« Asseyez-vous là pendant une journée, vous verrez passer toutes les mères. Les voyez-vous prendre une heure dans le bus ou le tram ? L’hypermarché a beau être mal éclairé, endommagé et dégradé, ceux qui le fréquentent depuis des décennies se sentent abandonnés. La fermeture d’Auchan Nord à Clermont-Ferrand, annoncée mardi 5 novembre, marque la fin d’une histoire. Leur histoire.
C’est un sentiment étrange, plein d’ambiguïtés. Celui qui se lie à un vieil ami, souvent ennuyeux et encombrant, dont on se demande parfois pourquoi on ne se détourne pas définitivement. On se souvient alors que cela signifierait rompre avec notre propre histoire. Alors on rentre, on se fâche encore, on se quitte et on se retrouve. Nous nous détestons, mais nous nous aimons. Auchan Nord est cet ami auquel des milliers d’habitants des quartiers de la Croix-de-Neyrat à Vergnes, de La Plaine à Cébazat ont gardé malgré tout une place. L’hypermarché a beau porter les rides des années d’abandon et vieillir plus vite faute de soins, il conserve le charme de ces lieux qui entretiennent des souvenirs.
L’effet d’un « tremblement de terre » pour les habitants
Dans les hauteurs de Croix-de-Neyrat, la nouvelle de la fermeture brutale du supermarché, mardi 5 novembre au matin, a secoué Claudette, au premier étage d’un immeuble du quartier. Elle n’y croyait pas. « C’est une grande catastrophe, un gouffre s’ouvre devant nous, vraiment pour les petites gens d’ici, c’est un tremblement de terre. »
A 80 ans, elle a eu le temps de s’attacher à ce voisin de quelques centaines de mètres qu’elle a vu grandir, d’abord sous sa première identité, Mammouth. «C’était plus petit, il y avait moins de choses, c’était une autre époque», réfléchit-elle. Petit à petit, ça a grandi, c’est devenu notre référence. Vraiment, c’est dur. » On croyait voir des larmes.
Le groupe Auchan annonce la fermeture d’un hypermarché et d’un supermarché en Auvergne
Avec ses deux arrêts de tramway, Croix-de-Neyrat et Hauts-de-Chanturgues, l’hypermarché est situé au centre avec son air de place de village, entouré des quartiers nord de Clermont-Ferrand et de leurs 8 300 habitants, auxquels s’ajoutent quelques des 8 900 habitants de Cébazat. L’éloignement de ce quartier de la ville renforce l’attachement de la population à cet emblème qu’est devenu Auchan Nord.
Une mauvaise blague qui ne marche pas
Au pied d’une tour, un groupe de jeunes tuent le temps en contemplant cette enceinte laissée dans son état originel dans le goût du siècle dernier. La mauvaise plaisanterie de la fermeture ne les a pas amusés. « Ouais, c’est ça, impossible », murmurent-ils. Puis ils réalisent. «Cela signifie tout pour nous. Depuis que nous sommes petites, nos daronnes (mères) s’y rendent à pied pour faire leurs courses. Ce magasin aide les gens, c’est essentiel. Auchan, c’est notre vie. »
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Fermeture d’Auchan Nord à Clermont-Ferrand : “tous en difficulté”, les commerçants du centre commercial dans le flou
Ils ont la vingtaine, le centre de leur monde est à « Croine », le centre de leur ville est ici. Jaude peut s’envoler, sa boussole pointe uniquement vers le nord. « Depuis que nous sommes petits, ma mère nous envoie chez Auchan, explique l’un d’eux. Asseyez-vous là pendant une journée, vous verrez passer toutes les mères. Les voyez-vous prendre une heure dans le bus ou le tram ? Même les personnes âgées nous envoient faire des courses. »
Au cœur d’un grand village de près de 20 000 habitants
Plus bas, l’arrêt de tramway grouille de monde, il n’est pas midi. Les aînés, les plus jeunes, les mères et les fils vont et viennent vers l’entrée de l’hypermarché. “C’est le cœur du quartier Auchan, c’est grâce à lui qu’il y a de l’interaction”, jure le petit groupe, “ça fait entrer du monde”. Nous sommes nés ici et avons grandi à Auchan. Les premières cartes Pokémon, les premières conneries, c’est là-bas. Déjà on n’a plus rien, c’est vraiment un sentiment d’abandon, un coup dans le dos. Nous sommes au bas de l’échelle et nous trinquons. c’est chaud. »
Dans la matinée, Samir El Bakkali a aperçu des visages vaincus parmi les membres de l’association Mosaïc qui œuvre pour le vivre ensemble. « Les gens ne parlent que de ça », déplore l’ancien président. Tout le monde a un proche qui y travaille ou y a travaillé. Dis ce que tu veux, c’est le seul endroit où ils se sont rencontrés. Ici, tous les chemins mènent à Auchan, sans voiture. »
Le sentiment de double peine
La brutalité de la fermeture ne passe pas dans l’appartement de Claudette. L’octogénaire pense à ses amis, aux voisins. Pour elle aussi. « Le quartier se meurt, ça me pèse lourd sur le cœur », rumine-t-elle. Qui ira encore au nord de Clermont-Ferrand si ce dernier lieu de vie meurt ? Le risque d’accentuer l’isolement, déjà lourd dans les quartiers nord, est réel. Une double peine pour les riverains. Ce mardi, c’était énorme.
Malik Kebour
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