Si la musique est censée adoucir les mœurs, elle sait aussi remplir les tribunaux et égayer les fins de mois des avocats. Ainsi, les musiciens Gilbert Montagné et Didier Barbelivien viennent d’être condamnés en appel « pour plagiat » ; leur fameux tube Nous allons nous aimer étant, semble-t-il, un peu trop inspiré par une chansonnette qui, du coup, sort de l’oubli : Une fille de Francecréé en 1976 et interprété par le très oublié Gianni Nazzaro.
Mais quand on écoute « l’original », ce n’est pas ce qui saute aux yeux et encore moins aux oreilles. Didier Barbelivien, l’auteur à succès bien connu, a même confié à l’AFP : « Je suggère à tous ceux qui souhaitent écouter les deux œuvres de se faire leur propre opinion. Si vous écoutez, vous tomberez du placard. […] Peut-être que le refrain sonne un peu similaire… » Après une écoute attentive, il est vrai que les deux refrains en question présentent certaines similitudes.
Ce qui est somme toute assez logique, sachant que ce même Didier Barbelivien est l’un des co-auteurs deUne fille de Francewith Michel Cywie and Jean-Max Rivière.
Ce qui a fait dire à Didier Barbelivien : « Il n’y a pas de paroles en commun dans les deux chansons, et je suis bien placé pour le savoir puisque je suis co-auteur de la chanson plaignante. »
Le résultat ? Gilbert Montagné devrait continuer de percevoir les droits d’exécution pour Nous allons nous aimertandis que Didier Barbelivien peut toujours continuer à revendiquer ceux deUne fille de France. En revanche, condamnés conjointement à une amende de 30 000 euros, les deux artistes se pourvoient en cassation, alors qu’une nouvelle expertise devrait avoir lieu en Italie.
Là où cela devient intéressant, c’est lorsqu’on essaie de définir ce que peut être le « plagiat » musical. Didier Barbelivien étant l’un des auteurs de « la chanson plaintive », se serait-il donc auto-plagié ?
Il ne serait pas le premier : Indochine nous raconte la même mauvaise chanson depuis des décennies et aucun tribunal ne s’y oppose. Par la suite, reprendre la séquence d’accords d’une autre chanson peut aussi être une citation ; ou simplement un manque d’imagination. Dans ce domaine, il existe des précédents judiciaires restés célèbres, comme le procès intenté contre George Harrison, tout juste sorti des Beatles, avec son tube interplanétaire, Mon doux Seigneuraccusé d’être un peu trop proche Il va si bienLes Chiffons, groupe féminin américain et numéro 1 des ventes en 1963.
Fabrice Epstein, avocat au barreau de Paris, chroniqueur à Rock et Folk et auteur du très érudit Rock’n’Roll Justice (La Manufacture de livres), a le mérite de poser la question, lors de cet interminable procès entre les experts des deux parties impliquées : « Le public est technique, pianos, guitares, paroles, rythmes et mélodies inversés, analysés avec la rigueur d’un lave-vaisselle travaillant dans les cuisines du Ritz. Les experts d’Harrison tressaillent, il admet lui-même qu’il connaît la chanson pour l’avoir écoutée une douzaine de fois dans sa prime jeunesse. » Notez que la grille d’accords, en fa dièse mineur, est si banal qu’on le retrouve, à quelques bagatelles près, dans bien d’autres chansons. D’où cette déclaration assez farfelue du juge : « Harrison savait que la combinaison de sons fonctionnerait, car elle avait déjà travaillé sur une chanson dont son cerveau conscient ne pouvait se souvenir. » Et Fabrice Epstein de conclure, non sans malice : « Georgesle Beatle tranquille, trahi par sa mémoire bruyante. Plagiat inconscient pour les avocats ! »
Il semble que certains ne sachent plus quoi inventer pour mobiliser des tribunaux chaque jour de plus en plus débordés.
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