La perte du double A de la dette française pourrait contraindre certains investisseurs institutionnels à vendre leurs obligations françaises, leurs règles internes leur imposant de ne détenir que des AA- au minimum.
Notes d’agence financière sans importance. Jusqu’à présent, les avis de S&P, Fitch et Moody’s sur la qualité de la dette française semblaient largement ignorés par les investisseurs institutionnels.
La perte de son double A en juin dernier n’a pas provoqué une envolée des taux d’emprunt de la France sur les marchés, bien au contraire. L’OAT française à 10 ans a vu son rendement baisser entre juin et juillet, tombant bien en dessous de 2 %.
Alors que le pays attend ce vendredi le nouvel avis de l’agence S&P qui pourrait dégrader une nouvelle fois la note française, les mêmes causes produiront-elles les mêmes effets ?
Cette fois, rien n’est moins sûr. Une nouvelle baisse de la note ferait en effet passer la dette française de AA- à A+. La signature française jugée jusqu’ici « haute qualité » serait considérée par l’agence comme étant « qualité moyenne supérieure ».
“Souvent, l’impact d’une dégradation est insignifiant car les investisseurs sur les marchés étaient déjà conscients des problèmes du pays concerné et en tenaient déjà compte pour déterminer le taux d’intérêt requis sur ses obligations”, rappelle Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG. .
Mais lorsqu’un abaissement de la note fait passer la note à une catégorie inférieure, ce qui déclenche automatiquement des effets de seuil sur la demande d’obligations du pays, les taux d’intérêt augmentent.»
Le A+ qui change tout ?
Les investisseurs institutionnels tels que les fonds de pension, les OPCVM, les compagnies d’assurance ou autres banques sont soumis à des règles de gestion internes. Pour un certain nombre d’entre eux, la détention ou l’achat d’obligations notées en dessous du seuil double A est ainsi interdit.
Les Experts : Dette, S&P va-t-il dégrader la note de la France ? – 29/11
« Le déclassement de la dette publique française en catégorie A impliquerait donc des ventes nettes de ses obligations sur les marchés, puis une forte baisse de la demande, explique Eric Dor. Cela entraînerait automatiquement une augmentation du taux de rendement exigé sur les obligations émises par la France.»
Un effet qui a peut-être déjà eu lieu en juillet dernier lorsque les investisseurs japonais ont vendu pour un montant très élevé de 8 milliards d’euros d’OAT suite à la perte de l’AA.
Autrement dit, plus que l’opinion de l’agence en tant que telle, la notation de l’agence peut avoir une conséquence automatique sur les positions prises par les investisseurs.
Un autre effet de seuil similaire pourrait également se produire avec les banques. Ces derniers sont en effet tenus par la réglementation de détenir un certain montant de fonds propres. Exigence renforcée en 2010 par l’accord de Bâle III qui impose aux banques de détenir un certain montant de capital ainsi qu’un pourcentage de capital de qualité et sans risque.
Cependant, les obligations souveraines notées double A sont considérées comme sans risque. Ce qui n’est plus le cas de ceux qui n’ont qu’un seul A.
« Le coefficient de risque appliqué aux obligations souveraines est de 20 % pour les notations A- à A+, explique Eric Dor. Ainsi, une dégradation de la note de la France à A+, ou moins, entraînerait une augmentation des actifs pondérés des risques des banques qui les détiennent, et donc une augmentation des exigences minimales de fonds propres de ces banques.»
En maintenant le même montant d’obligations françaises, certains établissements pourraient ainsi automatiquement passer en dessous du seuil de capital requis.
Les banques britanniques les plus exposées
La conséquence est que certains établissements réagiraient en achetant moins de dette publique française, ce qui entraînerait une augmentation du taux de rendement exigé sur les marchés.
Reste à savoir quelle serait la proportion de ces effets de seuil et de cette perte d’attractivité sur le colossal marché français des OAT, dont le montant total des émissions (le besoin de financement de l’État) devrait avoisiner les 300 milliards d’euros en 2025.
La dette française, dont le montant culmine à 3 200 milliards d’euros, est détenue à 9,2% par les banques françaises. La majorité (55%) est aux mains d’investisseurs étrangers. Selon la Banque des règlements internationaux (BRI), ce sont les banques britanniques qui détiennent le plus gros montant (124 milliards d’euros), devant les japonaises (112 milliards), les américaines (43 milliards) et les allemandes (33 milliards).