« Vous ne vous y attendez pas et, paf, ça vous frappe ! » Mon éruption sexuelle a eu lieu vers 11 ans. » C’est ainsi que Julie, 45 ans, décrit sa découverte de la masturbation. Julie fait partie de ces personnes aux vies bien remplies : entrepreneure, elle est également chercheuse en sciences cognitives et a enseigné à Harvard. Elle suit une formation en psychanalyse, ce qui se ressent tout au long de son récit. « À l’époque, les pulsions venaient la nuit, continue-t-elle. Je me masturbe en sachant très bien ce que je fais. Un jour, ma mère nous met, moi et ma sœur, dans des chambres séparées, je ne peux m’empêcher de me demander si c’est à cause de ça. Je n’en ai jamais parlé avec eux. À la maison, la sexualité était plus que taboue. Même aujourd’hui, avec ma sœur, on n’en parlerait pas. Je trouve dommage de ne pas avoir été accompagné à ce moment-là. » Une émotion forte, gênante, à la limite de l’interdit. UN « jardin secret »comme on l’appelle parfois.
Tellement secret qu’on continue d’associer ce juron intime aux garçons, qui sont d’ailleurs bien plus représentés au cinéma que les femmes. La scène de la tarte dans Tarte américaine vous dit certainement quelque chose. Un exemple féminin vous vient-il si vite à l’esprit ? Nous visualisons bien mieux les techniques de masturbation masculine que les techniques de masturbation féminine. On imagine – à tort – que les femmes mettent leurs doigts dans leur vagin et qu’en quelques instants, presque miraculeusement, elles jouissent.
Dès l’enfance, un tabou pèse sur la découverte du sexe féminin. « Le concept de la petite fille douce et propre, totalement maîtrisée, de la cour de récréation à la sphère sexuelle, a toujours existé et persiste encore », explique Miriam Félix, co-fondatrice de l’Institut français d’accompagnement à la santé sexuelle de l’enfant.
Pourtant, une petite révolution est en marche. Selon la grande enquête « Contexte des sexualités en France 2023 », menée par l’Inserm et l’ANRS-Maladies infectieuses, dont les premières données ont été rendues publiques mercredi 13 novembre, la masturbation féminine connaît une forte augmentation. Dans les éditions précédentes de cette étude scientifique, le pourcentage de femmes déclarant s’être déjà masturbées était de 42,4 % en 1992, 56,5 % en 2006. Il atteint désormais 72,9 %. Sans permettre aux hommes de rattraper totalement leur retard (92,6%), cette poussée est suffisamment importante pour être présentée comme “un changement majeur” par Armelle Andro, démographe à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et l’une des coordinatrices de l’enquête. “Aujourd’hui, les femmes ont une trajectoire de masturbation identique à celle des hommesexplique-t-elle. Jusqu’en 2006, les femmes qui déclaraient se masturber le faisaient après être devenues sexuellement actives, comme forme de sexualité secondaire ou conjugale. Ce n’est plus du tout le cas. Les jeunes filles apprennent à contrôler seules leur plaisir sexuel, déconnectées de leur première aventure avec une fille ou un garçon. »
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