À première vue, la rentabilité des pharmacies connaît des temps sombres. Certainement, « en 2023, l’officine avait conservé une certaine somme de trésorerie liée aux activités Covid-19 des années précédentes, permettant de maintenir la rémunération du dirigeant à un niveau assez élevé »note Bertrand Cadillon, comptable responsable du marché de la pharmacie chez Fiducial. Rémunération annuelle fixée, en 2023, à 60 000 € en moyenne selon les cabinets. L’excédent brut d’exploitation (EBE) avait, quant à lui, baissé de plus d’un quart en 2023 par rapport à 2022 (- 25,48%), selon le cabinet CGP. « La baisse de marge liée à la disparition des activités « Covid-19 », conjuguée à l’augmentation des charges d’exploitation, a entraîné, sans surprise, une baisse de la rentabilité mesurée par les performances commerciales et de gestion (PCG)corroborates Olivier Delétoille, chartered accountant at AdéquA. Cette rentabilité en base 100 était cependant plus élevé en 2023 par rapport à 2019, mais en dessous de l’inflation ». En 2024, la situation semble se dégrader, si l’on en croit l’enquête de trésorerie réalisée par la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), publiée le 15 octobre. Sur 2 600 pharmacies interrogées, 73 % constatent une dégradation de la situation. leur trésorerie entre août 2023 et août 2024. « Les courbes dépenses/revenus, très larges jusqu’à présent, commencent tout juste à se rapprocher du fait de la stabilisation de l’inflation. », Relativise cependant Julien Chauvin, président de la commission études et stratégie économique de la FSPF, qui reconnaît volontiers que « les effets positifs ne se feront pas sentir immédiatement ».
Quand la crise du Covid-19 a guéri celle des finances
Selon les experts, la dégradation de la trésorerie observée post-Covid-19 est à nuancer. Avec tests antigéniques, vaccination, « les années de crise sanitaire ont généré des résultats économiques en pharmacie, agissant comme un produit anesthésique »souligne Bertrand Cadillon. Chez AdéquA, « certaines pharmacies ont pu également bénéficier de prêts garantis par l’État (PGE) et d’un retard dans le paiement des charges sociales, qui doivent désormais être remboursées. »souligne Olivier Delétoille. L’ère du Covid-19 étant terminée, le réveil est douloureux pour certains. « Les pharmacies qui se portaient mal avant la crise rencontrent à nouveau des difficultés, et ce n’est pas une surprise, constate Bertrand Cadillon. Ils ne disposent plus de cet effet de levier pour améliorer leur trésorerie. Il n’est donc pas surprenant de voir certains d’entre eux disparaître. » Selon Interfimo, en forfait annuel, 39 pharmacies étaient déjà en redressement judiciaire en août 2024, contre 28 pour l’ensemble de l’année 2023. A la même date, 49 pharmacies étaient en liquidation, contre 53 en 2023. « Les pharmacies en difficulté peuvent être celles de petite taille, qui ont plus de mal à absorber la hausse des coûts, ou celles acquises pendant la période de crise sanitaire, hors de prix en raison de l’activité Covid-19, qui ont fait naître l’espoir d’une meilleure rentabilité que qui s’est réellement produit par la suite »analyse Bertrand Cadillon. « Heureusement, la majorité des pharmacies ont anticipé les baisses de trésorerie post-Covid-19 », poursuit Olivier Delétoille, qui se dit confiant sur la rentabilité des pharmacies en 2024 : « La trésorerie revient tout juste à un niveau normal. Durant les années Covid-19, elle a été dopée artificiellement. »
De nouvelles missions pour booster la rentabilité
Pour les experts, les leviers de rentabilité de l’officine résident désormais dans l’accompagnement des patients. Les tarifs de certains médicaments ont augmenté de 2,57 % en 2023 – grâce aux prescriptions hospitalières et à la vente de médicaments coûteux – amortissant l’effet de la baisse des prix des médicaments (source : CGP). Evolution positive également, mais plus relative, des frais d’ordonnance par boîte (+1,72%), ralentie par la baisse du nombre de consultations médicales de ville. Le défi est désormais d’assumer les nouvelles missions. « Il existe un potentiel de croissance pour les pharmacies, notamment grâce à la téléconsultation et à la e-santé, la pharmacie étant déjà l’une des activités les plus digitalisées, souligne Bertrand Cadillon. Elle doit maintenant apprendre à s’organiser, à planifier, à optimiser ses coûts de personnel, grâce à la formation. « Les groupes animent les échanges, accompagnent, aident à mettre en œuvre ce type d’outils numériques… »ajoute Emmanuel Leroy, leader national des partenaires santé chez KPMG. Autant de ressources génératrices de temps et d’économies qui doivent être considérées comme des leviers de rentabilité.