NNé à Beyrouth en 1967, Alexandre Najjar est considéré comme l’un des écrivains majeurs du Liban et de la francophonie. Auteur d’une trentaine d’ouvrages traduits en douze langues, dont L’école de guerre, Le roman de Beyrouth, Le dictionnaire de l’amour libanaiset biographe du très célèbre Khalil Gibran, auteur de Prophèteil est lauréat de nombreux prix dont le Grand Prix de la francophonie de l’Académie française et le prix Méditerranée. Avocat de profession, ancien membre du conseil de l’ordre, directeur de L’Orient littéraire (le supplément littéraire quotidien L’Orient-Le Jour), ce courageux défenseur de la culture et de la liberté dans un pays qu’il adore, mais qu’il ose aussi regarder dans les yeux, répond à Indiquer à l’heure où la région connaît de nouveaux bouleversements avec la chute du régime syrien.
Le point : Le régime de Bachar al-Assad vient de tomber. Quelles sont les conséquences pour le Liban ?
Alexandre Najjar : Son régime dictatorial est tombé en un clin d’œil et son armée n’a pas combattu. Je ne crois pas à la spontanéité du mouvement d’opposition qui vient de le renverser : ses troupes sont bien équipées, bien organisées et elle a bénéficié de la complicité à tous les niveaux et de l’absence de réaction de Poutine. La chute de Bachar est d’abord une revanche pour de nombreux Libanais qui ont souffert pendant 40 ans de l’occupation syrienne et pour la famille de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri, dont l’assassinat a été perpétré avec son accord. C’est aussi un coup dur pour l’Iran et pour le Hezbollah, qui étaient par le passé venus en aide au régime syrien.
Cependant, nous nous interrogeons sur l’avenir étant donné que la situation en Syrie a toujours eu des répercussions militaires, politiques et économiques sur le Liban. On craint un nouvel afflux de réfugiés et que la nature du nouveau régime en Syrie n’exacerbe les antagonismes communautaires au Liban. Nous ne devrions pas répéter les mauvaises expériences de l’Irak après la chute de Saddam et de la Libye après la mort de Kadhafi, où le chaos a remplacé la dictature. Une partition de la Syrie, un peu comme à l’époque du mandat français, et l’expansionnisme de la Turquie d’Erdogan dans la région, notamment au nord de la Syrie, sont des éléments inquiétants.
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Prenez-vous au pied de la lettre les annonces de ce groupe islamiste se réclamant « modéré » ?
Le risque de voir les islamistes arriver au pouvoir est sérieux et la communauté internationale doit en être consciente. Nous devons à tout prix éviter de répéter l’expérience afghane. Le mouvement actuel se dit « modéré » mais nous devons rester prudents car il peut utiliser deux poids, deux mesures et parmi ses troupes se trouvent des milliers de fanatiques qui pourraient l’avaler et constituer un danger tant pour le Liban que pour l’Occident. qui a déjà subi les horreurs de Daesh…
Le Hezbollah doit se rendre à l’évidence : il doit maintenant s’aligner.
La chute d’Assad affaiblira-t-elle encore davantage le Hezbollah ?
Certainement ! Il a perdu un allié précieux, même si le régime d’Assad a brillé par son absence lors de la récente guerre entre Israël et le Hezbollah, et ses routes d’approvisionnement en armes sont désormais coupées. Le Hezbollah doit se rendre à l’évidence : il doit désormais rentrer dans le rang et devenir un mouvement politique comme les autres pour participer à la construction d’un Etat libanais digne de ce nom, loin de toute provocation ou hégémonie.
Êtes-vous soulagé par le cessez-le-feu au Liban ?
Bien sûr ! Nous avons vécu deux mois d’enfer. Le Sud, notamment les localités frontalières et les villes de Nabatiyeh et Tyr, la Bekaa, dont la ville historique de Baalbeck, et la banlieue sud de Beyrouth ont été bombardés sans relâche. Il y a eu 3 136 morts et 13 979 blessés, dont des centaines de femmes et d’enfants. J’ai vécu toutes les guerres au Liban depuis 1975. Jamais je n’avais vu des bâtiments s’effondrer comme des châteaux de cartes après avoir été visés par des raids aériens de Tsahal, jamais je n’avais vu des villages ravagés ou rasés ainsi. Nous avons eu plus d’un million de personnes déplacées…
Aujourd’hui, le pays tout entier est économiquement dévasté : les dégâts sont estimés à plus de 10 milliards de dollars et de nombreuses entreprises ont fermé leurs portes ou licencié une partie de leur personnel. Israël avait pour objectif d’anéantir le Hezbollah, mais c’est le Liban dans son ensemble qui a payé le prix de cette guerre. Cela dit, on a le sentiment que ce cessez-le-feu, qui a déjà permis à des milliers de personnes déplacées de rentrer chez eux, est encore précaire. Les Etats-Unis et la France, présents au sein du comité chargé de son suivi, devraient peser de tout leur poids pour éviter une nouvelle escalade. L’armée libanaise a également un rôle à jouer puisqu’elle est appelée à se déployer dans des zones sensibles pour éviter toute provocation.
Après ce cessez-le-feu, comment les différentes communautés vont-elles se positionner ?
Les Libanais espèrent que cette guerre débouchera, malgré sa cruauté, sur une nouvelle phase qui verra l’élection d’un Président de la République qui ne serait la marionnette de personne, et la formation d’un gouvernement dont la mission est de redresser le pays sur le bon pied. pistes. Le Hezbollah doit tirer les leçons de cette épreuve, s’aligner et privilégier l’action politique en vue de construire un État responsable de la reconstruction de ce qui a été détruit et d’engager les réformes nécessaires, loin de toute forme de corruption. La communauté chiite devra composer avec les autres communautés au nom d’un vivre ensemble équitable. Autrement, cela donnerait la part belle à ceux qui, estimant que cette cohabitation est organiquement impossible, prônent le fédéralisme, voire la partition du Liban.
Le Hezbollah a-t-il encore le choix de faire autre chose que de « s’aligner » ?
Elle a perdu son leader, Hassan Nasrallah, un véritable leader difficile à remplacer ; la plupart de son personnel militaire et des centaines de combattants ont péri ; son arsenal a été en grande partie détruit par les frappes aériennes. Sur le plan militaire et du renseignement, la suprématie technologique d’Israël s’est incontestablement imposée. De plus, il y a désormais, au Hezbollah, une crise de confiance à l’égard de ses alliés de l’axe de la Résistance, à savoir le régime syrien qui n’avait déjà pas bougé le petit doigt pour le soutenir – on comprend aujourd’hui qu’il n’était sans doute plus voire capable… – et l’Iran dont les timides démonstrations de force n’ont convaincu personne, sans parler de la prolifération d’agents infiltrés, des trahisons locales ou régionales, et des carences faramineuses du niveau de renseignement, notamment lors de l’épisode de l’explosion du téléavertisseurs.
Mais malgré ce constat, force est de reconnaître que le Hezbollah n’a pas été anéanti. Il a continué à se battre jusqu’au dernier jour et à envoyer des drones et des missiles vers le Golan et les villes israéliennes, d’où le triomphalisme affiché par ses partisans au lendemain du cessez-le-feu pour cacher les revers subis. Il faut aussi garder à l’esprit que le Hezbollah est fortement implanté dans le tissu social libanais depuis 40 ans, et que la plupart des chiites le soutiennent et soutiennent son « idéologie du martyre » de sorte qu’il est littéralement impossible de « l’éradiquer ». Qu’on le veuille ou non, il s’agit d’un parti libanais issu d’une communauté chiite représentant environ un tiers de la population et omniprésent au Parlement et au gouvernement…
Certains observateurs s’interrogent sur l’attentisme d’Israël depuis 2006 ? Comment l’expliquez-vous ?
À l’instar du Hamas, que l’État hébreu a vu prospérer, peut-être avec complaisance, le Hezbollah a repris de l’élan depuis la « guerre des 33 jours » de 2006 et a décuplé son potentiel militaire sous le regard impassible d’Israël qui n’a rien fait, en fait, pendant 18 ans. des années pour entraver son expansion ou ses approvisionnements, les Etats-Unis se contentant de sanctions financières sporadiques contre des individus ou des organisations accusés de financer le parti. L’État hébreu s’offusque aujourd’hui d’une menace dont il a pourtant vu évoluer et qu’il avait minimisé depuis l’accord sur la délimitation des frontières maritimes libano-israéliennes (en vue de l’extraction de pétrole et de gaz) conclu avec le Liban en 2022 sous sous l’égide du tandem chiite Hezbollah/Amal. En tout cas, s’il a tiré les leçons de ses erreurs passées, le Hezbollah devrait remettre son arsenal à l’armée libanaise et couper le cordon ombilical avec l’Iran pour, je le répète, participer positivement à la vie politique libanaise et contribuer à la construction d’un État digne de ce nom. du nom sans l’avaler.
Nous n’entendons pas beaucoup parler des chrétiens ? On dit qu’un bon nombre de personnes soutiennent de facto le Hezbollah contre Israël, mais quelle est la réalité ?
Les chrétiens, tout comme les sunnites et les druzes, ont fait preuve de solidarité, de civisme et d’empathie en accueillant des milliers de chiites déplacés dans leurs régions. Par exemple, la localité chrétienne de Deir el-Ahmar, au nord du Liban, qui compte 23 000 habitants, a accueilli 11 000 déplacés de Baalbeck ! Mais un certain nombre de chrétiens, ainsi que des Libanais d’autres communautés, ne voient pas d’un mauvais oeil l’affaiblissement du Hezbollah, estimant que ce parti « inféodé à l’Iran » a dépassé les bornes et « confisqué la souveraineté libanaise » en imposant au des choix de pays et une idéologie inacceptables pour la majorité de la population… Au niveau des partis chrétiens, la plupart ont déploré cette guerre, estimant que les actes de « soutien » à Gaza menés par le Hezbollah n’ont fait que jeter le Liban dans le chaos. la tanière du loup sans aider Gaza. Même le Courant patriotique libre du général Aoun, qui a conclu un accord avec le Hezbollah le 6 février 2006, s’en est distancé par l’intermédiaire de son leader Gebran Bassil, qui a demandé à son allié d’accepter un cessez-le-feu. le feu « indépendamment de Gaza » et d’appliquer la résolution 1701. Mais cette convergence de vues ne se vérifie pas au niveau du choix du Président de la République puisque chaque parti chrétien soutient un candidat différent, ce qui risque de prolonger la vacance au sein de la magistrature suprême. judiciaire. Il est grand - pour les chrétiens du Liban de s’unir politiquement en donnant la priorité à l’intérêt suprême du pays et en mettant de côté leurs éternelles querelles de clocher.
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Kangourou du jour
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Vous avez appelé dans nos colonnes, le 5 août 2020, juste après la terrible explosion dans le port de Beyrouth, à la chute des têtes, notamment celles des « zaïms », ces anciens chefs de milices « costumés », avez-vous dit, et « complètement corrompu ». Pourtant, on constate que la « mafiature », comme vous l’appeliez, est toujours en place…
Oui malheureusement d’où la nécessité d’élire d’urgence un nouveau Président de la République et de nommer un chef de gouvernement qui ne serait pas issu de cette « mafiature » pour mettre fin à la corruption à tous les niveaux et œuvrer à la renaissance du Liban.
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