Mais l’obstruction parlementaire est un classique des affrontements à l’Assemblée. Sous le Ve République, mais pas seulement. Explications.
Qu’y a-t-il dans un amendement ?
Le droit d’amendement exercé par les députés vise à modifier un texte soumis au vote de l’Assemblée. Avec l’idée, étymologiquement et idéalement, d’améliorer ainsi le projet de loi ou la proposition de loi. Mais en pratique, cela revient souvent à vider la proposition de son contenu, en tout ou en partie.
Dans le cas du texte examiné ce jeudi, des dizaines d’amendements proposent simplement une modification du titre. Ainsi, le même député varie les propositions derrière le titre « écrire le titre ainsi : « Réformer les retraites ? Pourquoi s’embêter quand on peut abroger et gagner des votes en un clin d’œil ! » ou « Retraite à 64 ans : parce qu’ignorer la réalité et céder à la pression populiste, c’est ça être responsable » ou encore « Abroger la réforme des retraites : un véritable chef-d’œuvre de démagogie, où l’on prétend sauver l’avenir en ignorant le présent ». Le président du groupe démocrate, Marc Fesneau, en a déposé à lui seul 73, dont 32 liées au titre. D’autres imaginent reporter l’application du texte : « A la fin du paragraphe 82, remplacer la date : 1est Septembre 2025, date du 1est Janvier 2060. »
L’astuce consiste souvent à faire reprendre un même amendement par plusieurs députés, en modifiant légèrement les termes : un mot, un chiffre, une date dans le cas de l’exemple ci-dessus. Les moyens modernes, l’informatique et désormais l’IA, viennent parfois épauler les parlementaires lorsqu’ils manquent d’imagination.
Objectif : gagner du temps de parole
Si ce jeudi est clairement pour le camp présidentiel de retarder au maximum un vote qui aurait des chances de l’emporter si le RN se ralliait à gauche, le but habituel des amendements, de quelque camp qu’ils viennent, est de gagner du temps de parole. .
Pour éviter des usages abusifs, le règlement de l’assemblée prévoit que lorsque des amendements identiques sont déposés par des députés d’un même groupe, un seul peut prendre la parole pour défendre l’amendement concerné. Autre tactique dilatoire pour gagner du temps de parole : multiplier les suspensions de séance.
Enregistrements pour certains textes
Qu’ils crient à l’obstruction lorsque le texte présenté vient de leurs rangs, ou qu’ils défendent la liberté d’expression et de débat lorsqu’ils déposent eux-mêmes une multitude d’amendements, les parlementaires de droite comme de gauche mènent aussi la bataille des amendements lorsqu’ils sont dans l’opposition. Depuis la première législature, qui a débuté en 1959, il y a eu une moyenne mensuelle de 130,4 amendements. Une moyenne qui n’a cessé d’augmenter : lors du dernier quinquennat de Jacques Chirac, elle a bondi à plus de 4 200 amendements mensuels – 212 449 sur l’ensemble de la législature.
Mais les records sont surtout calculés et observés en fonction des textes examinés. Plus cela suscite de controverses dans l’opinion publique, plus il est probable que les amendements fleurissent. Le record avait été atteint en 2006, avec 137 449 amendements socialistes et communistes (dont les trois quarts avaient été déposés) contre la privatisation de GDF. A l’époque, le président de l’Assemblée, Jean-Louis Debré, avait officialisé le véritable mur de papier que cela représentait pour chaque député.
Même la réforme des retraites discutée en 2023, que la proposition de LFI tente d’abroger, n’a pas vu autant de monde : environ 20 000, dont 13 000 de LFI, soit moins que lors du premier débat sur ce thème en 2020 (41 000, dont la moitié venue du rangs rebelles).
L’obstruction parlementaire vue d’ailleurs
Ralentir les débats pour empêcher un vote est une technique aussi ancienne que le système parlementaire. Aux Etats-Unis, où le Sénat s’inspire de Rome, on utilise aussi des amendements, mais surtout on a ressuscité sous un nom moderne – filibuster, venant d’un mot néerlandais qui a donné naissance à filibuster en français – une technique de l’Antique utilisée par orateurs célèbres. Parlez, tant que vous avez la force de rester debout, car vous ne pouvez pas interrompre un sénateur qui a parlé. Ce qui donne naissance à des morceaux de bravoure, symbolisés au cinéma par James Stewart dans le rôle de « Mr. Smith au Sénat », un jeune sénateur idéaliste confronté à la corruption, qui entame un marathon oratoire pour défendre sa cause. Dans ce scénario, ce n’est même plus une minorité, mais un rebelle solitaire, qui peut faire obstruction.
Le record est détenu par un sénateur de Caroline du Sud en 1957 : vingt-quatre heures et dix-huit minutes. Tout est bon pour l’orateur jeté dans l’obstruction systématique : réciter la Déclaration d’indépendance, les discours de Lincoln ou de Washington, voire se mettre à chanter. La seule façon d’interrompre l’orateur est de recueillir 60 voix.
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