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sa dernière interview avant son arrestation en Algérie

Le JDNews. Comment expliquez-vous l’hostilité croissante de l’Afrique à l’égard de la ?

Boualem Sansal. Les relations franco-africaines – je parle de l’Afrique francophone – sont passées de crise en crise depuis les indépendances africaines. C’est une routine, je dirais. L’hostilité envers l’ancienne puissance colonisatrice fait partie de l’histoire et de la mémoire. Mais les choses ont tenu grâce aux tout-puissants réseaux occultes de la Françafrique qui ont su « arranger la situation » et parfois la provoquer. Ces dernières années, nous avons dépassé l’hostilité : nous parlons de haine, de guerre, nous voulons rompre avec la France. Il y a une volonté d’achever la décolonisation au travail.

L’Afrique a eu ses héros de la décolonisation ; elle a aujourd’hui ceux de son émancipation et du rétablissement de sa souveraineté : ce sont les putschistes de Bamako et de Niamey. Au-delà de l’hostilité et de la guerre – psychologique pour l’instant – il y a de grands troubles autour de l’Afrique. Il semble qu’il s’agisse d’un enjeu mondial pour le siècle à venir et qu’une nouvelle conférence sur l’Afrique se prépare, sorte de réplique de la conférence de Berlin de 1884, organisée par Bismarck pour dépecer le mammouth. Africain.

Que pensez-vous du rôle des médias français dans ces relations dégradées ?

Les médias français sont si mauvais, si ignorants des réalités africaines et du arabe et musulman qu’ils ont été chassés d’Afrique et du Maghreb. Dans le passé, jusqu’au début des années 1980, ils disposaient dans chacun de ces pays de correspondants de haut niveau, qui avaient les moyens de travailler et à qui les portes s’ouvraient sans qu’il soit nécessaire d’en être informé depuis des mois. Aujourd’hui, ils n’ont plus rien, de vagues correspondants qui couvrent plusieurs pays, qui font du journalisme en salle, ou encore ils font appel à des pigistes locaux qui n’ont en réalité accès à aucune Source d’information, sinon ceux qu’ils inventent pour avoir quelque chose à dire. Désormais, ils font appel à des Franco-Africains, dits experts, vivant à Paris, qui disent ce qu’ils lisent dans la presse française. Le fond est atteint. Cercle vicieux, indigestion de serpents qui se mordent la queue.

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Et le rôle de l’Algérie dans tout cela ?

Jusqu’au début des années 1980, l’Algérie socialiste, révolutionnaire, panarabe, panafricaine, tiers-mondiste et non alignée a joué pleinement ce rôle d’agitateur. Elle se voulait leader de ces espaces, dans le cadre général de la lutte contre l’impérialisme, le néocolonialisme et la réaction. Alger était alors « la Mecque des révolutionnaires », ils venaient de partout pour recevoir des subventions, des armes, des conseils, des formations, du repos, et bénéficier des formidables outils diplomatiques et de renseignement que le gouvernement avait mis en place. Puis il y a eu la chute du mur de Berlin et les cartes ont été rebattues. À son tour, l’Algérie a été déstabilisée par des gens plus intelligents et mieux équipés.

L’Arabie et l’Iran veulent un monde arabe tourné vers l’Islam et les traditions et plus jamais vers les innovations révolutionnaires. Et l’Algérie se retrouve dans l’œil du cyclone : explosion de grèves et d’émeutes, montée de l’islam radical, terrorisme, guerre civile, ruine économique et sociale. Et son influence dans le monde tomba à zéro jusqu’à l’arrivée au pouvoir en 1999 de Bouteflika, le légendaire ministre des Affaires étrangères qui, sous la houlette de Boumédiène, remporta de grands succès aux quatre coins de la planète qui firent la fierté des Algériens et fait encore rêver certains aujourd’hui.

« Je suis devenu invisible pour plusieurs médias (Le Monde, Libérationetc). Est-ce délibéré ? »

Très vite, Bouteflika relance la machine diplomatique avec l’idée de reprendre le leadership de la belle époque. Son successeur, M. Tebboune, a repris la relève avec un certain succès. Il a mis mille fers au feu, dont on attend des résultats historiques, à propos du Maroc, de la France, de l’Espagne, de l’Arabie, bientôt de la Tunisie et de la Libye s’ils « normalisent » avec Israël, comme l’annoncent des rumeurs autorisées.

Avez-vous l’impression, en tant qu’intellectuel algérien, d’être mis sur la liste noire des médias français ? Si oui, par qui et pourquoi ?

En France, je ne sais pas, je n’ai pas les moyens de savoir. Je constate que je suis devenu invisible auprès de plusieurs médias (Le Monde, Libérationetc). Est-ce délibéré ? Je ne sais pas. Quand je dénonçais l’islamisme en Algérie, j’étais le bienvenu dans leurs colonnes et sur leurs ondes. Maintenant que je dénonce l’islamisme en France, ses amis, alliés et complices, je les dérange.

Que pensent les Algériens ou plutôt les Maghrébins du reste de l’Afrique ?

Pour eux, l’Afrique est un autre monde, totalement inconnu, séparé du leur par le plus grand désert du monde. Ils sont au sud et nous au nord. Les Africains ne connaissent pas mieux le Maghreb. Ils n’y voient qu’un dangereux obstacle sur leur chemin vers l’Europe. L’indépendance des pays africains et maghrébins pourrait être considérée comme le point de départ d’un lien fort, d’une véritable fraternité. Cela ne s’est pas produit, nous nous sommes ignorés plus que jamais. Les Maghrébins ont une indignation à sens unique : ils dénoncent avec force les actes racistes contre leurs migrants en France, mais ils applaudissent ceux qu’ils commettent chez eux contre les migrants africains. Je me demande si le monde, l’ONU, l’UA, l’UE le savent, s’ils n’en parlent jamais.

Comment expliquez-vous cette tendance française à l’autoflagellation ? Allons-nous nous en sortir et comment ?

C’est phénoménal, cela gagne du terrain partout en Occident et devient un danger pour sa cohérence et sa dynamique. Je ne comprends pas pourquoi les gouvernements ne s’inquiètent pas de cette épidémie galopante et ne prennent aucune mesure pour prévenir les catastrophes qu’elle finira par provoquer. Mieux encore, ils n’en parlent tout simplement pas, comme si le mal n’existait pas. Si on y ajoute le reste, dont on ne parle plus, le wokisme qui ruine le milieu universitaire, les doutes sur l’identité sexuelle qui torturent un nombre croissant d’enfants, le mariage pour tous, les GPA et PMA qui brisent la famille. , on peut commencer à croire que l’Occident se suicide et de la manière la plus drôle qui soit. Bonne affaire pour les Brics et les islamistes qui rêvent d’un grand remplacement. En d’autres -, l’Occident a connu l’épidémie du pacifisme : les objecteurs de conscience et les antimilitaristes refusaient de prendre les armes tandis que les hippies voulaient démolir l’ordre établi. Ce qui est inoffensif en - de paix devient suicidaire en - de guerre.

« L’Occident se suicide et de la manière la plus drôle qui soit ; une bonne affaire pour les islamistes qui rêvent d’un grand remplacement”

Je m’étonne également que les philosophes français, si prompts à commenter l’actualité, ne se penchent pas sur ces phénomènes destructeurs qui font aussi l’actualité et en outre suscitent de graves tendances sociétales. La France est envahie par la peur. La peur provoque chez l’homme comme chez l’animal l’une ou l’autre réaction, voire les deux à la fois : le sujet devient violent et attaque ou/et se soumet à la peur et va jusqu’à se mutiler pour bien montrer sa soumission. L’autoflagellation et le wokisme sont des actes d’automutilation symbolique, ils expriment l’expiation, la soumission, la préparation au suicide libérateur. La solution est que la France se redimensionne à la baisse pour retrouver cohérence et vigueur. Son statut de grande puissance, qui ne correspond à aucune réalité, l’épuise. Il faut le vivre comme un petit pays calme et neutre, qui vaque à ses occupations et prend soin de ses enfants. Le monde des adultes n’est plus pour elle.

 
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