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« Le cyclisme, c’était peut-être vivre avec trop d’aides publiques… » confie Yvon Caër sur la crise du cyclisme amateur

Que vous inspire la fin des équipes Morbihan Adris GOA et Cre’Actuel Marie-Morin U 22 ?

Qu’il nous faut simplement ouvrir les yeux sur la réalité sociale et la réalité économique. Il y a deux ans, nous avions cinq équipes de N1 en Bretagne. Cinq équipes mais par rapport à la base du cyclisme breton, c’était trop. Beaucoup trop. Idem : il y a deux ans, il y avait 30 formations N1 en France, mais qu’est-ce que cela signifiait ? C’était tout simplement absurde. Les équipes couraient après le label N1, N2 ou N3 pour chasser les subventions communautaires qui vont avec. Il fallait être en N1 car on savait que la région allait beaucoup donner et que le département allait beaucoup donner. C’est fini.

Plutôt que de payer des semi-pros pour faire du vélo, payons des éducateurs, entretenons des vélodromes, etc.

C’est de cette réalité économique dont vous parlez…

Nous entendons parler quotidiennement des dettes publiques. Comme la société, le cyclisme vivait peut-être avec trop de soutien. Est-ce le rôle des conseils généraux et départementaux de financer le sport de haut niveau ? Nous avons le droit de poser la question. Était-ce le rôle de la région de financer une équipe professionnelle ? Pour moi, ce n’est pas leur vocation. C’est évidemment louable d’aider le vélo, mais c’est la base du vélo qu’il faut aider : les écoles de cyclisme, aller dans les écoles pour inciter les enfants à faire du vélo, aider les éducateurs, etc. Dans les écoles de cyclisme, ce sont encore les papys qui doivent chercher après les enfants. Chapeau bas mais quand même… Plutôt que de payer des semi-pros pour faire du vélo, payons les éducateurs, entretenons les vélodromes, etc.

Quel était le budget de la DN1 du Bic 2000 à l’époque ?

150 000 euros (celui du Cre’Actuel Marie-Morin U 22 tournait autour de 400 000 € et celui du Morbihan Adris GOA était plus élevé). Nous avions un employé et demi. Combien en ont les N1 aujourd’hui ? (Trois pour l’équipe costaricienne, plus pour la structure morbihannaise). Pourquoi tant ? Nous, avec 150 000 euros en cash, nous avons fait la saison. Alors oui, c’était du ric-rac, mais c’est passé.

Comment y êtes-vous parvenu ?

Nous venions juste de nous débrouiller. C’était un peu démodé mais, pour plusieurs raisons, cela a fonctionné. Déjà, j’avais des bénévoles pour me soutenir, de vrais bénévoles. Les gens ont aimé venir avec nous à la course. Payé zéro. J’avais des retraités qui s’occupaient de la mécanique et qui adoraient ça. Et puis, nous n’avions pas de cavaliers salariés. Mes coureurs étaient rémunérés en fonction de leur niveau et de leur éloignement géographique, point barre. Avec notre directeur sportif salarié, c’est moi qui établissais les plans d’entraînement. On nous a prêté des vélos gratuitement grâce au frère d’un de nos dirigeants, on nous a prêté des voitures, nos sponsors ont financé notre carburant. J’étais heureux lorsqu’une équipe professionnelle m’a donné 200 canettes.

Aujourd’hui, les équipes amateurs sont plus professionnelles ?

Le milieu amateur s’est professionnalisé. Pour qui, pourquoi, je ne sais pas. À quoi ça sert, de toute façon ? Les N1 ont des coachs rémunérés. Il y a des gens embauchés sur une base professionnelle. Désormais, les bénévoles veulent être payés. On connaît la crise des bénévoles… Quand on commence à rémunérer les bénévoles, ça devient compliqué.

Ce n’est pas le cyclisme amateur qui va dans le mur, c’est le cyclisme qui va dans le mur !

Pourquoi le Bic 2000 a-t-il fini par mettre la clé sous la porte ?

Pour plusieurs raisons. Une question de budget, déjà. Comme il y avait de moins en moins de coureurs de niveau DN1, les nôtres sont devenus plus exigeants financièrement. Au final, on a fini par vivre au-dessus de nos moyens, on était dans la surmultipliée. Et puis, nous avons perdu du jour au lendemain notre statut d’équipe de réserve professionnelle (de Bretagne – Séché Environnement au profit de VCP Loudéac). Et comme l’aide matérielle de l’équipe pro a été très importante… On a vécu le changement.

Avez-vous l’impression que le cyclisme amateur va au mur ?

Non, ce n’est pas le cyclisme amateur qui va dans le mur, c’est le cyclisme qui va dans le mur ! Le haut niveau amateur n’est pas du tout représentatif de la base du vélo et ce qui rentre dans le mur, c’est la base. Les juniors, les cadets… Alors, on dit qu’il n’y a plus de courses mais il n’y a plus de courses parce qu’il n’y a plus de coureurs ! Dès qu’un cadet remporte trois courses, nous voulons en faire un professionnel ! Autrefois, ils étaient 50 à remporter trois courses dans le département. Le haut niveau amateur va juste dans le sens de la base du vélo qui va très très mal. Dans le monde professionnel, il y a de plus en plus d’argent, dans le monde amateur, c’est l’inverse.

Comment pensez-vous que nous en sommes arrivés à ce point ?

En quelques années, tout s’est dégradé. Une fois de plus, le milieu amateur s’est professionnalisé. Nous avons assisté à une inflation des budgets totalement inappropriée. Pour moi, un coureur amateur est un coureur amateur. Il va à l’école, il fait du vélo et il doit prendre son temps s’il veut passer au niveau supérieur. Regardez Laurent Pichon : il est passé professionnel du VCP Lorient où il n’était pas payé et cela ne l’a pas empêché de faire une belle carrière. Maintenant, on professionnalise les enfants : dès qu’ils sont juniors, on leur dit que ça ne vaut plus la peine d’aller à l’école. C’est un non-sens total, un non-sens total ! On les fait rêver en les faisant intégrer une équipe continentale à 19 ans et certains qui n’ont pas le niveau se retrouvent sur le parquet à 20 ans. Certains cavaliers sortent des juniors et se retrouvent à concourir sur le Grand Prix La Marseillaise ou la Route Adélie. On marche sur la tête ! Brieuc Rolland a un parcours exemplaire : il a fait une saison en N1, deux en continental et là, il a atteint le WorldTour. Ce que font l’équipe de La Crêpe de Brocéliande et Sportbreizh sert également d’exemple.

Êtes-vous inquiet pour l’avenir du cyclisme ?

Oui mais pas parce que le haut niveau amateur évolue. Nous vivons une période extrêmement grave. Désormais, les enfants doivent conduire une heure et demie ou deux heures avec leurs parents pour participer à une course de 45 kilomètres. Au bout d’un moment, ça s’use. Pire encore, un enfant qui n’a pas de vélo à 4 000 euros se fait moquer par les autres et ça m’inquiète aussi. Le cyclisme est en train de devenir un sport de riches. Désolé mais la réalité est là. Le vélo a perdu beaucoup de ses valeurs. Et puis, c’est un sport difficile, dangereux. Les organisateurs arrivent eux aussi à saturation. Oui, j’ai des raisons d’être alarmiste.

Vous êtes directeur sportif au sein de Groupama-FDJ. Comment le monde professionnel perçoit-il la crise du cyclisme amateur ?

Il est un peu déconnecté. Le milieu professionnel a vocation à rendre des comptes à ses partenaires. Mais oui, il est un peu déconnecté.

 
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