Le pouvoir algérien a décidément la vie dure avec les écrivains qui ne s’inclinent pas devant lui et qui, selon les magnifiques mots d’Albert Londres, portent « la plume dans la plaie ». Le tout nouveau prix Goncourt, Kamel Daoud, a quitté son pays natal. Il est depuis la cible d’une campagne malveillante dont on connaît l’orchestrateur, et son roman « Houris » est introuvable en Algérie.
Sans doute parce qu’à 75 ans, il est de plus en plus insensible aux menaces, Boualem Sansal a toujours refusé l’exil, lui qui, comme Daoud, possède la double nationalité franco-algérienne. Ennemi infatigable de l’islamisme chez nous, c’est-à-dire sur les deux rives de la Méditerranée, du fondamentalisme et de la chape de plomb qui s’abat sur Alger depuis des décennies, cet écrivain dévoué, aux accents voltairiens, a donc été incarcéré ce samedi.
Son arrestation vient de susciter la pétition de plusieurs grands écrivains et prix Nobel, dont certains, Salman Rushdie, Orhan Pamuk et Roberto Saviano, connaissent le prix tragique de la liberté d’expression, du refus de s’agenouiller aux pieds des autocrates, des criminels ou des Tartuffes aux turbans. La place d’un écrivain qui fait son travail est dans une librairie, et non entre quatre murs aveugles, sous la surveillance d’un policier ou d’un geôlier.
La place d’un écrivain qui fait son métier est dans une librairie, non entre quatre murs aveugles, sous la surveillance d’un policier ou d’un geôlier.
Difficile de ne pas voir dans la mise en fourrière de Sansal un effet de la détérioration des liens entre Paris et Alger après le choix d’Emmanuel Macron de soutenir le Maroc, pays voisin et détesté. S’il fait les frais de l’eczéma qu’il suscite au sein de la nomenklatura algérienne qui, avec la paranoïa et la mauvaise foi des tyrans, le rejette vers l’extrême droite et le qualifie d’« agent sioniste », Boualem Sansal est l’otage involontaire d’un guerre diplomatique à trois joueurs.
Difficile également de ne pas remarquer la timidité de la gauche française à réclamer sa libération. Ne parlons pas des rebelles qui réclament la fin du crime d’apologie du terrorisme au nom de la liberté d’expression, mais n’avons pas un mot pour un auteur dont le tort est de stigmatiser l’influence islamiste. C’est ainsi qu’on entend davantage un Philippe de Villiers qui compare Sansal à Soljenitsyne tout en oubliant que son ami Poutine traite les esprits libres avec la même férocité que l’ancienne dictature soviétique.
Quelles que soient les banderoles et les croyances, Boualem Sansal n’a commis aucun crime. Il doit être libéré immédiatement. Et gratuitement, tout le temps.