Décédé ce dimanche à l’âge de 75 ans, l’acteur français Niels Arestrup a participé à notre série spéciale consacrée à Marlon Brando, qu’il admirait profondément.
Paris Match : Quel a été votre premier choc avec Brando. Au point de vouloir le rencontrer des années plus tard ?
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Niels Arestrup : A la télé, dans « Un tramway nommé Désir », au tout début des années 60. J’avais 11 ans. C’était comme une force de la nature, quelque chose que je n’avais jamais imaginé, jamais vu. À l’époque, je n’étais pas encore vraiment attiré par le métier d’acteur. Mais j’ai été très frappé par cette vitalité qui rayonnait depuis l’écran. Aussi exceptionnel et présent que celui d’un animal sauvage. Cela m’a beaucoup impressionné.
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Donc cette première impression est devenue une sorte de fascination à mesure que vous grandissiez ?
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Ce n’était pas une fixation, mais petit à petit, j’ai découvert d’autres films avec Marlon Brando, retrouvant toujours cette même flamme, cette même intensité, avec une apparente décontraction. Ce que l’on appelle simplement « présence », qui rayonnait même sur un vieil écran noir et blanc des années 60. Quand le virus du jeu d’acteur a commencé à m’habiter, j’ai observé sa performance, ses mouvements, son air détaché avec beaucoup plus d’intérêt évidemment.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de le rencontrer lors du tournage du “Dernier Tango à Paris” en 1972 ?
J’étais un jeune parisien qui commençait à rêver de devenir acteur. Et j’ai appris par hasard, dans un magazine, que Brando tournait à Paris. Il y avait l’adresse de la production. J’ai appelé mais personne n’a répondu. Je savais que les studios étaient à Boulogne. Alors un après-midi, je suis allé voir. Nous n’y sommes pas entrés facilement. J’ai profité d’un moment d’inattention pour m’éclipser. Une dame, probablement une secrétaire, se trouvait dans un bureau. Dans un anglais approximatif teinté d’un fort accent américain, je lui ai fait croire que j’étais un ami de Marlon qui voulait le voir pendant son séjour à Paris. Un peu inquiète, ne voulant prendre aucun risque, elle m’a dit qu’il tournait sa dernière scène rue Vavin ce jour-là, jusqu’à 18 heures.
Alors j’y suis allé. J’ai repéré les caravanes, les gens de production. A 18 heures précises, le cordon de sécurité est levé et Marlon Brando sort, appuyé sur deux jeunes femmes, probablement maquilleuses et habilleuses. Il avait du faux sang sur sa chemise car il venait de tourner la scène de la mort de son personnage. Il traversa la rue et nos regards se croisèrent quelques secondes. Aucun signe d’intérêt particulier mais aucune agressivité non plus, juste un vague sourire. Il est monté dans sa caravane. Une demi-heure plus tard, il est ressorti, changé, ses cheveux sont redevenus gris. Il monta dans une voiture en direction de son hôtel. Je restais là, figé, stupéfait d’avoir pu le voir d’aussi près.
N’étais-tu pas tenté d’aller lui parler ?
Non, je ne voulais pas le déranger, agir comme un fan collant. Nous avons échangé ce regard, ça me suffisait, j’en étais content.
“Ma grande joie était d’aller voir les lions en cage”
Beaucoup disent qu’il y a un avant et un après Brando dans le métier d’acteur. Pouvez-vous expliquer en quoi sa façon de jouer était unique, moderne et a influencé tous ceux qui ont suivi ?
C’est difficile à définir. Une intensité très forte, comme une lumière qui rayonne, sans que cela fasse quoi que ce soit de particulier. C’est juste là, ça ne bouge pas. Une présence aussi magnétique que celle d’un animal sauvage. Quelque chose de mystérieux sur lequel beaucoup ont écrit sans trouver d’explication. Une capacité à remplir le moment présent d’une manière indéfinissable. Certains l’ont en eux, comme un cadeau. Brando combinait puissance brute et détachement avec un naturel désarmant.
Quand j’étais enfant, mon père m’emmenait souvent au zoo de Vincennes. Ma grande joie était d’aller voir les lions en cage. Même quand ils ne faisaient rien, dormaient ou bâillaient, il y avait ce magnétisme animal. C’est le même sentiment que j’ai eu en découvrant Brando à l’écran. Cette présence brute, instinctive, indéfinissable.
De nombreux articles vous ont parfois comparé à Brando. Avez-vous consciemment ou non essayé de vous rapprocher de sa sensibilité de jeu ?
J’espère que non. Peut-être que j’ai raté des choses, sous influence. Mais j’ai compris que son secret était d’être totalement lui-même, tout en étant complètement habité par ses personnages. Cela semble simple mais c’est inaccessible. Il faudrait avoir eu sa vie, ses joies, ses drames pour savoir le faire naturellement comme lui. Ceux qui voudraient l’imiter n’y auraient rien compris et se ridiculiseraient.
Je suis flatté si les gens pensent que j’ai une certaine forme de présence, mais je suis incapable de la définir. J’ai suivi mon propre chemin avec sincérité et travail, sans chercher à copier qui que ce soit, et surtout pas Brando !
“Il se sentait fatigué”
Dès Last Tango, et hormis « Appocalypse Now », le métier d’acteur ne semblait plus vraiment l’intéresser et il faisait des films sans grand intérêt, principalement pour des raisons financières. Comment l’expliquez-vous ?
Je pense qu’il a ressenti une certaine déception, une lassitude, comme quelqu’un qui a atteint le sommet et pour qui la seule issue est de redescendre. Il avait sans doute atteint l’apogée de son art dans « Un tramway nommé désir » et ne voyait plus l’intérêt de se lancer dans de nouveaux défis. Il avait réussi l’alchimie parfaite et inaccessible pour un acteur, entre authenticité et jeu d’acteur. Mais une fois cet exploit accompli, que pouvez-vous faire d’autre ? C’est comme si vous aviez atteint le sommet de l’Everest. Nous vous proposons alors de petites balades en montagne, évidemment cela vous intéresse moins.
Il s’est retiré, a vécu sur son île, s’est éloigné du cinéma, ne filmant que pour de l’argent. Son immense talent était sans doute devenu un fardeau pour lui. Il était aussi en réaction contre la fascination qu’il suscitait. Au fond, il savait qu’il n’y avait pas de secret, juste ce don inexplicable qu’il avait en lui.
Si vous aviez pu le rencontrer plus tard, l’auriez-vous voulu ?
Je n’aurais pas refusé de lui parler s’il me l’avait proposé. Mais je n’avais pas du tout envie de le déranger. J’ai fait mon propre chemin, en toute modestie. Brando avait un talent si singulier qu’il en est presque inexplicable. Personne n’a jamais voulu se ridiculiser en reprenant l’un de ses rôles. Ce serait suicidaire. Il y avait quelque chose d’unique, d’inoubliable, de puissant chez lui. Il faudrait être fou pour vouloir l’imiter.
Peut-on dire qu’il était un acteur à part, au dessus de tous les autres ?
Qu’est-ce qu’être acteur, quel est le but ? Il existe plusieurs réponses. De nombreux acteurs ont réalisé des choses impressionnantes, inoubliables, que ce soit au cinéma ou au théâtre. Mais Brando avait ce petit plus qu’on ne peut qu’admirer sans l’expliquer. Sa présence à l’écran reste unique.
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