Par
Julien Munoz
Publié le
2 décembre 2024 à 19h52
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Février 2015, dans un restaurant à Copenhague (Danemark). Dans le cadre d’une commission d’enquête, Éric Ciotti et Geneviève Gosselin-Fleury sont hébergés à l’ambassade. François Zimerayl’animatrice, penche pour la députée de la Manche après avoir appris qu’elle était l’adjointe de Bernard Cazeneuve. Il va se confesser. C’est lui, avec d’autres, qui a fait l’affaire : envoyer Bernard Cazeneuve à Octeville, où ce fut un désastre.
Découverte du socialisme cherbourgeois
« Nous le lui avons vendu en lui disant : tu verras, Octeville, c’est un charmant petit port de pêche ».
Le premier jour, Bernard Cazeneuve demande à être conduit au lieu du rendez-vous, à La Butte. Il a vite compris. Chaque mètre le rapprochait des hauteurs plutôt que de la mer. Un jour, il apprendrait à aimer ces jours tristes où le ciel semble écrasé, ces froids matins d’automne. Et des soirées de printemps sur le port, comme des arcs-en-ciel à conquérir. Il trouverait un jour une signification littéraire à ce territoire, un lieu pour écrire son histoire, vieille d’à peine trente ans.
Il avait « grandi » dans les ministères. Le moment de se jeter dans le bouillon de politique locale était venu.
Points de repère
1994 : élu conseiller général d’Octeville
1995 : maire d’Octeville
1997-2002, 2007-2012 : député
2004 : conseiller régional
2012 : Ministre des Affaires européennes
2013 : Ministre du Budget
2014 : Ministre de l’Intérieur
2016 : Premier ministre
« J’en avais entendu parler par des amis à Octeville, notamment Guy Savary. Cela ne m’a pas posé de problème, contrairement à d’autres. De toute façon, personne ne m’a jamais demandé mon avis ! Je l’ai invité, il m’a expliqué sa vision. Il a eu l’intelligence d’arriver non pas en sauveur, mais avec une envie de s’intégrer. Quelques années plus tôt, il y avait eu Olivier Stirn. C’était différent. Lui, au départ, nous avait été imposé. »
Avant de venir, Cazeneuve s’est entretenu avec Front. Cherbourg, sa gare, son silence, ses secrets mystérieux, c’était un autre défi, un goût pour l’aventure. Existez et servez là où vous vous y attendez le moins. Le reste viendrait.
À l’ère de la complexité, la vertu n’existerait pas sans humilité. Rien ne fait plus rire qu’un atterrissage en parachute. Au début, il se heurte. Jusqu’au jour où il semble qu’il ait toujours été là. « Il lui a fallu du temps pour comprendre que Le socialisme cherbourgeois est sorti de l’arsenalindicates Jean-Pierre Godefroy. L’arsenal était une culture. Quand j’étais enfant, mon père ne rêvait que d’une chose : que je réussisse le concours d’entrée aux apprentis de la Marine. Je voulais être enseignant, il ne l’a jamais voulu. Les élus municipaux d’Équeurdreville et de Tourlaville, plus de la moitié étaient des gars de l’arsenal. »
Sucette
Au départ, il était à La Postellerie de Bas. C’était soit de la brume, soit de la flotte. A Octeville, quelques années plus tôt, il y avait eu la guerre des Deux-Roses. La droite avait remporté les élections municipales sur les divisions de la gauche.
« Gabriel Soria, l’ancien maire PS, a été interpellé parce qu’il était trop autoritaire. Il a pris position, seul. Pas forcément mauvais non plus, mais sans aucune concertation. Plusieurs personnes qui avaient travaillé avec lui ne voulaient plus en entendre parler. »
C’est l’histoire d’un « gars très bien » qui s’était aliéné une partie du monde associatif.
En toile de fond, il y avait une rivalité assez silencieuse entre les Mitterrandiens et les Rocardiens au sein de la fédération. Certains avaient à cette époque des relations quelque peu privilégiées avec Fabius. Il propose à Bernard Cazeneuve de venir à Octeville.
Bernard Cazeneuve est allé à la rencontre de tout le monde, lui étant « neutre » par rapport au passé. Derrière lui, Guy Savary, la famille Loisel, Georges Jourdam ou Jean-Claude Magalhaes glissez-vous rapidement dans les marches. Avant lui, personne ne pouvait surgir pour se rassembler. C’était d’un côté ou de l’autre.
Rassembler
« Il avait l’intelligence de ne pas se faire des ennemis de ceux qui étaient les opposantsrappelle André Rouxel. Il avait une aura naturelle, et a refait l’union. »
Les autres élus l’ont observé, un peu à la manière d’un OVNI. Très vite, on s’est rendu compte qu’il avait une autre dimension.
Bernard Cazeneuve n’est pas quelqu’un qui se déguise pour plaire, ni quelqu’un qui est soupçonné de jouer un rôle. Jamais, jusqu’à son accession à Matignon, il n’a quitté les fondamentaux qui l’accompagnaient déjà à son arrivée à Octeville. Beaucoup de travail, le sens des autres, le contact facile. Et une forme de respect pour l’adversaire, lorsque celui-ci lui rendait la pareille.
Lorsqu’il y avait des réunions de section, il venait spécialement de Paris pour y assister. Pendant un moment, il ne dit rien. C’était très curieux. Cela a duré peut-être un an. Il a vu sur qui il pouvait compter, et sur qui il ne pouvait pas compter. Cela n’est pas venu seul. Au début, il avait tout le monde sur son dos. Ce n’est pas un membre d’un clan, même s’il aime avoir son propre peuple. Il s’accommode de certaines personnes et s’impose rapidement.
“Il est intelligent, il sait comment faire”
Un peu plus tôt, en 1993, le PS préparait les élections législatives.
« Quand on a fait l’investiture pour les élections législatives, c’était à Équeurdreville. Il y a eu un débat dans la petite salle du complexe Jean-Jaurès. Cazeneuve avait pris sa carte PS sur place. Bernard s’est présenté contre Cauvin. Il est intelligent. Il sait comment le faire. Lorsqu’on a écouté sa présentation, il n’y avait aucune raison pour qu’il ne soit pas là. »
Entre les deux naîtra ce jour-là une relation parfois contrastée, qui sera apaisée par le temps et la fidélité au territoire.
« Je n’ai jamais vraiment compris ceux qui, au fil du temps, s’opposaient régulièrement à nous. Notre histoire n’est pas celle d’une marmite de fer contre une marmite de fer. Bien sûr, nous n’étions pas d’accord sur tout, c’est normal. J’étais un peu méfiant au début. 1993, je pensais y aller, sachant que ce serait difficile. Mais ensuite, nous n’avons jamais brigué les mêmes mandats. J’avais parcouru le pays. Localement, je pense que nous avons bien travaillé ensemble. »
Un équilibre à la Goscinny
Le soir, Michel Louiset invite Cazeneuve à prendre un verre chez lui. André Rouxel est là aussi. Leur première rencontre. “Ils j’ai eu une petite dispute parce qu’on n’a pas voté pour lui ! », s’amuse Michel Louiset.
Homme de mesure, il n’en dit jamais trop. Le panorama prend forme.
« Il y avait une sorte d’équilibre à la Goscinny. Il y avait le chef gaulois, issu de la tribu majoritaire de l’arsenal, qui était Jean-Pierre Godefroy. Il y avait Bernard Cazeneuve, qui ressemblait un peu au général romain. Celui qui vient se battre et avec qui nous sommes extrêmement exigeants. Et puis le troisième, Bernard Cauvin, était le druide qui vous disait que l’avenir est là-bas, vers la mer, le paradis terrestre… Les trois personnages vivaient ensemble. Ils étaient très complémentaires les uns des autres. »
Un jour, Éric Orsenason ami, a écrit sur la naïveté des petits matins et la lucidité des vents violents. L’un ne fonctionnerait jamais sans l’autre. Telle fut la conquête du Cotentin.
Une époque pourrait s’ouvrir.
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