Olympe Versini
« vous étiez également l’invité de Bernard Pivot dans un numéro d’Apostrophes de décembre 1982 consacré à la cuisine, aux côtés d’une « brigade extraordinaire » comme la décrit Bernard Pivot, composée de Paul Bocuse, Paul Haeberlin, Alain Senderens (L’Archestrate), Freddy Girardet, ah et voilà une autre femme, Fernande Allard, du restaurant Allard (une mère un peu parisienne comme il y avait des mères lyonnaises) et donc toi Olympe, enceinte sur le point d’accoucher, je crois que tu as aussi accouché le soir même , après tout ce beau monde est venu dîner dans votre restaurant.
Vous êtes vraiment très fort dans cette émission car les commentaires sexistes ne vous pointent pas du doigt, vous n’affrontez pas la contradiction de front mais vous expliquez votre façon de voir les choses.
Quand Pivot cite Gault & Millau : « Olympe accomplit le miracle enceinte de servir la meilleure cuisine féminine du monde »
Vous répondez que ça vous fait plaisir et vous passez immédiatement aux choses sérieuses, je cite : « Problème des femmes : on ne leur a pas laissé le choix de faire leur apprentissage, le temps de le faire. Autrefois, les femmes l’étaient, mais cela change, la cuisine lente qui leur laissait le temps de s’occuper de leur famille. Ils ont perdu du temps mais ils vont le rattraper. Ils sont aussi inventifs et créatifs que les hommes. »
Et vous partagez une anecdote édifiante : « Il y a 5 ans je m’amusais à appeler les grands chefs sans me présenter et leur dire bonjour, j’ai 25 ans, j’aimerais travailler pour vous. Personne ne m’a accepté. »
A ce moment du spectacle, Bocuse intervient pour dire « c’est parce qu’on n’avait pas sa photo », sous les rires du public. Vous ne réagissez pas, cela ne sert à rien, votre anecdote est claire.
Olympe Versini, une vie créative
Votre liberté est-elle venue du fait d’avoir une vie créative en dehors de la cuisine, je pense notamment à l’art et à la peinture ?
-Les tableaux de ta mère sont magnifiques, les tiens aussi, les gouaches, les collages, j’avais envie d’en voir plus. J’aime beaucoup cette dimension du livre qui devient aussi un livre d’art. En parlant de ça, j’ai un petit cadeau pour toi.
Né en Roumanie en 1930, émigré en Suisse avec sa famille en 1942, l’artiste Daniel Spoerri est décédé à Vienne le 6 novembre. J’adorais son travail. J’imaginais qu’il avait peut-être dîné chez vous, lui qui aimait tant se mettre à table, avec ses amis des Nouveaux Réalistes : Tinguely, Arman, César, Raysse… Si César avait ses compressions, Arman ses accumulations… Daniel Spoerri, lui, avait ses « peintures-pièges », souvent des fins de repas figées sur la table et exposées verticalement. C’est ainsi qu’il a inventé Eat Art. En 1963, il crée son premier restaurant à la Galerie J, où l’on peut déguster différents menus thématiques : « Franco-Niçois » (avec pastis et testicules à la crème), « menu prison » (soupe aux choux maigres et 125 grammes de pain), « buffet exotique » (du Mexique à l’Auvergne)… Il ouvre même son propre « Restaurant Spoerri » en Allemagne de 1968 à 1972, puis organise un banquet qu’il enterre.
Spoerri, c’est l’art de la table sur l’échiquier, un art de l’intime et du temps qui passe et qui ravit autant qu’il bouleverse.
Je vous offre une nugget, un livre de recettes et une parenthèse sur le thème des keftedes – les fameuses boulettes de viande grecques. Il l’a écrit en 1967 sur l’île de Simi, en Grèce, cela semblait convenir comme sujet à vous qui portez un prénom mythologique et qui aimez tant la cuisine méditerranéenne. Et puis c’est un livre érudit et facétieux à la fois.
C’est I Love Keftedes, de Daniel Spoerri.
C’est le seul exemplaire disponible à la vente pour le moment en France. Je l’ai trouvé chez Florence Loewy, dans le Marais, à Paris, à côté du musée Picasso.