Le 14 décembre, Mayotte a été frappée par l’un des plus gros cyclones que l’archipel ait jamais connu. Si le bilan provisoire s’élève actuellement à 21 morts, les autorités françaises s’attendent à un bilan humain bien plus lourd, qui risque de s’élever à un millier de victimes. Et pour cause, des centaines de milliers de personnes en situation irrégulière sont restées dans les bidonvilles de peur d’être contrôlées par les autorités.
Le sénateur (RDPI) de Mayotte, Saïd Omar Oili, s’est rendu hier, lundi 16 décembre, dans sa circonscription de Mamoudzou (Mayotte), pour exprimer son soutien à sa population et voir sa famille. L’homme politique, qui a grandi à Mamoudzou, se dit profondément traumatisé par cet événement. Pour « Marianne » il revient sur la situation particulière des habitants des bidonvilles de Mayotte.
Marianne : Vous êtes arrivé à Mayotte hier. Comment décrivez-vous la situation dans les bidonvilles après le cyclone ?
Omar Oili a déclaré : Quand je suis arrivé, je n’ai pas reconnu ma ville. J’ai grandi ici et pourtant il y a des rues que je ne reconnais pas, des quartiers qui n’existent plus. C’est un choc, c’est un choc terrible. C’est comme si une bombe était tombée et avait tout détruit. Tout est noir, on dirait que les arbres ont brûlé. Il n’y a ni eau, ni électricité, ni nourriture. Les gens doivent se débrouiller seuls. Les gens sont très résilients, il y a une vraie solidarité. Heureusement, les enfants sont actuellement en vacances mais quand celles-ci finiront, que ferons-nous de ces personnes hébergées dans les écoles ?
Les renforts envoyés dans l’archipel sont-ils suffisants pour endiguer la crise ?
Le projet est gigantesque, il y a une énorme pénurie de médecins, tout est insuffisant. Le ministre de l’Intérieur [Bruno Retailleau] m’a assuré qu’un hôpital de campagne serait déployé pour soulager les hôpitaux. L’État a envoyé des militaires et du personnel de la sécurité civile, mais je pense que nous pouvons tripler le personnel que nous avons envoyé ici. Quand il y avait Irma [ouragan qui avait frappé les Antilles françaises en 2017]nous avions envoyé 3 000 hommes pour 60 000 habitants à Saint-Martin. Ici, c’est Irma deux fois et nous avons envoyé jusqu’à présent entre 110 et 140 hommes, pour 400 000 habitants à Mayotte.
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Comment expliquer qu’un tiers des habitants de l’archipel vivent encore dans des bidonvilles ?
Le problème qui se pose, c’est que les personnes que nous étions censés héberger n’ont pas de papiers. Même si leur situation leur permettait de vivre dans ces maisons, ils s’entasseraient dans leurs bidonvilles. Les logements permanents ont perdu leur toit, mais la difficulté réside surtout dans les bidonvilles où vit plus de la moitié de la population. Le problème est l’immigration clandestine, qui est assez importante. Lorsqu’il arrive, il s’installe là où il y a un peu d’espace, c’est-à-dire sur un terrain qui appartient au Conseil départemental et à l’Etat. C’est là que se trouvent les plus grands bidonvilles. Ce sont donc les plus vulnérables qui se trouvent dans les endroits les plus dangereux. Il n’y a eu aucun décès parmi les personnes ayant un logement permanent. Par contre, ceux qui étaient dans les bidonvilles ont été emportés par tout le reste.
Comment adapter les constructions au terrain à risques de Mayotte ? Quelle forme doit prendre le nouveau bâtiment ?
Il y a eu une évolution dans le logement à Mayotte. Maintenant, nous construisons en hauteur, ce qui n’était pas accepté dans la culture auparavant. La population avait ses propres habitudes, sa propre maison et sa propre cour. Désormais, la case individuelle est terminée, car nous avons une démographie de plus en plus importante. La population plus jeune accepte plus facilement de vivre dans des immeubles de grande hauteur. Ce dont nous avons besoin maintenant, c’est de construire beaucoup, car la demande est là. Mais le problème qui se pose à Mayotte, c’est la libération des terrains constructibles. C’est une vraie préoccupation.
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Il faudrait également que chaque région puisse légiférer par ordonnance afin que les politiques soient plus faciles à appliquer dans chaque région de l’archipel. Certains refusent cette solution, estimant qu’elle reviendrait à faire de Mayotte une exception. Mais Mayotte est déjà un département exceptionnel, par sa jeunesse, par sa pauvreté. Peut-on développer les mêmes normes qu’en France métropolitaine ? Je ne pense pas.
De nombreuses personnes en situation irrégulière n’ont pas cherché refuge dans les centres d’hébergement de peur d’être contrôlées par les autorités. Qu’est-ce que cela dit sur la question migratoire à Mayotte ?
Les gens pensaient que les alertes aux cyclones étaient un piège, car il y avait un traumatisme par rapport à ce qui s’était passé auparavant. Les gens ont des souvenirs. Wuambushu [opération policière française qui a pour but d’expulser les étrangers en situation irrégulière, détruire les bidonvilles et lutter contre la criminalité dans l’archipel]c’était un traumatisme parce qu’on n’avait jamais vu ça. Ils sont venus détruire les bidonvilles.
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Je vais vous donner un autre exemple. Il y a un bus qui circule à Mayotte pour soigner les malades du Sida, dont le nombre augmente de manière inquiétante, mais les individus ne viennent pas car la police profite souvent de ces moments pour les arrêter. Ils pensaient donc que les alertes aux cyclones étaient un piège. Lorsque les enfants sortent de l’école, les parents ne viennent pas les chercher car ils ont peur d’être contrôlés et renvoyés dans leur pays d’origine. Il faut absolument parvenir à inverser la tendance et redonner confiance aux gens. Parce que cela pourrait se reproduire.
Y a-t-il un problème de notoriété pour ce type d’événement ?
La population n’a pas la mémoire du risque car elle est très jeune. Et dans les écoles, il n’y a aucune sensibilisation sur le comportement à adopter en cas d’alerte cyclonique alors même qu’on est dans une zone très vulnérable. Nous avons un problème de classe qui nous a obligé à introduire un système de rotation où les enfants ne vont à l’école que deux jours par semaine. Il est extrêmement compliqué pour les enseignants d’intégrer une formation là-dessus dans ces conditions.
Comment la décision du nouveau Premier ministre François Bayrou de se rendre à Pau plutôt qu’à la réunion de crise de Mayotte a-t-elle été perçue par les Mahorais ?
Cela a été très mal ressenti. Les Mahorais ont constaté qu’une fois de plus, Mayotte n’était pas considérée comme une priorité. Je dois les rassurer, leur dire que l’État est là et va nous aider, mais ils m’ont évidemment dit que le nouveau Premier ministre a raté une occasion d’aborder le premier dossier important qui s’est présenté. à lui.
Que va-t-il se passer dans les prochains jours ?
C’est à Paris que ça se passe. J’essaie de sensibiliser toutes les parties et de faire en sorte que l’on trouve rapidement les moyens de reconstruire ce territoire. J’ai déjà sensibilisé le Président du Sénat, Gérard Larcher, qui présentera aujourd’hui le dossier Mayotte à la Conférence des présidents de groupes pour voir comment le Sénat peut être utile pour aider sur ce sujet. À partir d’aujourd’hui, je souhaite sensibiliser les députés européens. La question de Mayotte sera inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée européenne de demain.