La menace qui pèse sur le pays reste « très élevée ». Les tensions internationales pèsent lourd, mais les apprentis djihadistes, de plus en plus jeunes, puisent principalement leur propagande au cœur des réseaux sociaux ou en communiquant via la messagerie.
Trois jours de terreur qui ont marqué la France. Le 7 janvier 2015, à 11h30, les frères Chérif et Saïd Kouachi pénètrent dans les locaux de Charlie Hebdo et tué onze personnes, dont huit membres de la rédaction de l’hebdomadaire satirique. Ils s’enfuient en criant « Nous avons vengé le prophète ! » et tuer le policier Ahmed Merabet. Ils sont finalement tués deux jours plus tard, le 9 janvier, par le GIGN.
Ce jour-là, Amedy Coulibaly était tué au magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes, à Paris, où il détenait 30 otages, dont quatre sont morts. La veille, il avait assassiné la policière municipale Clarissa Jean-Philippe à Montrouge. Ces trente-six heures meurtrières ont scellé l’alliance inédite de deux branches du terrorisme djihadiste. Car lors de sa prise d’otage, Amedy Coulibaly a affirmé agir pour le compte du groupe État islamique (EI) et affirmé être en contact avec les frères Kouachi, qui affirmaient faire partie d’Al-Qaïda au Yémen.
Dix ans plus tard, le spectre du terrorisme islamiste plane toujours sur la France. Au 1er décembre, la part des procédures jihadistes, en augmentation en 2024 par rapport aux deux années précédentes, représentaient 87% des procédures suivies par le Parquet national antiterroriste (Pnat), selon les informations communiquées par le procureur de la République à franceinfo.
Or, comme l’expliquait le procureur du Pnat Olivier Christen le 11 septembre, « la menace dite projetée, c’est-à-dire la capacité d’envoyer un groupe qui attaquerait le territoire, sur le modèle de ce qu’on aurait pu connaître en 2015, ne semble pas la plus significative aujourd’hui, même si elle est pas impossible. Les services engagés dans la lutte contre le terrorisme, en France et à l’étranger, ont appris, petit à petit, à le contenir.
La chute de Bachar al-Assad en Syrie, le 8 décembre, peut-elle changer la donne ? Des questions se posent sur les Français partis faire le jihad. Certains sont emprisonnés, tandis que d’autres ont rejoint les rangs de la rébellion. « Tous font aujourd’hui l’objet d’enquêtes judiciaires, tous font l’objet de mandats d’arrêt ou de perquisition. S’ils quittaient la Syrie aujourd’hui, ces engins permettraient de les appréhender. »» a assuré, deux jours après l’entrée des rebelles à Damas, le procureur antiterroriste de France 2.
En réalité, souligne le Pnat, « il est prématuré de commenter une éventuelle résurgence de la menace projetée après la prise du pouvoir en Syrie » par le groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Sham. “Le risque se situe dans les mois et les semaines à venir, en fonction du scénario qui va se produire”, soulignait Hugo Micheron, docteur en sciences politiques, le 10 décembre sur RTL. “Ce bouleversement régional pourrait permettre à l’organisation Etat islamique de reconstituer ses troupes et ses moyens, ainsi qu’à des groupes jihadistes concurrents de s’affirmer”, analyser Le mondequi a révélé, le 16 décembre, des notes rapportant “peurs” des services de renseignement français.
En fin d’année, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau jugeait, dans une note principalement adressée aux préfets, que « le niveau très élevé de la menace terroriste » suite “pour peser sur notre pays”. Dans un télégramme que franceinfo a pu consulter lundi 6 janvier, le ministre a renouvelé son message et a demandé de renforcer les mesures de vigilance lors des grands rassemblements, après les attaques à la voiture perpétrées en Allemagne et aux Etats-Unis. Uni. La France a porté le plan Vigipirate à son niveau maximum le 24 mars et l’a prolongé jusqu’à l’automne, notamment en raison des Jeux de Paris 2024. Une décision qui faisait suite à l’attaque meurtrière et inédite dans une salle commune de la banlieue de Moscou, revendiquée par l’État islamique du Khorasan, nom médiéval de l’Afghanistan qui englobait le nord de l’Iran. Cette branche de l’EI en Asie centrale, qui a mené plusieurs tentatives d’attentats en France, représente à ce jour la menace la plus inquiétante pour le Pnat.
En fait, l’EI existe sous d’autres formes depuis 2019, qui a marqué la chute de son « califat » en Syrie et en Irak. Un tournant qui a conduit à une reconfiguration de la menace terroriste jihadiste, avec, selon le Pnat, une « une féminisation et un rajeunissement du mouvement », « une montée du salafisme et une banalisation du djihadisme », ainsi qu’un « émergence des réseaux sociaux comme accélérateur de la diffusion de la propagande ».
« La nature de la menace a évolué : elle est plus diffuse, car les individus susceptibles d’agir se radicalisent sur les réseaux sociaux, avec une propagande menée depuis l’étranger »résume pour franceinfo Jenny Raflik, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Nantes et auteur de Le terrorisme en France, une histoire, XIXe-XXIe siècle. Selon elle, il n’y a plus de menace “exogène”c’est-à-dire qui vient de l’extérieur, comme ce fut le cas pour les attentats de 2015, ni “endogène”, qui émane d’individus vivant en France et baignés dans la propagande djihadiste, mais “une combinaison des deux”.
“Il n’y a plus de sponsors à proprement parler, mais ceux qui font la propagande le font avec un acte en tête.”
Jenny Raflik, professeur d’histoire contemporainesur franceinfo
Ainsi, les débats lors des procès des attentats terroristes ont mis à mal la thèse du « loup solitaire », apparue en 2012 lors des attentats perpétrés par Mohamed Merah. « Avec internet, nous avons des liens virtuels dans les groupes et plusieurs « loups solitaires » sont en contact »analyser Jenny Raflik.
« Si l’année 2015 a été marquée par une logique commando, projetée depuis la zone irako-syrienne, l’État islamique se démarque aujourd’hui davantage par sa capacité à inspirer des projets d’actions violentes chez nos nationaux »confirme à l’AFP la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Désormais, le parquet national antiterroriste prend la parole « une menace inspirée ou, selon les cas, une menace ordonnée ».
Le dernier attentat programmé en France en 2024 – le neuvième – reflète cette nouvelle forme de menace : trois étudiants en informatique, psychologie et chimie, soupçonnés d’avoir planifié une action violente en France avec des engins explosifs, ont été mis en examen et placés en détention provisoire. détention pour jugement le 7 décembre. En contact via une messagerie cryptée, ils ont été interpellés à Nantes puis à Nîmes (Gard). Ils n’avaient pas de cible définitive, mais évoquaient dans leurs échanges le siège de la DGSI à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) ou la mairie de Poitiers (Vienne), en raison de la bataille symbolique de 732. Ils sont âgés 19 à 20.
Quelques mois plus tôt, c’était un Tchétchène de 18 ans qui voulait mener une attaque à Saint-Etienne (Loire), près du stade Geoffroy-Guichard, lors des épreuves olympiques. Sur son téléphone, les enquêteurs ont constaté des échanges avec des individus connus des services de renseignement, qui surveillent les réseaux tchétchènes. Depuis 2018, des terroristes d’origine nord-caucasienne ont commis trois attentats en France, dont les assassinats des professeurs Dominique Bernard et Samuel Paty. Ce dernier a été tué par Abdoullakh Anzorov, un islamiste radical tchétchène, également âgé de 18 ans seulement.
La justice antiterroriste souligne cette tendance au rajeunissement des acteurs impliqués dans des projets d’action violente. « Alors que ces dernières années, les mineurs mis en examen dans des affaires terroristes se comptaient sur les doigts d’une main, 15 mineurs ont été mis en examen en 2023 et 18 en 2024 », constate le Pnat, qui reconnaît néanmoins manquer “en arrière” Actuellement « de catégoriser avec précision le profil type des mineurs prêts à commettre des actions terroristes ». Néanmoins, observe-t-il, « une constante émerge » : la plupart de ces mineurs radicalisés sont « les fans de contenus ultra violents, à caractère guerrier ou pornographique »estime le parquet antiterroriste.
« Il n’y a plus de mouillage dans les mosquées salafistes, car elles sont fortement surveillées. Dans les salles de sport, c’est de moins en moins le cas. Clairement, les espaces virtuels sont devenus le lieu de radicalisation »expose à franceinfo Xavier Crettiez, professeur de sciences politiques à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye. Co-auteur du rapport d’audit Sociologie du djihadisme français (document PDF)réalisée pour l’administration pénitentiaire, elle a analysé en 2023 les profils “plus de 350 terroristes jihadistes incarcérés”, puis, en novembre 2024, celles de 174 personnes incarcérées pour des délits de droit commun, mais soupçonnées de radicalisation.
« Nous avons affaire massivement à des Français, dispersés sur le territoire, issus de grandes mais aussi de moyennes villes, sans que cela recoupe la carte de la délinquance urbaine ou celle des flux migratoires »développe Xavier Crettiez, qui s’en explique « capillarité du djihadisme » par la facilité d’accès à Internet partout. Une grande partie a « une pratique religieuse forte ». Cependant, le professeur de sciences politiques s’oppose à l’idée selon laquelle « la prison serait l’ENA du jihad », « n’est plus réelle du tout » selon lui. “La prison n’est pas un élément de production djihadiste” assure-t-il.
Ce spécialiste sait cependant bien que les personnes condamnées aux peines les plus lourdes sont toujours incarcérées et seront libérées d’ici deux ou trois ans. « Le taux de récidive des terroristes existe, mais il est faible car des moyens colossaux sont déployés pour les surveiller à leur sortie de prison. » estime Xavier Crettiez.
Toutefois, ces profils restent « un sujet de préoccupation prioritaire » pour le parquet antiterroriste. Le Pnat rappelle qu’Armand Rajabpour-Miyandoab, l’auteur de l’attentat du pont Bir-Hakeim à Paris, le 2 décembre 2023, avait déjà été condamné à cinq ans de prison pour un attentat planifié en 2016 à la Défense. Tandis que Derek R., qui a pris en otage un chauffeur de taxi dans la nuit du 16 au 17 juillet 2024, à La Ferté-Bernard (Sarthe), venait de sortir de prison pour des faits de vols et de violences. Connu par ailleurs pour ses tendances djihadistes, il était suivi par les services de renseignement depuis son incarcération. Durant le voyage, Derek R. aurait tenu des propos pro-Hamas.
« Le terrorisme évolue par vagues et est poreux au contexte géopolitique. »
Le parquet national antiterroristesur franceinfo
Le Pnat considère que « la résurgence des tensions au Moyen-Orient est un facteur aggravant » de la situation. Depuis l’attaque inédite du Hamas en Israël le 7 octobre 2023, un seul acte violent à caractère antisémite a été enregistré sur le territoire français : l’attaque d’une synagogue de La Grande-Motte (Hérault), fin août. « Nous assistons constamment à un regain de la menace terroriste »souligne le parquet national antiterroriste, qui conclut qu’aujourd’hui, c’est «diversifiée et protéiforme.