Elle aimait les hommes et les femmes, était adorée des foules au point de provoquer des émeutes. Sarah Bernhardt fut la première à nourrir sa légende de son vivant et à inventer le concept de l’autographe. Guillaume Nicloux (Le bout du monde, La nonne) a choisi de raconter les trente dernières années de sa vie, alors qu’au faîte de sa gloire, elle a vécu une histoire d’amour passionnée avec Lucien Guitry (Laurent Lafitte).
Dans ce film magnifique, tant au niveau des décors, des costumes que de la mise en scène intelligente, Sandrine Kiberlain fait preuve autant de fragilité que de fantaisie. Elle a répondu à nos questions.
Sarah Bernhardt est un personnage parfois difficile à appréhender. Comment avez-vous composé votre Sarah ?
Sandrine Kiberlain: « En allant voir l’exposition et en découvrant dans le scénario cet angle choisi par Guillaume : ces trente années de sa vie où elle est déjà une star. Au début, je ne pensais qu’au tragédien mais j’accordais beaucoup de confiance au cinéaste et à ce qu’il voulait faire de sa Sarah. Ensuite, j’ai travaillé à partir du scénario, j’ai beaucoup travaillé les dialogues. Il ne faut pas se laisser intimider par elle mais la traiter comme un personnage en lui disant le plus possible sa vérité. Par exemple, ce rire particulier que je lui fais, il me vient de je ne sais où. C’est comme quand, enfant, tu joues une fée. On invente une voix, une posture, une démarche. »
On peut considérer qu’elle était au-delà de la vie : elle vivait tout plus fort et en même -, elle était fascinée par la mort. Savez-vous pourquoi ?
« C’est parce qu’elle avait une vraie conscience de la fin de la vie donc elle se faisait un devoir de vivre pleinement même si cela impliquait d’être insolente, capricieuse, pas patiente. Elle a joué l’agonie comme personne, et à mon avis elle est devenue actrice pour avoir plusieurs vies. »
Elle mobilise pour Louise Michel, Alfred Dreyfus, contre la peine de mort. Cette soif de justice et de liberté vous est familière ?
« J’avoue que j’ai quelques points communs avec elle, même si je suis beaucoup plus introverti. Elle m’a donné envie d’oser davantage. Nous avons en commun de rechercher la liberté, qui a un prix. Être mère, indépendante, aimante, actrice et vouloir être aimée. J’ai aussi cette soif de justice, j’ai beaucoup de mal avec ce qui me semble injuste. »
Bien que passionnée par la justice sociale, on la voit néanmoins martyriser Georges Pitou, son serviteur incarné par Laurent Stocker. C’est un peu paradoxal…
« Oui, mais elle a choisi le serviteur le plus intelligent. Il est dans son intimité, fait partie du mobilier, des animaux sauvages, d’elle. C’est son bouc émissaire, il sait encaisser les coups. Il sait cependant comment y contrer. Ils s’amusaient ensemble, elle aimait les gens à son niveau. »
Sarah Bernhardt a été victime d’un antisémitisme terrible et même d’agressions physiques. Selon vous, pourquoi cette abjection refait-elle inévitablement surface ?
« Si je le savais, nous pourrions nous battre et faire quelque chose, mais c’est tellement incompréhensible et injustifié que c’est juste de la folie. Ceci est valable pour toutes les intolérances, c’est impossible à admettre, c’est le mystère de l’inhumanité. Et c’est très frappant de voir qu’il existait déjà à la fin du 19e. »
Si tu n’es pas aimé par l’homme que tu aimes, l’amour de la foule ne suffit pas
Sandrine Kiberlain
Qu’est-ce qui vous rapproche le plus de Sarah Bernhardt ?
« Sans doute le fait d’être une actrice comme elle, et puis de savoir qu’on peut être aimée de beaucoup de gens, mais que si l’on n’est pas aimée par l’homme qu’on aime, l’amour de la foule ne suffit pas. »
Elle était aussi une grande amante, des hommes et des femmes. Lucien Guitry a-t-il pris cette importance dans sa vie parce qu’il l’a quittée pour Charlotte Lysès, ou était-elle vraiment l’amour de sa vie ?
« Elle a eu plusieurs amours dans sa vie. Guillaume s’est attardé sur cette histoire car le fait que Charlotte Lysès ait épousé Sacha Guitry, après avoir été l’amant de son père Lucien, était très romantique. Mais Lucien Guitry avait une aura à la hauteur de Sarah, il était aussi une grande star à l’époque. Ils ont eu une liaison passionnée, mais il s’est marié cinq fois, il l’a même prise à témoin. Tous deux étaient des êtres libres avec, indifféremment, des maîtresses et des amants et ils s’aimèrent jusqu’à la fin de leur vie. »
Il y a cette phrase sublime lorsqu’elle s’apprête à jouer : « Je dois partir. » Comment le comprenez-vous ?
«C’est se débarrasser de ses vêtements, des bijoux qu’on aime, on quitte qui on est pour un moment, même si on n’en a pas vraiment envie. Par exemple, j’aime être moi-même. On porte le costume et le maquillage de l’autre, leur rythme, leur démarche, cela vous habite et vous éloigne un peu de vous-même. »
Un lynx et un serpent
Elle était également entourée d’une véritable ménagerie, est-ce un vrai lynx que l’on voit à côté de vous ?
« Exactement et je vous demande de l’écrire pour qu’il n’y ait aucun doute. J’ai réalisé à quel point c’était réel lorsqu’elle – parce qu’elle était une femelle – est sortie de sa cage. En plus, Guillaume m’a dit le matin qu’elle n’était pas du tout docile. Elle a d’abord regardé autour d’elle dans tous les coins, puis avec des morceaux de viande, nous l’avons fait monter sur la chaise longue et elle s’est frottée contre moi. Nous avons hésité car ce n’était pas sans risque, mais nous l’avons quand même fait. Je me suis conditionné et puis il y a une forme d’inconscience, on est habité par quelque chose. Je le ramène souvent aux jeux d’enfance : on se lance, on est content de jouer, on ne pense pas vraiment au danger. J’ai aussi une phobie des serpents et pourtant je mets cette énorme bête autour de mon cou. Mais Guillaume n’est pas pervers, il n’a fait que deux prises. »
Moi, j’oublie que je suis célèbre
Sandrine Kiberlain
Elle fit l’objet d’un véritable culte et son cercueil fut suivi par 600 000 personnes. Ce type de célébrité vous fait-il peur et comment gérez-vous votre propre notoriété ?
« Moi, j’oublie que je suis célèbre, je réserve ça aux moments où je joue, sinon je parle avec les commerçants, j’ai ma vie avec mes amis. Ma notoriété se résume aux gens qui, dans la rue, me parlent de mes films avec beaucoup de respect et c’est une récompense, ce n’est que de la joie. C’est très satisfaisant après toutes ces années d’être aimé des gens pour ce que je fais. On me parle de mon métier avec respect, il n’y a pas de fanatisme. »
Où vous retrouverons-nous ensuite : devant une caméra, derrière une caméra ou derrière un micro ?
« Peut-être les trois, mais pas en même - (rires). Je vais d’abord faire une série de tournages, en tant qu’actrice. En janvier, je commencerai le tournage Personne d’autre, de Jean-Baptiste Leonetti, avec Pierre Lottin, puis je retrouve Emmanuel Courcol pour banquise, avec Benoît Magimel. Ensuite, je serai mis en scène par Marc Fitoussi et je serai face à Isabelle Huppert dans La fameuse inconnuel’histoire de deux actrices qui se rencontrent. Et puis j’ai aussi un tournage de prévu avec Quentin Dupieux. Quant à la réalisation, j’en rêve, mais cela prendra beaucoup de -. J’ai déjà commencé à y réfléchir sérieusement mais avec tous ces tournages, ça va prendre du -. La chanson sera au moment où les Souchon sortiront de leurs concerts en trio. Nous avons déjà progressé sur les chansons avec Pierre et Alain. Nous n’habitons pas loin les uns des autres, nous nous retrouvons toujours heureux mais cela prendra du -. »
« Sarah Bernhardt, la divine » – 1h38 – mercredi 18 décembre.
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