qui vient de devenir pro. Ce n’est pas une solution, mais cela fait partie du respect du bénévolat. Mais alors, comment gérer un bike park avec des enfants qui gagnent jusqu’à 10 cm par an ? J’ai un fils qui a un magasin de vélos, et qui dit à ses parents : ‘achète-lui un vélo d’occasion parce que dans 6 mois ton enfant aura grandi et le vélo sera trop petit et après je le reprendrai’ de toi en même temps. prix’. Nous sommes dans cette démarche.

Aujourd’hui, la structure s’est agrandie, nous l’avons élargie avec le pôle performance, que Benoît Genauzeau a développé. Benoit a assumé de plus en plus de responsabilités, donc chaque tâche qu’il assume est une responsabilité de moins pour moi. J’aimerais continuer jusqu’à pouvoir complètement transmettre mon équipe. Mais aujourd’hui je ne suis pas épuisé, j’ai plein de projets et d’idées, je suis bien soutenu par mon service, donc il n’y a pas de feu pour les transmettre.

Avez-vous des candidats pour prendre votre place ?

Je ne parle pas des candidats, parce que ça ne se vend pas, ça se transmet. Je ne cherche pas à vendre. J’ai déjà eu des offres de rachat, mais j’ai coupé court aux discussions.

J’ai reçu une offre de quelqu’un de l’extérieur, qui ne fait pas partie de l’entreprise. Mais ce n’est pas mon esprit et la philosophie de ce que j’ai construit depuis 25 ans. J’ai beaucoup d’hommes dans l’équipe dont je suis proche et qui sont fidèles. Peut-être qu’ils seront deux pour me remplacer, c’est peut-être la meilleure chose. En tout cas Benoît Genauzeau est bien placé.

Thomas, c’est autre chose. Il compte tellement pour cette équipe, c’est notre emblème, c’est quelqu’un qui coche évidemment beaucoup de cases, mais rien n’est fait du tout.

 
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