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“Ma sexualité et mon quotidien restent deux mondes scellés”

Publié le 03/11/2024 à 06h00

Écrit par Sébastien Bonifay

Eric* a accepté de nous rencontrer pour nous parler de son quotidien et des difficultés qu’il a rencontrées depuis des années à accepter son homosexualité en Corse. (/Reposter)

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«Je me suis menti. Beaucoup. J’étais une victime volontaire. Eric joue machinalement avec son trousseau de clés, assis sur un banc du parc à côté du lycée Fango.

Dans sa voix, pas la moindre pitié. Le jeune homme revient sur les longues années où il a tenté de se convaincre qu’il était hétérosexuel, avec une spontanéité et une sincérité désarmantes. Un peu comme s’il s’excusait d’avoir été si hésitant…

«Quand j’ai ouvert les yeux, j’avais plus de vingt ans. Pendant une éternité, je suis resté dans le déni. Je n’avais aucune envie d’accepter que j’étais gay. Ou même, plus simplement, à l’être.

Au lycée, à l’heure où les transports romantiques sont légions, où le cœur bat un peu plus vite à chaque instant, où le moindre morceau de peau dévoilé peut nourrir des fantasmes infinis, Eric est soumis aux mêmes pulsions que toutes les filles et tous les garçons. son âge.

«Bien sûr, j’étais attiré par les garçons. Mais j’ai fait comme si de rien n’était. Je l’ai nié. Si j’avais envie d’un ami, je cherchais ailleurs. Pour ne pas céder à l’impulsion. Pas celui de chercher à le séduire. Mais celui d’aller simplement le voir, d’entamer une conversation.

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Pendant des années, Eric a vécu la vie de quelqu’un d’autre.

«J’ai été hétéro. Au moins, je voulais l’être. J’ai eu des copines, j’ai couché avec elles. Je me suis dit que je pouvais le faire, et à ce moment-là, c’est vrai, je pouvais le faire. Mais inconsciemment, je savais que quelque chose n’allait pas.

Même quand je me masturbais, je m’interdisais de le faire sur les hommes. Je regardais des photos de filles, ou des films pornos hétéros

Cacher son homosexualité à sa famille, à ses proches, à sa communauté n’est pas chose facile. Se le cacher est encore plus difficile. “Même quand je me masturbais, je m’interdisais de le faire sur les hommes. J’ai regardé des photos de filles ou des films pornos hétéros. Je me suis forcé à croire que j’appréciais ça. Et au début, ça a marché. Mais plus je vieillis, moins c’était le cas.

Autour de nous, des lycéens traversent le parc pour rejoindre les arrêts de bus et rentrer chez eux. Peut-être rejoindre leurs amis et passer du temps en ville.
Et on ne peut s’empêcher de les suivre des yeux, en se disant que, peut-être, et même certainement, perdus parmi ces grappes d’adolescents, il y a des garçons et des filles qui se mentent de la même manière qu’Eric l’a fait à propos de il y a dix ans…

«Ça fait mal. Nous nous déconnectons du monde, mais ce n’est pas la solution. Plus nous refusons la vérité, plus elle nous écrase. Et plus nous nous enfonçons… »

Je me suis dit : ça va aller, tu vas avoir une femme, des enfants, une vie de famille… Comme si c’était la seule chose à faire. Le changement, la différence, nous fait peur.

A cette époque, même si Eric devinait que ses amis, ses camarades et même parfois ses copines se posaient la question, personne n’abordait jamais le sujet avec lui. Et c’est bien, se dit-il. Il n’en parlerait à personne pour rien au monde, car cela l’obligerait à verbaliser quelque chose qu’il ne veut même pas ressentir.

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Eric a fini par l’accepter, mais sa sexualité reste scrupuleusement discrète.

© S. Bonifay/FTV

« Je me suis dit : ça va aller, tu vas avoir une femme, des enfants, une vie de famille… Comme si c’était la seule chose à faire. Comme si c’était la prochaine étape logique, la normalité. Eric, un instant, se mord la lèvre inférieure, perdu dans ses pensées. “Peut-être parce que c’est ce à quoi nous sommes habitués. Le changement, la différence, ça nous fait peur.

Je traînais dans un bar à Bastia, où j’ai repéré des gens qui me ressemblaient. Et je m’y suis beaucoup adonné. J’avais l’impression de rencontrer enfin des gens qui parlaient ma langue.

Même après le bac, Eric continue de jouer à ce jeu de dupes avec lui-même. Mais, chaque jour, l’idée de son homosexualité s’impose un peu plus, insidieusement, dans son esprit. Jusqu’à ce que quelque chose déclique, alors qu’il avait environ vingt ans.

« C’est presque un coup de chance. Je traînais dans un bar à Bastia, où j’ai repéré des gens qui me ressemblaient. Au fil du temps, j’ai appris à les connaître. Et je me suis beaucoup ouvert à eux, parce que je m’entendais très bien. Ils étaient de ma génération et je me sentais moins seule. J’ai fini par me dire : si ces gens le vivent bien, pourquoi devrais-je continuer à le faire. cacher mon visage ? C’était une libération, de me l’admettre. Je me suis dit qu’il fallait que j’essaye et que quoi qu’il arrive, quoi qu’il arrive, j’y arriverais. une réponse.

Une fois libéré de ce poids, Eric ne voulait plus se cacher. De son entourage en tout cas. Il révèle peu à peu son homosexualité. D’abord à son cercle le plus large, ses amis, ceux qui, selon lui, « avait un avis extérieur ». Ensuite, à ses amis proches.

Mes amis me disaient : « Tu aurais dû le dire bien avant, ça t’aurait épargné toutes ces années compliquées… »

Beaucoup m’ont dit qu’ils le savaient. Et puis une autre chose est revenue, beaucoup, dans leurs propos : tu aurais dû le dire bien avant, ça t’aurait épargné toutes ces années compliquées…
En tout cas, en parler à mes proches était aussi une étape importante. D’autant plus qu’ils l’ont si bien, si facilement accepté. Et rien n’a changé entre nous.
Un sourire teinté d’une pointe de mélancolie étire les lèvres du jeune homme.

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Eric se précipite pour rejoindre l’ombre une fois l’entretien terminé.

© S. Bonifay/FTV

Pourtant, mes relations, ma sexualité et mon quotidien restent deux mondes à part. Deux mondes scellés. Je ne pouvais pas m’exhiber avec mon copain devant mes amis. Prenez-lui la main, ou plus encore, embrassez-le. Je peux leur raconter mes histoires, mais même si cela fait trois ans que je ne me suis pas avoué, j’ai encore du travail à faire. Je n’ai pas encore trouvé le courage de leur montrer ce que je leur ai avoué. Je sais qu’ils l’acceptent, mais je redoute le moment où ils me verront réellement gay. Leur regard. C’est leur look qui m’inquiète. Ce qu’il va me dire. J’y pense très souvent, à ce que j’ai pu y voir… »

Aujourd’hui, même si j’accepte mon homosexualité, je me demande encore parfois si je suis normale

Toute sa famille, ses frères et sœurs en tout cas, le savent. Mais pas ses parents.

« Je sais que ma mère l’acceptera et que je resterai son fils. Et mon père est pareil. Il me dirait certainement : pourquoi ne l’as-tu pas dit avant ? Mais c’est juste que… une Maman, elle est toujours une maman. Je ne vois pas comment aborder les choses. Ce n’est pas vraiment le genre de discussion qu’on peut avoir avec sa mère… Le jour où je serai avec quelqu’un, sérieusement, quand j’aurai envie de construire quelque chose, alors je lui dirai que ce sera plus facile.

« Ici, parfois, certains nous regardent comme si nous étions des extraterrestres. On voit du dégoût dans certains regards. Cela peut complètement détruire quelqu’un. Je me demande si moralement, ce n’est pas encore plus insupportable que des coups. les insultes restent pour moi les pires. Cela nous oblige à nous remettre en question, vraiment, si nous sommes normaux. Aujourd’hui, même si j’accepte mon homosexualité, je me pose encore parfois cette question.

Eric l’a précisé à plusieurs reprises lors de notre entretien, il ne pense pas que les Corses soient plus homophobes que sur le continent. Le problème est ailleurs. « Ici, c’est petit, tout le monde se connaît, il y a moins d’endroits où l’on peut se retrouver. Il n’y a pas d’anonymat en Corse. Cela n’existe pas. La Corse, c’est mon île. Je l’ai dans mon cœur. Mais je ne pense pas que je vivrai ma vie ici…

*Le prénom a été changé à la demande du jeune homme

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