Les allées du cimetière de Bordeaux Chartreuse sont encore clairsemées, ce mercredi 30 octobre. Pour la Toussaint, elles seront remplies de vivants, venant au chevet des morts, comme chaque année, comme partout en France. Christophe Drapeau, une quarantaine d’années au service funéraire de la ville de Bordeaux, marche de dalle en dalle. Sa tâche ? Gérer les reprises de concessions parmi les quelque 57 000 que compte la commune réparties sur les trois sites (Chartreuse, Bordeaux Nord et Les Pins Francs). La reprise d’une concession est le seul moyen, avec la création et l’extension de cimetières, de renouveler l’offre de tombes.
L’opération est simple : Christophe Drapeau identifie les tombes les plus anciennes, en état d’abandon, qui peuvent être récupérées – « L’avantage en Chartreuse, c’est qu’il y a l’embarras du choix ! » – il vérifie les registres pour voir si des héritiers peuvent être contactés. Une pancarte est alors apposée sur la tombe choisie et les descendants du défunt ont un an (1) pour se manifester. A la fin du terme, l’équipe de fossoyeurs peut récupérer les ossements, les placer dans la voûte générale (anciennement ossuaire), et proposer à la vente la concession dans son état d’origine – ce qui coûte, malgré les travaux, bien moins cher qu’une nouvel enterrement.
L’augmentation parallèle de la démographie dans la métropole bordelaise (773 542 en 2005, 831 534 en 2021 selon l’INSEE) et l’augmentation du nombre de décès en France au cours des vingt dernières années (519 470 en 2004, 631 000 en 2023 selon l’INSEE) qui , selon les prévisions, devrait augmenter au cours des deux prochaines décennies en raison du vieillissement de la génération du baby-boom, n’effraie pas l’employé communal. « À Bordeaux, nous attendions tout cela depuis des années. Nous nous sommes organisés pour créer une rotation et le système de reprise des concessions fonctionne très bien. Nous en vendons entre 80 et 100 à la Chartreuse chaque année. Sur les trois cimetières, 2 700 ont été réalisés en vingt ans, dont environ 2 000 sur ce seul site. »
Le déclencheur du Covid
Si la situation n’est pas critique à Bordeaux, l’employé communal le reconnaît, c’est plutôt une exception. « Les cimetières de certaines communes de la métropole commencent à atteindre leurs limites, et les extensions ne sont pas infinies. » Un constat qui s’est accentué lors de la pandémie de Covid. Dès 2020, la Métropole a décidé de commander une étude à l’agence publique d’aménagement A-urba sur les cimetières du quartier. Le constat de cet état de fait est sans appel : « Les capacités des cimetières communaux et intercommunaux sont réduites. » Et ce malgré l’augmentation constante du taux de crémation, 40 % aujourd’hui.
L’étude, réalisée par l’adjoint au maire de Bordeaux Dimitri Boutleux, paysagiste professionnel, et sous la direction de Jean-Christophe Chadanson, prévoit environ 70 000 sépultures entre 2020 et 2039. Dans les différents scénarios étudiés, la saturation des cimetières arrive, à au plus tôt, si rien n’est fait, fin 2025, au plus tard, fin 2031. Sauf une : quand les reprises de concessions augmentent, on évite la saturation.
Mise en commun
Consciente de l’urgence, la Métropole a créé une direction des pompes funèbres pour gérer les différentes communes. « Aujourd’hui, nous manquons de données, ce qui limite notre capacité d’anticipation », déplore Dimitri Boutleux. Mais la mutualisation au niveau intercommunal a notamment permis la mise en place d’une centrale d’achat, ce qui réduit le coût des travaux. Nous souhaitons également mutualiser le marché des tranchées. Mais le plus important est d’instaurer un dialogue entre les communes sur ce sujet, et le partage des compétences. »
La Métropole évoque plusieurs autres solutions mises en place par les communes : accélération de la reprise des concessions, cofinancées par l’agglomération, limitation des durées de concession, fin des durées perpétuelles, arrêt des ventes par anticipation. Dans les deux cimetières intercommunaux, l’installation de caveaux funéraires (voûtes hors sol empilables) est également à l’étude.
« Cela fait un moment que les communes ont pris conscience des problèmes d’espace dans les cimetières », souligne Alèxe Duvaut, doctorant en sciences politiques à Bordeaux et spécialiste du sujet. « En revanche, l’aspect financier est une vraie limite : gérer un cimetière coûte très cher à une mairie. Surtout depuis 2021, les taxes municipales funéraires [redevance perçue par la collectivité pour chaque inhumation, NDLR]qui pourraient aider certaines communes, sont interdits. »
(1) Le délai était de trois ans jusqu’à l’entrée en vigueur en 2022 de la loi 3DS, qui raccourcit la procédure dans le but d’accélérer les reprises de concessions pour justement éviter les risques de saturation des cimetières. Elle comprend également l’obligation d’informer la famille du défunt « par tous les moyens ».
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