Claude Lelouch : Ce projet est né de mon 50ème film, puisque chaque film invente le suivant. J’ai passé ma vie à observer les hommes, les femmes et les époques que j’ai eu la chance de vivre, et mes films sont le fruit de mon intime conviction. J’avais envie de faire un film sur aujourd’hui, sur cette période incroyable que nous traversons. Nous disposons de tous les outils pour créer un nouveau monde ou hâter la fin du monde. Il y a donc un grand suspense. C’est aussi le suspense de ce film qui parle d’amour, d’amitié, de santé, de famille, d’argent, tout ce qui fait qu’on n’a pas le temps de s’ennuyer. .
« J’ai besoin que mes héros soient aussi des héros dans la vie. Sinon, j’ai l’impression de tricher. »
Kad, qu’est-ce qui t’a intéressé dans la partition de Lino ?
Kad Merad : Je n’étais pas fait pour ce film et, quand ça commence comme ça, ça m’intéresse [Rires] ! Claude avait pensé à tous les acteurs, sauf moi, donc ce défi m’intéressait encore plus ! Puis, quand la rencontre a eu lieu et que Claude Lelouch m’a donné le scénario, j’ai évidemment lu très vite, avec beaucoup d’enthousiasme. J’ai adoré le personnage de Lino, dont je me sentais très proche. Entre le plaisir de travailler avec Claude et ce rôle, je ne pouvais qu’accepter. C’est magnifique pour un acteur, c’est comme un cadeau en fait.
Quel genre de réalisateur est Claude Lelouch sur un plateau ?
KM : Comme il est à côté, ça me dérange, car c’est un vrai tyran… Tout le monde sait qu’il terrorise ses acteurs. J’ai beaucoup souffert, j’ai eu beaucoup de mal à m’en remettre. Heureusement, j’ai suivi un traitement de désinfection, je dirais même un “déloulouchisation” [Rires] ! Je plaisante bien sûr, tout ce que je dis est faux. Claude est, en réalité, une personne très fidèle. C’est pourquoi on retrouve toujours les mêmes acteurs et actrices dans son cinéma.
Les gens adorent travailler avec Claude, parce que c’est le réalisateur qui donne envie de rejouer. Il y a beaucoup de plaisir, beaucoup de jeu, beaucoup de plaisir et c’est très agréable. Malgré cela, au final, on a un film avec beaucoup de qualités, de messages, d’intensité.
Claude, quelle ambiance souhaites-tu insuffler dans ton tournage ?
CL : J’ai réalisé très vite qu’avec un sourire, je réalisais plus de choses qu’en faisant la grimace. [Rires]. Je suis un homme positif et je n’aime filmer que ce que j’aime, j’ai donc besoin de filmer les hommes et les femmes que j’aime devant la caméra, mais aussi de les avoir derrière la caméra, dans mon équipe technique. J’ai besoin que mes héros soient aussi des héros dans la vie. Sinon, j’ai l’impression de tricher.
« J’ai besoin que les gens croient aux histoires que je raconte. J’aime tout dans le cinéma, mais dès que j’arrive devant un film et que je réalise soudain que c’est du cinéma, ça ne m’intéresse plus. »
Si vous voulez, toute ma vie j’ai essayé de filmer des gens avec qui je voulais être ami, ou que je voulais serrer dans mes bras. J’ai essayé de faire aimer la vie aux gens, parce que c’est magique, c’est merveilleux. C’est une traversée compliquée du pays des merveilles, mais les merveilles l’emportent toujours sur les tracas. C’est ce côté positif que je recherche. Avec FinalementJ’ai essayé de faire un film qui parle d’aujourd’hui, mais avec beaucoup de tendresse et d’humour. Je pense qu’on rit beaucoup, et pour les bonnes raisons, dans mon film. Nous avons essayé de ne pas rire.
Qu’est-ce que c’est 51e le cinéma représente pour vous aujourd’hui ?
CL : J’ai eu beaucoup de plaisir à réaliser ce 51ème film. Je l’ai fait à la fois comme film final et comme premier film. J’ai eu l’enthousiasme des débuts, car je ne cesse d’être émerveillé.
KM : C’est précisément mon secret ! Je ne peux pas tout vous dire car il y a des choses qui ne s’expliquent pas. Surtout, cela ne demande pas beaucoup de réflexion. Votre question est finalement presque plus technique que la réponse. Je dois admettre que je n’ai pas de méthode. Il n’y a pas de préparation, je n’ai pas cherché à consulter des avocats. J’ai aussi très vite pris contact avec Lino et je l’ai très bien accueilli. J’ai aussi laissé Claude m’emmener. Vous pouvez être sûr que vous êtes toujours correctement orienté. Il n’y a pas de direction d’action. Claude dit souvent qu’à partir du moment où il choisit un acteur, c’est un bon acteur. On ne va pas demander à un acteur de marcher comme ça ou de prendre sa tasse de café comme ça… Par contre, il y a des intentions, il y a des émotions. Peut-être que là où Claude agit, c’est sur la force de l’émotion ou sur l’intensité du jeu, mais on était très libres de jouer comme on voulait, comme on le sentait. C’est une manière de diriger un acteur, certes, mais c’est une mise en scène très libre.
Mais Claude, hésitiez-vous au départ à confier le rôle de Lino à Kad ?
CL : J’avais en tête de lui proposer le rôle du meilleur ami. En réalité, je voulais lui faire choisir, sachant qu’il allait prendre la bonne. Je me suis dit : “S’il ne joue pas le rôle de Lino, il y a quelque chose qui ne va pas.” C’était aussi une manière d’ouvrir des portes. Je n’aime pas les prisons, surtout pas dans mon travail. On ne dirige pas de bons acteurs : on les dose, on les coache, on essaie de les faire sauter un peu plus haut que d’habitude. En plus, j’aime quand les gens me disent : “Il n’a jamais été aussi beau.” À ce moment-là, je suis très heureux. Je suis là pour leur faire battre des records, et surtout pour les garder crédibles. J’ai besoin que les gens croient aux histoires que je raconte. J’aime tout dans le cinéma, mais dès que j’arrive devant un film et que je réalise soudain que c’est du cinéma, ça ne m’intéresse plus.
C’est assez paradoxal d’avoir cette vision du cinéma, n’est-ce pas ?
CL : Je sais ! Mais je suis réalisateur et je travaille avec un grand scénariste qui s’appelle “La vie”. Je suis ravi, car c’est le plus grand scénariste du monde. Il est très gentil avec moi et il me met sur des pistes incroyables. Toutes les histoires que j’ai racontées sont des histoires que j’ai rencontrées quelque part. Pareil pour les dialogues, je les ai entendus. Je suis un véritable reporter de mon époque avec mon appareil photo. Il n’y a pas de recette. J’ai réalisé 51 films et je suis retourné à l’école 51 fois. Nous passons notre vie à apprendre. Alors, tant qu’on a envie d’apprendre, on continue à faire des films. Je viens de réaliser ce 51ème long-métrage, mais j’ai encore envie d’apprendre des choses, alors je vais en faire un 52ème !
KM : Je peux vous paraître un peu léger, mais je prends les choses avec légèreté et avec distance. Je ne rends pas sacré le chant ou le jeu d’un instrument. Vous savez, un jour, je me suis retrouvé à chanter avec Johnny Hallyday, celui qu’on appelait le patron. Je n’ai même pas pensé à ce que j’allais faire. Je ne me suis mis aucune pression, je ne me suis mis aucun défi. Bien sûr, il faut être capable de chanter les chansons. Ceux-ci étaient, je pense, vraiment faits pour moi en termes de ton et de style de chant. Ensuite, Claude m’a mis une trompette entre les mains. Cela ne vous donne pas le choix. C’est comme instantané. Je ne savais pas que j’allais jouer autant de la trompette, mais comme il a vu que j’allais bien, il m’a filmé en train de jouer beaucoup. Ce n’était pas un défi, car c’est génial d’héberger de vraies et belles choses à faire, parce que je n’ai jamais fait ça auparavant.
CL : Tous les acteurs qui sont apparus dans mes films font partie de ma famille. Ce sont des gens que j’ai aimés comme on aime ses enfants. Lino Ventura, c’est la force du cinéma, c’est une force tranquille. Et je retrouve cette force tranquille chez Kad Merad. Il joue également dans le film le fils de Lino Ventura et Françoise Fabian, qu’ils ont eu pendant Bonne année [un autre film de Claude Lelouch datant de 1973, qui voyait Françoise Fabian et Lino Ventura partager l’affiche, ndlr]. J’ai pensé que c’était un bon point de départ. Je voulais voir les descendants. Il aurait pu être un voyou, mais en fait, Lino, dans mon film, préfère les défendre. C’est génial. Alors la vie a toujours raison !
KM : je suis de la génération Oncles flingueursde L’aventure est l’aventure et de Ne touche pas au grisbi… Tous les grands films français de l’époque. Pour moi, Lino Ventura fait partie de ces grands acteurs que j’ai voulu être toute ma vie, car c’est une sorte de force physique tranquille, qui était aussi très charmante. Il avait un style unique. C’était un acteur unique. D’ailleurs, au départ, ce n’est pas un acteur, mais un lutteur, lui aussi fils d’immigré ! Nous avons un peu le même parcours, lui et moi ; des personnes de plusieurs origines. C’est toujours intéressant de s’identifier à des acteurs comme ça.