Le féminisme reste la meilleure école pour lutter contre les inégalités mais c’est l’histoire de l’exploitation. L’époque est victimaire, émotionnelle, sujette à la dénonciation. Je ne voudrais certainement pas y retourner parce que je crois aux vertus de nommer la honte. Mais aujourd’hui, le tissu associatif féministe est très politisé, et il choisit ses combats et ses combats.
Dans ce livre je partage mes tourments. Il faut pouvoir ouvrir un débat public : comment amener les hommes à se mettre davantage à la place des femmes lorsqu’elles tentent de séduire…
Ceux qui m’insultent sont en réalité ceux à qui on reproche déjà de faire dériver #MeToo de manière sectaire, fanatique avec un goût aveugle de vengeance.
Vous parlez d’une « zone grise, d’un désir déséquilibré ». Vous espérez que « le jour où les femmes pourront exprimer leur désir, elles ne seront plus des proies ». Où se situe cette zone grise ?
Il faut à la fois apprendre aux jeunes filles à quel point les hommes les sexualisent, et aux garçons à ne pas prendre l’absence d’un non pour un oui. Il n’y a pas la même usure et donc pas la même sensibilité aux agressions. On ne peut pas tout moraliser et faire croire que la sexualité est quelque chose d’uniquement violent. Je dis simplement, comme la loi, qu’il y a une différence entre une agression sexuelle isolée et un harcèlement sexuel au travail. Dans notre façon de négocier ces affaires, nous devons restaurer cette graduation.
Vous êtes accusés d’avoir minimisé des faits concernant Ibrahim Maalouf, Adrien Quatennens, d’avoir pris le parti d’agresseurs comme Nicolas Bedos. Vous dites qu’il suffirait d’« accuser d’exister ». Êtes-vous en train de vous attaquer à un tabou dans la lutte féministe ?
Je savais que ce serait très difficile et je n’ai pas été déçu. Ceux qui m’insultent sont en réalité ceux à qui on reproche déjà de faire dériver #MeToo de manière sectaire, fanatique avec un goût aveugle de vengeance. La réalité du livre est qu’il s’agit d’un plaidoyer féministe nuancé.
Si on continue à mettre trop d’accusations abusives sous ce hashtag, on finira par le démonétiser. On confond Nicolas Bedos (condamné à six mois sous bracelet électronique pour agression sexuelle) ou Édouard Baer – dont on interroge les copines pour savoir s’il flirte bien quand il n’y a pas de plainte pour viol -, avec un Harvey Weinstein.
Le patriarcat existe depuis des siècles, il survivra encore, mais la meilleure façon de démocratiser cette révolution est certainement de ne pas l’utiliser sans discernement.
Honnêtement, c’est une remarque que je ne comprends pas. Je ne vais pas attendre qu’il n’y ait plus de violeurs pour parler des personnes accusées à tort. La question du viol traverse tout mon travail, car c’est le plus grand révélateur de la domination masculine. Il faut distinguer les affaires de l’abbé Pierre, le procès Mazan, l’affaire Tariq Ramadan, qui sera finalement jugée, et les accusations portées contre Nicolas Bedos ou Gérard Depardieu. On ne parle pas de la même peine, ni des mêmes faits, ni du même risque de récidive.
Si vous saviez combien de personnes que je connais vivent recluses chez elles après avoir été mises au pilori dans les médias pour des faits qui n’ont rien à voir avec l’affaire Weinstein…
Mon souhait est d’avoir une conversation publique élaborée. Nous avons le droit, enfin, de nous poser des questions sur ce nouveau pouvoir qui est entre nos mains.
Le livre alimente-t-il la colère ou harmonise-t-il un féminisme fracturé ?
Mon souhait est d’avoir une conversation publique élaborée. Nous avons le droit, enfin, de nous poser des questions sur ce nouveau pouvoir qui est entre nos mains. Je viens d’un féminisme qui remet toujours en question le pouvoir. Les gens sont soulagés, rassurés. Il y en a qui ont soutenu Gérard Depardieu, par exemple, contre toute attente, parce qu’ils sentaient qu’on était dans une ambiance de lynchage permanent.
En lisant mon livre, ils changent d’avis sur Polanski ou Depardieu qui, pour moi, sont des cas graves. Mais si le critère est qu’à partir du moment où nous sommes accusés, nous sommes condamnés, alors nous massacrerons et détruirons des vies.
Vous rappelez que 86 % des violences sexuelles et sexistes sont écartées, tout comme 94 % des viols…
Les agressions sexuelles sont aujourd’hui condamnées très durement mais lorsqu’un viol est trop bien prémédité et qu’il n’y a pas de témoins, la justice sera toujours difficile à obtenir. C’est pourquoi je ne fais pas partie de ceux qui pensent que si quelqu’un est reconnu coupable, il est coupable. Ou s’il est acquitté, il est innocent : non. Il y a des prédateurs qui ont été relâchés. Cela se reproduira.
Pensez-vous que la génération Z est vraiment « nourrie de narcissisme plaintif » ?
Je préfère vivre dans un monde où l’on écoute les victimes mais il y a un risque à vouloir les enfermer dans cette identité. En psychanalyse, nous savons que c’est très mauvais. Je connais beaucoup de victimes qui ne veulent pas être réduites à cela ; Ce sont ceux qui s’en sortent le mieux.
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