Même agacée par les réactions outrées des communicants du RN, notre chroniqueuse, l’avocate Julia Courvoisier, partage certains doutes quant à l’impact sur la vie démocratique de notre pays de l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité requise par le parquet contre Marine Le Pen.
« C’est ma mort politique qui est réclamée. Ma survie politique dépendra de la mise en œuvre de cette condamnation à mort politique, avec ou sans exécution provisoire. C’est le but, je crois, de cette opération lancée par des adversaires politiques », a déclaré Marine Le Pen le 15 novembre.
En question? Le parquet qui a requis sa peine à cinq ans d’emprisonnement (dont deux ans pouvant être modifiés), ainsi qu’une peine complémentaire d’inéligibilité pour des faits de détournement de fonds publics. Et le ministère public a demandé que le tribunal, s’il suivait ses réquisitions, cumule sa peine avec une exécution provisoire.
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J’ai d’abord été agacé par ces nouveaux excès politiques. Agacée car Marine Le Pen est assistée par des avocats de grande qualité qui ont forcément dû lui dire que de telles réquisitions étaient probables. Agacé aussi et surtout parce qu’il était évident que le parquet allait demander son inéligibilité avec exécution provisoire : cela faisait presque dix ans qu’il considérait que ce dossier permettait une condamnation, comment pourrait-il en être autrement, sérieusement ?
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D’abord, depuis la loi Sapin II de 2016 puis la loi de confiance dans la vie politique de 2017, les juges ont l’obligation de prononcer une peine d’inéligibilité en cette matière. L’article 132-26-2 du Code pénal dispose que « toutefois, le tribunal peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer la peine prévue au présent article, compte tenu des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. ».
Tirer à vue sur les magistrats
En 2017, alors qu’elle était députée, Marine Le Pen n’a jamais voté contre ce texte : soit elle s’est abstenue, soit elle n’a tout simplement pas participé au vote. Elle ne faisait pas non plus partie des députés qui ont saisi le Conseil constitutionnel qui a critiqué ces dispositions » qui serait entachée d’incompétence négative, en méconnaissant les principes de légalité des infractions et des peines et d’individualisation des peines ».
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Je ne vois donc pas comment Marine Le Pen et ses alliés peuvent décemment se montrer offensés aujourd’hui. Et mon humble avis est qu’en réalité, tout cela a été politiquement soigneusement préparé par des communicants toujours ingénieux qui n’attendaient que la fin de l’audience pour tirer à vue sur les magistrats. laxiste avec les violeurs et l’OQTF mais sévère avec Marine Le Pen ».
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Ensuite, l’exécution provisoire requise n’est pas un vieux texte qui aurait été « exhumé » par le parquet, comme l’a affirmé le journaliste Alain Duhamel. L’article 471 du code de procédure pénale est issu d’une loi du 27 juin 1983 et il est appliqué quotidiennement puisque des centaines de condamnés partent exécuter immédiatement les peines de prison prononcées par les juridictions pénales, même s’ils peuvent faire appel.
Inéligibilité
Mais ce qui est choquant ici, c’est que cette exécution provisoire a un impact sur la vie démocratique de notre pays. Et je dois reconnaître que, même très agacé par ces réactions outrancières, je partage depuis bien plus longtemps certains doutes que tous ces soudains défenseurs de la démocratie. Et c’est dommage que Marine Le Pen ait attendu d’être inquiète pour comprendre qu’elle aurait dû se mobiliser lors des débats législatifs de 2017.
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Parce que si certains continuent à dire ça « tout le monde peut être condamné à une peine d’inéligibilité », vous conviendrez que parfois, cela n’a pas les mêmes conséquences selon qui on le vise… J’ai déjà vu des clients condamnés à l’inéligibilité alors qu’ils n’avaient aucune envie de se présenter à une quelconque élection !
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En revanche, lorsqu’il s’agit d’un élu (ou d’un éternel candidat à la présidentielle), cela pose encore une question démocratique : faut-il laisser les juges décider qui peut, ou non, se présenter ? se présenter aux élections ? Pour moi, il ne s’agit pas d’une question de méfiance à l’égard des magistrats mais d’une question de logique démocratique : ne peut-on pas laisser les électeurs décider qui ils veulent les représenter ? Y compris s’il s’agit d’anciens détenus ? Et si les juges se trompent lorsqu’ils ont prononcé l’exécution provisoire et qu’en appel, l’élu est acquitté ?
Régulièrement saisi de la question, le Conseil constitutionnel n’a jamais été de mon avis, jugeant que sous certaines conditions, les juges pouvaient toujours écarter cette peine obligatoire d’inéligibilité. De quel acte.
Le précédent Cahuzac
J’avais déjà eu l’occasion d’évoquer cette question concernant la candidature de Jérôme Cahuzac aux dernières élections législatives (dans une situation différente, j’en conviens) et je n’avais pas seulement fait plaisir en expliquant qu’il fallait laisser les électeurs choisir si ils veulent un fraudeur comme député. Et il s’avère que 14,56 % des électeurs de sa circonscription n’y verraient aucun problème. Jérôme Cahuzac a été éliminé dès le premier tour, mais s’il n’avait pas pu se présenter, on aurait privé 14,56 % des électeurs de leur choix. Et ce choix, en démocratie, est précieux.
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Il s’agit d’un véritable enjeu de société et je crois qu’au lieu de tweeter soutiens et pétitions sur Internet, les nombreux députés RN pourraient user de leur pouvoir parlementaire pour faire évoluer le droit pénal. Mais il nous faut encore faire autre chose que la communication politique et le populisme de bas niveau.
Marine Le Pen est pourtant loin d’être morte. Tout d’abord, elle n’a que 56 ans et sa vie politique n’est pas terminée. Ensuite et surtout, ses avocats n’ont pas encore plaidé ses intérêts, puisque la défense aura la parole à partir de lundi prochain et pendant 15 jours. Enfin, elle est présumée innocente et le tribunal pénal ne l’a pas encore condamnée.
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Quoi qu’il arrive, elle reste une prévenue comme les autres et pour l’instant, la loi pénale à laquelle elle n’accordait aucune importance lors de son vote doit toujours s’appliquer. Et c’est ce que réclamait l’accusation, ni plus, ni moins.