Nathan Smadja est fondateur de Résiste, une association dédiée à la lutte contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement. Une activité qu’il exerce en parallèle de travail de collaborateur parlementaire auprès de la députée Horizons Naïma Moutchou. Nous l’avons interviewé à l’occasion de la journée du harcèlement scolaire, qui a lieu ce jeudi 7 novembre 2024.
LE FIGARO ÉTUDIANT. – Vous avez vous-même été victime de harcèlement au cours de votre scolarité . Pouvez-vous nous raconter ?
Nathan SMADJA. – Tout a commencé en sixième, lorsque je suis arrivé dans un nouveau collège, dans le public, à Paris. Dès les premières semaines, j’ai été victime d’insultes homophobes. Juste parce que je chantais, je dansais, j’aimais la comédie musicale, on m’a assigné une orientation sexuelle. J’avais seulement onze ans. J’étais trop jeune pour penser à tout cela. Je ne savais même pas ce que voulait dire «pédé». Puis les choses ont dérivé vers des insultes antisémites parce que je ne mangeais pas de porc à la cantine. Mes harceleurs sont même allés jusqu’à me suivre en bas de chez moi. Ils m’ont plaqué contre un mur et m’ont frappé. À la fin, j’ai été agressé sexuellement à la piscine. Mes harceleurs disaient vouloir vérifier si j’étais bien circoncis.
Beaucoup de victimes ont du mal à parler de ce qu’ils subissent. Comment êtes-vous parvenu à sortir du silence ?
Toutes les semaines je demandais à mon père de me racheter une équerre et un compas, parce qu’on me les cassait. Il a fini par comprendre que quelque chose n’allait pas. D’abord je suis resté évasif et distant car je n’étais pas prêt à parler. Le jour où j’ai été agressé sexuellement, en rentrant chez moi le soir, j’ai compris que c’était trop. Je ne comprenais pas ce que je vivais. Mais je savais que ce n’était pas normal. Je n’ai pas raconté l’épisode à mon père, mais je lui ai demandé d’aller déposer plainte. Sur le moment, j’ai pensé que tout cela serait terminé. Que cette plainte signerait la fin de six mois de calvaire.
Un jour, l’un d’eux m’a frappé à l’œil et m’a cassé mes lunettes. Je suis allée voir l’infirmière de l’école qui me l’a dit et je m’en souviendrai toute ma vie. La vie : Qu’est-ce que tu as encore fait ?
Nathan Smadja
De nombreux étudiants harcelés ne sont pas défendus par leur établissement. Est-ce pour cela que ton calvaire continue ?
Oui. Mon père et moi sommes allés voir le CPE avec la plainte. Elle nous a dit qu’elle ne savait pas. J’avais pourtant signalé les faits à plusieurs enseignants et responsables de l’établissement. Mes cinq harceleurs ont été convoqués au commissariat. Au cours des mois suivants, il a dû composer avec le fait d’être celui qui avait porté plainte. La direction de mon établissement a même menacé de porter plainte pour diffamation, car je les accusais de ne rien faire. Malgré la plainte, j’ai quand même été frappé par ces mêmes personnes. Un jour, l’un d’eux m’a frappé à l’œil et a cassé mes lunettes. Je suis allée voir l’infirmière de l’école qui m’a dit et je m’en souviendrai toute ma vie : « Qu’est-ce que tu as encore fait ?
Comment s’est terminée cette histoire ? Le harcèlement que vous subissez a-t-il enfin cessé ?
Cela s’est terminé dans la voiture familiale, sur l’autoroute, au retour de Marseille à la fin des vacances d’été. Je me souviens parfaitement d’avoir craqué et d’avoir dit à mon père que je ne pouvais plus remettre les pieds dans cette école, que je voulais changer d’établissement. J’ai donc intégré un collège privé hors contrat pour mon retour en cinquième année.
Personnellement, je ne suis pas fermé à l’idée de frapper au portefeuille les parents d’enfants intimidateurs.
Nathan Smadja
Ces dernières années, les ministres de l’Éducation nationale, notamment Jean-Michel Blanquer et Gabriel Attal, ont fait du harcèlement scolaire une de leurs priorités. En réalité, considérez-vous que les choses ont évolué dans le bon sens ?
En 2023, les suicides de Lucas, Lindsay et Nicolas ont sensibilisé le public à ce qui se passe réellement dans nos écoles. Mais en réalité, l’instabilité ministérielle chronique nous empêche de penser une politique à long terme. Qu’en est-il des mesures lancées l’année dernière ? Pour quel budget ? J’ai pu personnellement interroger des ministres des gouvernements précédents qui n’étaient pas en mesure de me répondre. Par ailleurs, ce que j’entends dans les établissements où je voyage n’est pas rassurant. Ici, une enseignante qui me dit qu’elle fait ce qu’elle peut, mais que l’école est malade et qu’on ne s’en sortira pas. Là, un directeur qui me dit que l’école est en train de devenir la garderie de la république. En réalité, beaucoup dépend du chef d’établissement. Mais je reste optimiste !
Selon vous, que faut-il faire concrètement pour améliorer encore la situation ?
Avec l’association Résiste, nous proposons des mesures assez simples. Premièrement, la création d’une délégation interministérielle dédiée pour suivre la mise en œuvre des mesures lancées il y a un an. Par ailleurs, nous réclamons une refonte complète de la médecine scolaire, qui doit relever du ministère de la Santé et non plus de l’Éducation nationale. Cela tombe bien, Michel Barnier veut faire de la santé mentale des jeunes une cause nationale ! Je milite également pour la mise en place d’un suivi psychologique obligatoire pour les étudiants harcelants et harcelés.
J’espère également que le principe du « breaker pay » sera réellement mis en place. Théoriquement, c’est l’étudiant harceleur qui doit désormais changer d’établissement, et non l’étudiant harcelé. Qu’est-ce que c’est vraiment ? Nous n’avons pas de chiffres. Il faut enfin responsabiliser les parents qui trop souvent ne comprennent pas qu’il peut s’agir d’autre chose que de querelles d’écoliers.
A ceux qui sont témoins de ces violences sans en être victimes, ouvrez les yeux, n’ayez pas peur d’agir et d’intervenir. Cela m’aurait peut-être sauvé la vie il y a dix ans.
Nathan Smadja
Selon vous, les parents ne comprennent pas suffisamment l’enjeu et leur responsabilité dans le comportement de leur enfant ?
Lorsque je discute avec des parents dans le cadre de nos activités de sensibilisation, certains me disent qu’ils ignoraient qu’aux yeux de la loi, ils assumaient la responsabilité pénale des actes de leurs enfants. Quand je leur parle des sanctions que risque un harceleur, j’en reste bouche bée. Personnellement, je ne suis pas fermé à l’idée de frapper au portefeuille les parents d’enfants intimidateurs. Je n’ai pas d’opinion arrêtée sur les modalités d’une telle mesure, mais c’est possible. Nous étudions plusieurs pistes, comme des amendes administratives par exemple.
Comment avez-vous décidé de fonder Résiste, votre association dédiée à la lutte contre le harcèlement scolaire ?
En 2015, après avoir vécu ces violences, j’ai dit à mon père que je voulais faire quelque chose, que je voulais agir. J’ai ressenti le besoin et même le devoir de restituer ce que mon entourage m’avait donné. J’avais pleinement conscience d’avoir échappé à la mort et je souhaitais que des jeunes qui n’avaient pas la chance de vivre le même environnement que moi puissent être accompagnés. Mais j’étais jeune, je n’avais pas d’argent et j’ai dû prendre le temps de me reconstruire après les taquineries et les agressions.
Un jour, en 2022, j’entends quelqu’un appeler dans mon dos : « Nathan ». Je me retourne, c’était un de mes harceleurs. Cette personne s’excuse. Soudain, je vois flou. Tout remonte à la surface. Je me rends compte que je ne suis pas du tout pris en charge. Et puis il y a eu le suicide de Lucas en janvier 2023. Le harcèlement dont a été victime ce jeune écolier m’a rappelé ma propre histoire. Alors je me suis dit que je ne voulais plus jamais me taire. En septembre 2023, j’ai donc fondé l’association Résiste. Triste coïncidence du calendrier, le lancement a coïncidé avec le suicide du jeune Nicolas, harcelé dans son établissement des Yvelines. Nous organisons principalement des actions de prévention, avec des interventions dans les écoles et des campagnes de sensibilisation.
Chaque année en France, un million d’étudiants sont victimes de harcèlement. Que veux-tu leur dire ?
Qu’on peut s’en sortir. Croyez en vous et continuez, demain nous pourrons faire le travail que nous pouvons, avoir les amis que nous voulons, sortir de ces visions sombres, de ces horribles pensées suicidaires. A ceux qui sont témoins de ces violences sans en être victimes, ouvrez les yeux, n’ayez pas peur d’agir et d’intervenir. Cela m’aurait peut-être sauvé la vie il y a dix ans.
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