ces réalités historiques que nous montre le film de Ridley Scott

ces réalités historiques que nous montre le film de Ridley Scott
ces réalités historiques que nous montre le film de Ridley Scott

Attention, cet article contient des spoilers !

En bon superproduction qu’il est, Gladiateur 2 est loin, très loin, de proposer une belle reconstitution cinématographique d’une des parties les plus sulfureuses et fantasmées de l’histoire de l’Empire romain : le gladiateur. Mais qui est surpris ? Et surtout, qu’importe ?

Oui, le film use et abuse des raccourcis, des anachronismes et des exagérations de toutes sortes, notamment lorsqu’il s’agit de jeter dans l’arène des bêtes féroces bourrées de stéroïdes virtuels. Mais après tout, sa mission première est d’offrir un grand spectacle à son public. Néanmoins, Gladiateur 2 dépeint parfois avec un certain réalisme une période qui, selon l’historien Éric Teyssier, est trop rare au cinéma (l’intrigue se déroule vers l’an 211, soit environ vingt ans après celle du premier volet). Pour Science et avenirl’auteur de Gladiateurs (publié le 30 octobre 2024 chez Glénat), qui a pu voir le film avant sa sortie, démêle le vrai du mensonge.

Sciences et Avenir : Personnellement, qu’avez-vous pensé du film, très attendu par les nombreux spectateurs qui ont adoré le premier Gladiateur ?

Éric Teyssier : Je dois déjà vous dire que je fais partie de ces spectateurs, pour ne pas dire fans absolus de Gladiateur. Ce film a même changé ma vie car au moment de sa sortie, en 2000, j’étais maître de conférences en histoire sur un tout autre sujet : l’histoire économique et sociale de la Révolution française et de l’Empire. J’ai tellement aimé le film que je me suis lancé dans l’archéologie de la reconstitution, qui est une discipline expérimentale appliquée aux gladiateurs.

J’ai ensuite fini par consacrer ma thèse d’État à ces mêmes gladiateurs en vue d’obtenir mon Habilitation à diriger des recherches (HDR, plus haut niveau de qualification du système universitaire français, ndlr). C’est donc peu dire que j’attendais cette suite.

Malheureusement, cela ne m’a pas autant emballé, d’abord parce qu’il n’y avait plus l’effet de surprise de la première fois. Et il n’y a plus l’exceptionnel Russell Crowe, même si les acteurs sont bons. J’ai quand même passé un bon moment car le film reste pour moi un bon divertissement qui permet de parler de l’histoire et surtout d’une période qu’on voit trop peu au cinéma.

“Une bataille navale a réellement eu lieu au Colisée lors de son inauguration”

En faisant bien sûr abstraction des aberrations historiques propres au style hollywoodien du film, l’un de ses aspects vous a-t-il frappé par son réalisme ?

Eh bien, de la même manière que la qualité des costumes des soldats et des légionnaires m’a frappé Napoléon l’année dernière (également de Ridley Scott et à qui nous avons consacré un article, ndlr), j’ai trouvé que les costumes étaient très bien réalisés en Gladiateur 2. Si l’on met de côté le fait que le général incarné par Pedro Pascal combat sans casque et sans bouclier, ce qui est complètement absurde… Mais oui, de manière générale, l’équipement du guerrier est très bien reconstitué.

Pour être honnête, j’ai eu le sentiment que du point de vue de sa pertinence historique – et là encore, je rappelle que ce n’est pas forcément ce qu’on attend de ce film -, Gladiateur 2 fait les choses un peu à moitié. Considérez la scène de la bataille navale au Colisée de Rome. Ces types de combats aquatiques existaient réellement dans le monde du divertissement romain et, en fait, une bataille navale a eu lieu au Colisée lors de son inauguration par Titus en 80 de notre ère.

L’arène avait été remplie d’eau via le système d’aqueduc très développé de la ville. Mais cela n’a pu se produire que cette fois-ci car c’est alors que furent aménagés les espaces du sous-sol dédiés aux effets scéniques. Alors pourquoi pas cette scène, mais pourquoi utiliser des requins ? C’est stupide et dommage. Ils auraient pu ajouter des crocodiles, à la limite…

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Comment est le film sur les gladiateurs ?

En fait, il mélange deux époques de gladiature. Une première qui dura jusqu’au plus grand soulèvement d’esclaves qu’eut connu la République romaine, entre 73 et 71 avant JC, et dont le gladiateur d’origine thrace Spartacus fut à l’origine. Durant cette première période, la grande majorité des gladiateurs étaient des prisonniers de guerre contraints de combattre dans l’arène. D’ailleurs, ces prisonniers sont tellement nombreux que les spectacles de gladiateurs sont un moyen très rentable de s’en débarrasser, de « déstocker » comme je dis.

Cette triste condition sera donc une des raisons de la révolte des esclaves de 73, et l’empereur se rendra compte qu’il est dangereux de maintenir enfermés des milliers d’hommes dans la perspective qu’ils s’entretuent pour le plaisir. du peuple.

A A partir de là, le gladiateur va évoluer. Les gladiateurs ne sont plus des prisonniers et des esclaves mais des volontaires rémunérés, dont les plus performants – et les plus célèbres – sont parfois très cher. Ils sont embauchés, sous contrat, par des lanistes, ou entraîneur en latin, qui sont en gros des marchands et propriétaires d’une troupe de gladiateurs appelée une famille de gladiateurs.

Ils s’entraînent tous ensemble, encadrés par un “médecin” (médecins), terme utilisé pour désigner les entraîneurs. Lors de ces séances, leurs armes sont fausses car il n’est pas question d’être blessé. Le but est de pousser leurs compétences techniques au maximum et de gagner des combats comme le font les boxeurs aujourd’hui. Le film est donc un mélange de ces deux parties de l’histoire des gladiateurs.

On promet à Lucius qu’il pourra retrouver sa liberté en remportant des victoires dans l’arène. Était-ce vraiment une manière pour les gladiateurs forcés de redevenir des hommes libres ?

Malheureusement, on a moins d’informations sur la période du gladiateur forcé, que j’appelle aussi « ethnique », que sur la seconde. Ce que l’on sait, c’est que les gladiateurs y étaient représentés dans leur équipement d’origine, c’est-à-dire dans la tenue de combat du peuple auquel ils appartenaient. On retrouvait ainsi dans l’arène des Samnites, des Gaulois, des Thraces et même des Germains, avec tout leur attirail. Nous savons également que des entraîneurs de gladiateurs existaient également à cette époque et qu’ils avaient sans aucun doute été eux-mêmes des gladiateurs talentueux dans le passé.

Bref, leurs vies avaient été préservées pour qu’ils puissent transmettre leurs techniques à d’autres esclaves. Donc, s’ils ne pouvaient pas sortir véritablement libérés de cette condition, ils pourraient au moins en sortir vivants. Vous savez, les Romains ne recherchaient pas le sang et la mort à tout prix. Ils voulaient avant tout admirer le geste technique, la bravoure et le courage. D’où la présence de coachs.

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« Il y avait beaucoup de spectacles humains/animaux (…) : ceux des condamnés à mort jetés aux animaux »

Comment avez-vous fini par vous produire devant l’empereur au Colisée de Rome ?

En ayant le meilleur bilan possible, tout simplement. On mettra rarement dans l’arène un gladiateur qui débute sa carrière face à quelqu’un qui compte déjà 15 victoires à son actif. L’empereur avait ses propres champions qui combattaient d’autres champions lanistes et parfois les choses tournaient mal… Caligula par exemple était très en colère lorsque son poulain était vaincu par un autre, au point qu’il empoisonnait le vainqueur.

Mais d’autres empereurs ont joué le jeu, disons qu’ils avaient un « esprit sportif ». Vespasien, notamment, suivait le peuple et finissait souvent par soutenir celui pour lequel le public était enthousiaste. C’est un peu ce que signifie l’expression « pain et cirques ». A un moment de l’Empire où la démocratie n’est plus, il n’y a que lors des spectacles que le peuple peut s’exprimer.

Dans le film, nous voyons des babouins et des rhinocéros enragés se battre dans l’arène. Ces animaux ont-ils vraiment été utilisés ?

Les babouins aussi fous n’existent pas, n’est-ce pas ? (Rires). Là encore, le film mélange les choses. Il y avait des professionnels qui luttaient contre les animaux, souvent des animaux sauvages. Mais les gladiateurs combattaient entre hommes. Ces deux métiers ne se sont jamais mélangés. En revanche, il y eut de nombreux spectacles humains/animaux, les plus cruels : ceux des condamnés à mort jetés aux animaux.

Concernant la faune qui a pu se retrouver dans les amphithéâtres, c’était un peu n’importe quoi. A Rome, l’empereur avait les moyens de faire venir à peu près tout ce qu’il voulait, à savoir des lions, des tigres et parfois, oui, des rhinocéros. On sait notamment qu’un rhinocéros fut un jour attaché à un taureau sauvage pour provoquer leur inévitable – et bien triste – combat… En province, des animaux moins chers comme des taureaux ou des ours étaient plutôt amenés dans les arènes. Mais tout aussi capable de tuer des hommes.

Enfin, parlons un peu des frères empereurs Geta et Caracalla…

Encore une fois, ce que nous voyons d’eux est à moitié vrai. Ces frères n’ont gouverné ensemble que quelques mois, probablement à distance les uns des autres. À sa mort en 211 de notre ère, Septime Sévère, leur père, exprima le souhait que ses deux fils lui succèdent et gouvernent ensemble. Ce qui, bien sûr, n’était pas viable, d’autant que Geta et Caracalla n’avaient jamais eu la complicité que leur prête le film.

Ils s’étaient toujours détestés. En outre, ils étaient terrifiés à l’idée d’être empoisonnés par l’un ou l’autre. Caracalla, qui était une vraie brute, a fini par poignarder son frère dans les bras de leur mère. Certes, le tempérament colérique et cruel de Caracalla n’est pas exagéré dans le film. Geta était plus douce et plus pondérée.

Nous voulons toujours poser la question : quelle est selon vous la plus grande incohérence historique du film ?

Sans hésitation, le fait qu’un laniste pourrait s’emparer du pouvoir. Cela aurait été tout simplement impossible à l’époque de l’Empire. Les lanistes sont des hommes à l’aura trouble. Ils font le commerce du sang et repoussent la société de la même manière que les bouchers et les croque-morts peuvent être rebutés aujourd’hui, sous certains aspects. Paradoxalement, ils sont aussi admirés en tant qu’artistes ou grands sportifs. De toute façon, ils n’ont rien à voir avec le pouvoir.

 
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