KAmel Daoud, Sylvain Tesson, Tahar Ben Jelloun, Boris Cyrulnik ont déjà exprimé leur émotion. Et c’est l’ensemble du monde des lettres françaises, dans lequel Boualem Sansal a tant d’amis, tant d’admirateurs, qui attend désormais de ses nouvelles avec impatience. Tout le monde vante l’immense talent de l’écrivain. Tous témoignent de son incroyable courage et appellent les pouvoirs publics et l’opinion publique à se mobiliser.
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Pierre Assouline : « On ne lâchera rien »
« Au début des années 1930, seule une poignée d’écrivains inquiétaient leurs lecteurs des dangers annoncés par la montée du nazisme. Ils y manifestèrent un devoir d’inquiétude correspondant à l’idée qu’ils se faisaient de leur vocation d’écrivain. Dans l’Europe d’hier, ils s’appelaient André Suarès, Klaus Mann… Dans l’Europe d’aujourd’hui, ils s’appellent Kamel Daoud, Boualem Sansal… Des lanceurs d’alerte contre l’islamofascisme. L’armée algérienne, qui tient les rênes du régime, ne les lâche pas, même si désormais leur statut de Français les protège. Ils méritent notre soutien, celui de leurs pairs, des intellectuels, des hommes politiques et du peuple de leurs lecteurs. Nous voulions rendre Boualem Sansal invisible en le faisant disparaître. C’est le contraire qui s’est produit. Nous ne le lâcherons pas non plus. La littérature est par excellence le territoire de la liberté de l’esprit. Ses geôliers n’ont aucune idée du pouvoir de la fiction quand elle est portée par une telle voix. Ils n’en ont pas entendu la fin. Courageux ou inconscient, Boualem Sansal fait partie de ces hommes qui disent non quand la rumeur ambiante se résigne au oui par prudence. “Faites ce que vous devez, quoi qu’il arrive.” La devise n’est pas la sienne, mais elle est pour lui. »
Jean-Christophe Rufin : « Je proposerai, s’il n’est pas libéré, son élection exceptionnelle et immédiate à l’Académie française »
« Boualem est un homme libre, d’un courage désarmant même s’il est attaqué de toutes parts. En France, où il est certainement une cible, je ne l’ai jamais vu sous protection, je ne l’ai jamais vu avoir peur. Quand il faisait des allers-retours en Algérie comme si la menace, au fond, n’existait pas, je lui disais « tu es fou ». Mais il voit le danger d’en haut et n’a jamais prêté allégeance à qui que ce soit. Lors de la prochaine session de l’Académie française, je proposerai, s’il n’est pas libéré, son élection exceptionnelle et immédiate. »
Paule Constant* : « Le vrai pouvoir de la littérature est dévastateur pour celui qui joue avec la vérité »
« J’admire Boualem Sansal, l’écrivain et l’homme, c’est un ami, un frère. J’espère que le gouvernement algérien ne va pas faire payer cash le Goncourt et les paroles de Kamel Daoud à un écrivain qui a prédit cette catastrophe dans des récits dramatiques mais plus allégoriques. Cet événement bouleversant montre ce que, dans une société libre, on a tendance à oublier : le véritable pouvoir de la littérature. C’est dévastateur pour ceux qui jouent avec la vérité. C’est la vérité à laquelle nous devons faire face et ne pas menacer ou punir celui qui a trouvé les mots pour la dire. »
* L’écrivain et jurée du prix Goncourt a reçu Boualem Sansal en mars dernier au festival des Écrivains du Sud qu’elle dirige.
Philippe Claudel : “Nous sommes en 2024 et je fais un mauvais rêve”
« J’ai appris que Boualem avait été arrêté à son arrivée à Alger il y a quelques jours et que, depuis, on est sans nouvelles de lui. Je dois dormir et faire un mauvais rêve. Oui, c’est un très mauvais rêve. Il ne peut en être autrement. Nous sommes en 2024. Nous sommes, lui, moi, les autres, écrivains. Ici, on n’arrête pas les écrivains en 2024. Que ce soit en France ou en Algérie, encore plus lorsqu’il s’agit d’écrivains franco-algériens. On n’arrête pas les écrivains, qu’ils soient franco-algériens ou autres, parce qu’ils écrivent, parce qu’ils ont écrit et continueront d’écrire. Nous sommes en 2024 et je fais un mauvais rêve. Tout cela n’arrive pas. Je me retourne dans mon sommeil. Je pense à Boualem. Je nous revois il y a presque vingt-cinq ans, buvant un café, à Chambéry, lors d’une belle fête, alourdis par notre premier roman. Nous avons commencé ensemble. Boualem ne peut pas être détenu dans un commissariat, une prison, une cellule, sans raison, sans motif, en Algérie, ce pays où il est né, a travaillé, a écrit, ce pays qu’il aime. J’aimerais me réveiller. Il est difficile d’échapper à un mauvais rêve, encore plus difficile d’échapper à l’arbitraire d’un régime qui a perdu le sens de la justice, de la modération, de la vérité, un régime qui déforme le pays sur lequel il règne, un pays frère, un pays ami, un pays souffrant, comme le fait un bourreau avec l’âme de sa victime. Décidément, oui, je fais un mauvais rêve : l’Algérie, la belle et grande Algérie, ne pouvait pas permettre cela. Boualem n’a pas été arrêté. Boualem n’est pas privé de sa liberté. Boualem est libre de vivre, d’écrire, de dire ce qu’il a à dire, d’aller et venir, entre ses deux pays, la France, l’Algérie. Je vais enfin ouvrir les yeux. Nous irons très vite prendre un autre café, où tu veux Boualem, et nous parlerons de tout et de rien, et je verrai ton beau et mélancolique sourire réapparaître sur ton visage. Tout ira bien comme ça. Je vais me réveiller. J’ai besoin de me réveiller. Il le faut. »
Jean-François Colosimo* : « Sa libération et son retour en France sont une exigence absolue »
« Il croit au pouvoir démiurgique de la parole, a une sorte d’innocence enfantine, il joue beaucoup avec les mots, comme un conteur, à la manière des grands dissidents soviétiques. De ce point de vue, Sansal est un auteur algérien, francophone, et à l’âme slave… Il y a chez lui du courage et du panache. C’est un immense auteur, amoureux du langage, inventeur d’un imaginaire qui écrase notre écriture germanopratin. C’est un type qui croit que le monde se dit avant d’être pensé, qui croit au pouvoir de la parole, de la littérature, à une conception de l’histoire comme un défi à l’entropie, à la mort. Nous n’en avons jamais fini avec les tyrans qui veulent museler les poètes, car ils savent que c’est là la principale puissance d’insurrection contre leur despotisme. Cela reste vrai aujourd’hui partout dans le monde. Les pouvoirs publics et l’opinion publique doivent s’unir autour de la défense de cette littérature essentielle à notre vie. Sa libération et son retour en France sont une exigence absolue. »
* Editeur de son dernier livre : Le français, parlons-en !
Jean-Marie Laclavetine*, « Il y a quelque chose de Voltaire en lui »
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Kangourou du jour
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« Il est le seul écrivain du monde arabe à accepter de se rendre à la Foire du livre de Jérusalem, et il en paie le prix, condamné par nombre de ses pairs, victime de calomnies et d’attaques très virulentes. Je lui ai demandé s’il ne voulait pas s’installer en France, il m’a répondu : « Ce n’est pas à moi de partir, c’est à eux ». Son style est inimitable, il a un humour vraiment dévastateur, une prose rebondissante, qui frappe, ne respecte rien ni personne, une gouaille mêlée d’une grande intelligence et aussi d’un grand désespoir. C’est aussi une créature absolument délicieuse. Sa prose est extrêmement offensante, mais jamais méchante. Il attaque les pouvoirs en général, il y a du Voltaire en lui. Un Voltaire déchaîné, très drôle, qui trouve son exutoire dans l’humour. C’est aussi un homme assez désillusionné quant à l’avenir de l’humanité. Son 2084 est véritablement un texte orwellien, mais peut-être plus désespéré que celui d’Orwell. Il frappe aussi bien des hommes barbus que des militaires, en prenant sans doute des risques importants. Mais il est très conscient de ce qu’il fait. Et je pensais, peut-être naïvement, que Boualem, présenté partout comme un grand écrivain, algérien et français, très présent dans les médias internationaux (en Allemagne, c’est une star), était protégé par sa notoriété.»
* Son éditeur historique chez Gallimard.
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