Le temps de la représentation proportionnelle, cheval de bataille du nouveau premier ministre, est-il venu ?

Le temps de la représentation proportionnelle, cheval de bataille du nouveau premier ministre, est-il venu ?
Le temps de la représentation proportionnelle, cheval de bataille du nouveau premier ministre, est-il venu ?

Le chef du gouvernement réclame depuis longtemps que les élections législatives se déroulent au scrutin proportionnel. Mais l’adoption de cette mesure, acclamée par les électeurs, pourrait se heurter à des divisions à l’Assemblée et à d’éventuelles censures.

Jamais, depuis sa brève introduction, il y a près de quarante ans, le scrutin proportionnel aux élections législatives n’a semblé aussi serré. Le nouveau Premier ministre, François Bayrou, qui doit présenter les priorités de son gouvernement lors de sa déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale mardi 14 janvier, en a fait l’un de ses grands combats politiques. C’était même une condition pour qu’il rejoigne Emmanuel Macron en 2017.

Huit ans plus tard, malgré les promesses du chef de l’Etat, ce mode de scrutin, qui vise à répartir les sièges à l’Assemblée au prorata des voix des électeurs, n’a toujours pas été mis en œuvre. Mais les voyants apparaissent désormais au vert. «Je suis convaincu que nous y arriverons»lancé en mars dernier les Béarnais lors d’un congrès du MoDemqui pourrait en reparler devant les parlementaires mardi.

Depuis l’instauration de la Ve République en 1958, les députés français sont élus au scrutin majoritaire à deux tours. Le vote proportionnel n’a été introduit qu’une seule fois, en 1986, par François Mitterrand, conduisant à une cohabitation avec le Premier ministre Jacques Chirac, qui a rétabli le vote majoritaire en 1988. Depuis, “JeLes partis se sont accommodés, car cela a permis d’obtenir une majorité stable, très confortable pour les gouvernements car cela n’impliquait pas de négociations complexes au Parlement. Camille Bedock, politologue et chargée de recherche CNRS au Centre Emile-Durkheim de Bordeaux, s’explique à franceinfo.

L’argument de la stabilité a toutefois volé en éclats après les élections législatives de l’été dernier, qui ont abouti à une Assemblée sans majorité, divisée en trois blocs eux-mêmes hétérogènes. La chute du gouvernement de Michel Barnier, censuré après à peine 90 jours de mandat, un record, a enfoncé le clou. « Comme on ne parvient plus à obtenir une majorité stable, la question du mode de vote se pose à nouveau »analyse Camille Bedock.

Une majorité de forces politiques voit désormais favorablement l’introduction de la représentation proportionnelle. Bataille de longue date des écologistes, ce changement est également défendu par les autres partis de gauche dans le programme commun du Nouveau Front populaire (NFP). La mesure est également réclamée par le Rassemblement national (RN). Le camp présidentiel, hormis Horizons, penche également en faveur, tandis que les Républicains sont plus dubitatifs. Les électeurs interrogés se sont quant à eux massivement prononcés en faveur du changement (74 %), selon un sondage publié par Sénat public en décembre.

Les exemples d’application de ce mode de vote chez nos voisins européens, de différentes manières, ne manquent pas. Cela existe aussi déjà en , pour les élections européennes. « Adoption d’un fils [pour les législatives] permettrait à la politique d’être ce qu’elle doit être aujourd’hui, en s’éloignant de la situation majoritaire où celui qui gagne remporte tout et en évoluant vers une démocratie de compromis.défend le député MoDem Erwan Balanant. Son collègue LFI Pierre-Yves Cadalen le voit également “certains avantages en termes de représentation démocratique”.

Alors que près de 70 % des Français n’ont plus confiance dans la politique, selon une étude du Cevipof publiée par Le point en février 2024, la représentation proportionnelle pourrait aussi avoir des vertus en la matière, constate Camille Bedock.

« Des travaux comparatifs montrent que dans les pays où la représentation proportionnelle est en vigueur, la confiance dans les institutions est plus grande. »

Camille Bedock, chercheuse et politologue

sur franceinfo

Si elle adopte la représentation proportionnelle, la France devra pleurer la perte d’une Assemblée dans laquelle un parti peut obtenir seul la majorité et où les parlementaires s’habituent aux négociations de coalition, comme en Allemagne ou en Belgique. « Après tout, le but de ce système est de refléter l’équilibre des pouvoirs dans les urnes au Parlement »se souvient Camille Bedock. Ce nouveau mode de vote pourrait également influencer la stratégie des partis qui « n’auraient plus besoin de former des alliances pour élire leurs députés » et donc les rendre plus libres dans leur stratégie post-électorale, ajoute le constitutionnaliste Benjamin Morel, maître de conférences à l’Université Paris 2.

Par exemple, il est aujourd’hui complexe pour les partis de gauche de rompre l’accord NFP, sans quoi chacun se présentera seul aux prochaines élections, au risque de perdre trop de sièges, voire de disparaître de l’Assemblée. Avec la représentation proportionnelle intégrale, la logique change : chaque parti n’est alors tenu que par ses engagements envers ses électeurs. Il serait alors plus simple pour une formation comme le PS de négocier avec le centre.

Les politiques français, peu habitués aux compromis, seraient-ils capables de prendre ce virage ? «Nous sous-estimons à quel point le mode de vote façonne la vie politique»estime la sénatrice écologiste Mélanie Vogel, expérimentée dans la vie politique européenne. « Au Parlement européen, il est ancré dans la tête de tous les élus que nous aurons besoin des autres pour faire avancer nos priorités »juge-t-elle, avertissant que de tels « Le changement culturel ne se produira pas soudainement ».

La quasi-unanimité des partis sur le sujet cache cependant d’importantes divergences de point de vue. « Dire que l’on est pour la représentation proportionnelle n’est pas très engageant. Mais si l’on commence à discuter de sa forme, tout d’un coup, cela devient plus complexe. »note Benjamin Morel. Avec prime majoritaire, avec ou sans seuil, listes locales ou nationales… Il existe en effet de nombreuses modalités de vote proportionnel.

François Bayrou défend la représentation proportionnelle intégrale, organisée au niveau départemental, avec un seuil de 5 % pour obtenir des sièges, sur le modèle utilisé lors des élections législatives de 1986. Un sens unique »pour assurer » «les racines des élus»il a expliqué à Monde en 2020. Mais des voix s’inquiètent d’un système encore trop peu représentatif. «Je suis très dubitatifsouffle Benjamin Morel. Il existe un risque de distorsion très fort dans les petits départements où un ou deux députés sont élus. Cela ne rendrait pas le système d’alliance plus fluide.»

Une liste nationale, alors, comme aux élections européennes ? « On court le risque que les députés soient déconnectés des territoires »estime Mélanie Vogel. En septembre, le sénateur a déposé un projet de loi visant à établir une représentation proportionnelle basée sur des circonscriptions régionales.

« Nous pouvons peut-être trouver une meilleure répartition électorale. Mais pour la lisibilité du débat, il vaut mieux partir de quelque chose que l’on connaît déjà.»

Mélanie Vogel, environmentalist senator

sur franceinfo

Une autre disposition y est quasiment unanimement opposée : l’instauration d’une prime majoritaire, désormais défendue par le RN. Cette mesure attribuerait un pourcentage supplémentaire de sièges au parti arrivé en tête. « Cela permet de faire coïncider proportionnalité et stabilité gouvernementale. » fait valoir le député RN Laurent Jacobelli. “C’est le pire des deux systèmes : on crée une majorité artificielle sans possibilité de former un front républicain”répond Mélanie Vogel. Erwan Balanant y voit une pirouette du parti d’extrême droite, « Longtemps défenseur de la représentation proportionnelle parce qu’il n’a pas pu accéder au pouvoir, et qui modifie ses positions car il est désormais en mesure d’obtenir la majorité dans le système actuel ».

La mise en place d’un système de double liste, à l’instar de l’Allemagne, a jusqu’à présent reçu peu de soutien en France. Outre-Rhin, les partis s’affrontent aussi bien dans les circonscriptions locales que sur les listes nationales. Ceux-ci servent à ajuster le nombre de députés en fonction du poids de leur mouvement dans le vote. « Il faut que ce soit simple. Pas une usine à gaz. licencie Erwan Balanant.

En cas de projet de loi du gouvernement, les parlementaires pourront-ils trouver un accord ? Sur le papier, la proportionnelle est une réforme simple : pas besoin de modifier la Constitution, une loi ordinaire suffit.

« Le problème est que tout le réclame un système qui leur profite. Mais il faudra bien que quelqu’un accepte de perdre des députés.»

Benjamin Morel, constitutionnaliste

sur franceinfo

Mélanie Vogel suggère de retenir quatre critères : « Rechercher la représentation la plus fidèle possible, garantir un ancrage local, être lisible et intelligible pour les citoyens et ne pas avoir à modifier la Constitution ». Laurent Jacobelli affirme de son côté que le RN va se montrer “ouvrir” aux différentes propositions, à l’image du MoDem d’Erwan Balanant.

Pour La France insoumise, la représentation proportionnelle doit faire partie du « d’une réforme institutionnelle plus large ». “Elle ne peut pas être la seule façon de résoudre la crise démocratique »souligne Pierre-Yves Cadalen. Fidèle aux promesses de son mouvement, il estime nécessaire de convoquer une assemblée constituante visant à concevoir une VIe République.

Malgré certains avantages, la représentation proportionnelle ne résoudrait pas à elle seule le blocage politique actuel. « Cela ne changera pas la nature du système partisan, très polarisé entre trois blocs »souligne Camille Bedock. Le chercheur souligne également le caractère central de « l’élection présidentielle au suffrage universel direct » OMS « encourage les hommes politiques à jouer leur rôle individuel et à ne pas faire de compromis ». Un constat partagé par Mélanie Vogel, pour qui « Rien, à lui seul, ne répondra aux problèmes démocratiques de la France. » Le sénateur écologiste admet cependant qu’une réforme plus large des institutions semble, pour l’instant, hors de portée.

Tout dépendra aussi de la durée de vie du gouvernement de François Bayrou et de sa capacité à faire adopter en premier le budget 2025. “J’ai du mal à imaginer que l’on négocie ce sujet alors que le Premier ministre va probablement tomber rapidement”prédit Pierre-Yves Cadalen. « Compte tenu de l’instabilité actuelle, faire passer une réforme de fond semble compliqué »confirme Laurent Jacobelli. De son côté, Benjamin Morel pense aussi que ce sujet « risque d’être laissé de côté, même si les partis commencent à y travailler sérieusement ».

 
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