bitcoin 2 (Crédits : Unsplash – André François McKenzie)
La valeur du bitcoin s’est envolée dès que les résultats de l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis ont été connus. Faut-il considérer cet actif comme une monnaie à part entière ? La question fait débat parmi les économistes. Si pour Philippe Trainar le bitcoin est une monnaie comme les autres, Catherine Lubochinsky s’interroge sur la rationalité, et le danger, d’inclure de tels actifs dans la diversification des portefeuilles.
Le cours du bitcoin a gagné 140% depuis le début de l’année et 370% sur les trois derniers mois, pour atteindre un peu plus de 90 000 euros à la clôture hier. Ces fluctuations justifient souvent l’interprétation du succès des cryptomonnaies comme le pur produit de la déraison financière et de la fraude. Le fait que le prix du bitcoin ait grimpé en flèche après l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis ne ferait que le confirmer. Sauf que le bitcoin, comme beaucoup d’autres cryptomonnaies, n’est rien de tout cela, ou très peu.
Éliminons d’abord l’argument « criminel ». La plupart des crypto-monnaies, principalement le Bitcoin, ne constituent plus pour les criminels un refuge sûr comme ils l’étaient autrefois. Les pouvoirs publics ont désormais acquis les connaissances nécessaires pour se doter des moyens de contrôler la plupart des cryptomonnaies concernant ces transactions, même si les choses peuvent encore être substantiellement améliorées.
Quant à l’argument de l’irrationalité et du profit, il ne meurt qu’à cause des fortes fluctuations du prix du bitcoin alors qu’il pourrait tout aussi bien s’appliquer à la détention de métaux précieux, voire de titres plus traditionnels, notamment de titres souverains comme ceux de Grèce, dont on rappelle que ce sont les gouvernements européens qui ont recommandé leur détention aux petits épargnants, au travers de contrats d’assurance-vie notamment, lors de la crise grecque.
Enfin, la création du bitcoin n’échappe pas au contrôle. Il obéit à un algorithme connu, précis et contraignant qui exclut les incidents similaires à ceux de nombreuses monnaies de banques centrales ou les détournements similaires à ceux du FTX. Elle ne dépassera pas 21 millions de bitcoins et les émissions annuelles diminueront désormais régulièrement selon cet algorithme bien plus contraignant que l’objectif d’inflation des banques centrales et qui a eu le - de démontrer sa crédibilité.
Les réactions du Bitcoin à l’élection de Trump confirment une fois de plus, s’il le fallait, le fait que le Bitcoin est un atout, et plus encore qu’un actif, une monnaie comme les autres. Sa valeur est directement proportionnelle au volume nominal des transactions qu’il est susceptible de représenter. Une réaction similaire avait déjà été observée lors de la décision du régulateur américain des marchés financiers, la SEC, d’autoriser l’émission de fonds indiciels en bitcoin et en ethereum. L’élection d’un candidat qui s’engage en effet à élargir les usages possibles des cryptomonnaies et qui a exprimé le souhait qu’elles concurrencent les monnaies des banques centrales afin de discipliner leur création et de mieux contrôler l’inflation, devrait très rationnellement soutenir le prix du bitcoin.
Petit à petit, de manière plus ou moins chaotique mais inexorablement, les cryptomonnaies, notamment le bitcoin, s’imposent dans le paysage financier et monétaire. La combinaison d’une utilisation croissante du bitcoin et d’une création marginale de bitcoins supplémentaires pourrait donner l’impression qu’investir dans le bitcoin est un « one best way », qu’il n’y a que des gains substantiels. à réaliser en investissant dans cette cryptomonnaie. Cette impression ignore cependant trois inconnues décisives.
La première inconnue concerne la taille potentielle du marché des cryptomonnaies et les transactions qu’elles pourraient représenter à l’avenir. La seconde concerne la taille du marché du bitcoin au sein de ce marché des cryptomonnaies, sachant que les banques centrales pourraient entrer sur ce marché pour concurrencer les cryptomonnaies existantes. Enfin, la troisième inconnue concerne la part des anticipations sur ce futur rôle qui sont déjà intégrées dans la valorisation actuelle du bitcoin. En raison de ces trois inconnues, la valorisation future du bitcoin reste encore bien trop incertaine pour constituer une monnaie ou un actif, voire marginal, pour les petits investisseurs.
Philippe Trainor
Membre du Cercle des Economistes,
Professeur honoraire à la chaire d’assurance du CNAM
L’une des principales leçons de la « théorie moderne du portefeuille » des années 1960 est qu’une diversification optimale dans un portefeuille efficace implique de détenir tous les actifs. Dans une première version, ce principe a été appliqué aux portefeuilles d’actions cotées. Le principe de diversification a ensuite été appliqué aux différentes classes d’actifs (monétaires, taux et actions) et aux différentes zones géographiques. La financiarisation des actifs réels a également permis d’élargir l’univers des actifs pouvant être intégrés dans les portefeuilles.
Au cours des 25 dernières années, la principale caractéristique de la gestion a été l’inclusion d’actifs dits alternatifs ou de stratégies alternatives. En bref, cela passe par l’inclusion d’actions dans des « hedge funds » et d’actifs non cotés (private equity, dette privée, infrastructures…). Une part importante de leur succès réside dans l’apparente supériorité de leurs rendements, que les indicateurs de performance (prenant en compte le risque) relativisent. Les investisseurs institutionnels se sont donc intéressés à ces actifs, ce qui explique la croissance remarquable des encours de ces actifs.
L’innovation la plus récente est l’inclusion des actifs numériques, facilitée par l’approbation des ETF Bitcoin et Ethereum par la Securities Exchange Commission en 2024. Ainsi les grandes sociétés de gestion d’actifs et les banques proposent de tels produits.
On peut s’interroger sur la rationalité d’inclure de tels actifs dans un souci de diversification de portefeuille. Il a été largement démontré qu’il ne s’agit pas de monnaies (contrairement aux monnaies numériques des banques centrales). Est-ce une réserve de valeur ? Evidemment si l’on compare le prix actuel avec celui à sa création, mais il ne faut pas oublier que sa volatilité est double de celle de l’or (calculs Bloomberg) et que son prix est essentiellement dû à l’extraordinaire succès de sa commercialisation, principalement via les réseaux sociaux, incitant de plus en plus d’investisseurs à l’acquérir alors que son offre est limitée.
Les partisans déclarent que Bitcoin est le nouvel or en tant que valeur refuge, mais les travaux universitaires ne semblent pas le confirmer (par exemple, S. Choi & J Shin, Bitcoin : an inflation hedge but not a safe refuge, mai 2022). Le prix du Bitcoin ne se comporte pas comme le prix de l’or en cas de chocs financiers, ce qui conduit à rejeter la comparaison entre les deux. Certes, son cours s’est envolé depuis début septembre, passant de 50 000 dollars à près de 100 000 fin novembre, porté par l’espoir d’une régulation plus souple, la démission de Gary Gensler (le président de la SEC qui a poursuivi Binance, Coinbase , Kraken et plusieurs autres start-up) et par la nomination d’Elon Musk dans un département dont l’acronyme est DOGE, tout comme la parodie crypto (qui ne vaut pas que des USD 0,40…). Même si le nombre d’Américains ayant échangé des actifs numériques a doublé en un an (16 % en 2024), oublier la très forte concentration des détenteurs, c’est oublier les possibilités de manipulation des prix.
Alors, une question fondamentale : faut-il les inclure dans les portefeuilles dans un souci de diversification ? Entre le FOMO (Fear of Missing Out) ou le Why Not, ou encore la stratégie Loto (100% des gagnants ont tenté leur chance), les arguments en faveur d’une telle stratégie sont nombreux.
Il ne faut pas s’opposer au progrès technologique (même s’il s’agit d’une hérésie environnementale). Les œuvres d’art, qui constituent une classe d’actifs, n’échappent pas à la révolution numérique et conceptuelle : la banane de Maurizio Cattelan, l’œuvre baptisée Comedian, a été achetée pour 6,2 millions de dollars par Justin Sun, un entrepreneur du numérique. Il l’a mangé quelques jours plus tard mais en organisant une conférence de presse et en invitant des influenceurs… tout en annonçant un investissement de 30 millions dans World Liberty Financial, le projet crypto familial de Trump. Et en espérant sans doute gagner la bataille que la SEC a lancée contre sa société TRON.
La créativité financière n’a pas de raison d’avoir honte de la créativité artistique ! Et n’oubliez pas les fruits et légumes dans votre portefeuille.
Catherine Lubochinsky
Membre du Cercle des Economistes
Professor at Panthéon-Assas University
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