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le langage d’une femme, les mots d’un éditorialiste

JEAN :

Le nouveau Goncourt est donc arrivé, il s’agit donc deHouris de Kamel Daoud, écrivain, éditorialiste, qui fut longtemps journaliste en Algérie, et dont la troisième œuvre de fiction, sans doute la plus formellement ambitieuse, a été largement plébiscitée par le jury Goncourt. C’est un livre dense, en apparence compliqué, qui vise à combler une lacune par la romance : celle de la décennie noire algérienne, les années 1990 durant laquelle on estime que 200 000 personnes ont été exécutées, notamment par des milices islamistes après l’annulation d’une élection qui ont donné la victoire à leur parti, le FIS. Daoud, qui l’a vécu, et l’a traité en journaliste à l’époque, réalise ici un travail de mémoire avec intensité, une intensité qui oscille me semble-t-il entre une volonté documentaire de rendre justice, une colère contre les autorités de son pays de origine où le livre a aussi été censuré, mais aussi peut-être moins honnêtement, la défense stratégique d’une pensée qui résonne bien au-delà du contexte que circonscrit le roman – et c’est là que ça me fait un peu mal à la lecture.

Ce prologue est un peu long car il n’est pas facile d’être juste sur ce livre, et pas facile non plus de séparer l’éditorialiste Daoud de l’auteur, et de ses personnages. Le protagoniste est une femme qui parle à la première personne. Elle s’appelle Aube, elle a vingt-six ans et elle est née deux fois ; la première dans un village où elle vivait avec sa sœur et ses parents, la seconde le 1er janvier 2000 où elle a failli reprendre vie après avoir été égorgée dans son lit par un milicien. Une blessure qui l’a laissé muet, et dont la cicatrice en forme de sourire est une provocation : elle oblige son entourage à se souvenir de cette époque dont personne ne veut entendre parler. Aube vit à Oran avec une mère adoptive avocate, elle tient un salon de beauté qui fait face à la mosquée locale, une proximité qui entraîne conflits et violences ; elle conduit, fume, ne porte pas le voile. C’est une femme à la fois libre et à moitié morte, qui au début du livre est enceinte et a décidé de se débarrasser de son enfant. C’est pourtant à cette enfant qu’elle s’adresse, cette toute petite fille qu’elle surnomme Houri, du nom de ces femmes promises aux croyants du paradis musulman. Aube est à un carrefour de sa vie, et dans un deuxième volet part sur les routes, à la recherche du lieu où s’est déroulée sa tragédie, un itinéraire autant géographique que mémoriel où tout est symbole, où tout est signe, et tout est mémoire.

Pathos, mais au service de quoi

C’est sans doute ce qui impressionne dans cette fable qui souligne tout avec des moyens lyriques souvent épuisants, et qui boucle et boucle des scènes d’une violence parfois incroyable mais dont la répétition n’est pas vraiment efficace. C’est aussi cet excès qui nous fait douter de la posture du romancier Daoud : voici un auteur masculin, algérien certes, et qu’on ne peut soupçonner d’ignorance du contexte, qui parle au nom d’une Algérienne muette, qui fourre dans certains prends les siens. des mots sortis de la gorge d’une femme tranchée – il utilise lui-même constamment cette métaphore, mais cela ne dispense pas l’auteur d’une certaine forme de brutalité.

Il me semble qu’en voulant crier à haute voix une colère qui dépasse peut-être la seule histoire algérienne, Daoud écrase ses personnages, et fait ainsi presque le contraire de ce qu’il pense sans doute faire : leur donner la parole pour qu’on entende leur langue. Ceci est d’autant plus frappant dans le cas du personnage d’Aube, dont la véritable humanité, malgré tout le pathétique déversé dans l’écriture, est difficile à ressentir, et qui apparaît comme un outil littéraire stratégique, prêt à signaler ce que Daoud souligne souvent ailleurs dans ses interventions auprès de divers médias : la peur de l’islamisation de nos sociétés, y compris occidentales, et ce que, appuyée par le pathos de la fiction, cette peur peut emporter en elle simpliste et discriminatoire. Dawn et son histoire, aussi retentissante soit-elle, auraient peut-être mérité d’être incarnés plus sensibles, et de faire confiance au lecteur pour comprendre sa tragédie, sans l’alourdir de considérations qui, on le sent, ont un autre agenda.

 
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