« Nous ne vous oublierons pas ». Arrivé samedi 16 novembre au soir dans la capitale argentine, Emmanuel Macron a rendu le lendemain à Buenos Aires un hommage symbolique aux victimes, notamment françaises, de la dictature militaire, avant de rencontrer le président ultralibéral Javier Milei, accusé de révisionnisme sur cette page sombre. de l’histoire du pays latino-américain.
Le chef de l’Etat français, accompagné de son épouse Brigitte, a visité l’église Santa Cruz, lieu de mémoire de la résistance contre la dictature (1976-1983). En décembre 1977, plusieurs membres fondateurs des Mères de la Place de Mai, qui réclamaient des informations sur leurs proches disparus, furent arrêtés, torturés et assassinés après s’être réunis dans cette église. « Merci pour votre présence », “surtout en ce moment”» a déclaré dimanche l’un des proches des victimes au président français. Un autre lui a demandé « que les intérêts politiques et économiques ne nous font oublier ni l’idéal ni (…) l’espoir de rendre justice ».
Parmi les victimes figuraient Léonie Duquet et Alice Domon, religieuses françaises des Missions étrangères de Notre-Dame de La Motte. Arrêté les 8 et 10 décembre 1977 après une dénonciation de l’ex-capitaine Alfredo Astiz, surnommé “l’ange blond de la mort”, ils sont torturés à l’École de mécanique navale (Esma), puis jetés, anesthésiés, depuis des avions militaires dans le Rio de la Plata, un estuaire situé entre l’Argentine et l’Uruguay. Toutes deux avaient commencé à fréquenter les Mères de la Place de Mai, qui recherchaient leurs enfants disparus. Une activité considérée comme subversive, aux yeux des militaires.
Arrivée en Argentine en 1967 à l’âge de 30 ans, Alice Domont travaille auprès d’enfants handicapés et dans les bidonvilles. Fin 1977, quelques jours avant sa disparition, elle écrivait dans une lettre : « Le mois prochain s’annonce très difficile à l’approche de Noël, pour les mamans qui recherchent leurs enfants. Ils courent le risque de désespérer de Dieu au moment où ils ont le plus besoin de lui.
Une mémoire menacée par le révisionnisme
Née en 1916 et originaire du Doubs, Léonie Duquet arrive en Argentine en 1949. Son corps a été retrouvé et identifié en août 2005, et inhumé dans les jardins de l’église de Santa Cruz. Cette même année, la mairie de Paris décide de donner à une rue le nom d’Alice Domon et Léonie Duquet dans le 13e arrondissement de Paris. Au total, au moins 22 Français figuraient parmi les morts ou disparus de cette période.
Depuis son arrivée au pouvoir, il y a 11 mois, le président Javier Milei, et plus encore sa vice-présidente Victoria Villaruel, issue d’une famille de militaires, ont été accusés de révisionnisme par les organisations de défense des droits de l’homme. Ils préfèrent parler « guerre » contre « guérilleros » l’extrême gauche plutôt que “dictature”relativiser la responsabilité de l’armée. Et ils n’hésitent pas à revenir sur le bilan de la junte militaire au pouvoir durant ces années : alors que celle, généralement admise, des organisations de défense des droits de l’homme fait état de 30 000 morts, Javier Milei évoque moins de 9 000 victimes.
En juillet, six députés du parti au pouvoir ont rendu visite à Alfredo Astiz et à d’autres anciens militaires reconnus coupables de crimes contre l’humanité en prison. Le président Milei s’est toutefois distancié de ce geste. Astiz, un ancien capitaine de marine de 73 ans, a été condamné à deux reprises à la prison à vie en Argentine, notamment pour l’enlèvement et la disparition des religieuses françaises. En France, il a été condamné par contumace à la prison à vie en 1990 pour la même affaire.