La réélection de Donald Trump à la Maison Blanche démontre une fois de plus que le populisme est en hausse aux États-Unis, en Argentine, en Hongrie, en Italie ou encore en France. Le populisme est né à la fin du XIXe siècle en Russie pour s’opposer au tsar. Aujourd’hui, c’est une haine des élites, des institutions, du système.
franceinfo : Pourquoi le populisme parvient-il à autant séduire ?
Jean Viard: Ce n’est pas seulement une haine des élites, c’est aussi une haine des immigrés et des plus faibles. Donc c’est vraiment l’idée qu’au fond, c’est le pouvoir des bonnes personnes, on va le dire comme ça. C’est un pouvoir central, qui exclut les très riches, et qui exclut les défavorisés, les pauvres, etc. et la société évolue selon la dialectique droite/gauche – on pourrait l’appeler capital/travail – et certains apportent une idée, d’autres en apportent une autre. , on vote encore, on avance, on recule, etc. C’est ça la dynamique.
Il y a des moments où la société a complètement bifurqué. La question capital/travail n’est plus centrale. Les deux grands enjeux sont les rapports entre les hommes et les femmes et surtout la prise de pouvoir de la nature sur l’humanité, sur notre histoire. Les politiques ne savent donc plus comment gouverner ces deux sujets majeurs.
Mais ce qui est sûr, c’est que si l’on prend les gens qui allaient à l’église il y a 40 ans, ils étaient 35 %. Les gens qui ont voté communiste étaient 25%. En gros, les deux grands camps ont fait 60 %. Aujourd’hui, il leur reste 6 %. Donc il n’y a plus cette construction, le populisme occupe l’espace en disant : ne changeons pas, gardons le pouvoir sur les femmes, gardons le pouvoir sur les colonies ou les immigrés, gardons le pouvoir sur la nature, en gros, C’est Trump, c’est ce discours. Il aurait fait le même discours il y a 100 ans, c’était banal, donc c’est tout simplement un discours conservateur, réactionnaire, qui est effectivement un discours central, car il n’y a pas d’autre moyen.
Ce que vous nous dites, c’est que plutôt que de chercher à dénoncer ce populisme, il faudrait plutôt chercher à s’interroger sur ce qui ne marche pas en démocratie ?
Le problème est que le camp de ce qu’on pourrait appeler la gauche libérale, au sens large, n’arrive pas pour l’instant à avoir une pensée cohérente. Il y a des affrontements, certains sont verts, d’autres sont anticapitalistes, etc. On a un tel rapport quand on est de gauche avec le capitalisme, avec les entreprises, que l’idée d’avoir de grandes entreprises écologiques semble presque comme des mots imprononçables. En France, nous avons un travail particulier à faire sur ces sujets.
On voit aussi finalement un lien entre populisme, protectionnisme, nationalisme, y a-t-il souvent une clôture qui va avec ?
Bien sûr… Même si tout gouvernement protège d’abord sa population, c’est le moins qu’il puisse faire, et les Américains ont toujours été relativement protectionnistes. Mais ils le sont davantage en ce moment, notamment parce qu’après la grande pandémie, la mondialisation a reculé, parce que pendant un temps, on n’avait pas le choix, on était obligé, et puis on s’est rendu compte qu’il valait mieux faire des affaires avec ses voisins qu’avec quelque chose. à l’autre bout du monde où vous étiez complètement dépendant d’un seul fournisseur, donc il y a un changement de mentalité qui s’est opéré.
Et puis, en même temps, la crise climatique est si évidente à l’échelle mondiale : nous en faisons tous partie, nous sommes tous acteurs et nous faisons tous partie de la solution. Alors il y a une tendance à se replier sur soi et à dire : on va attendre que ça passe. C’est ce qui se passe avec les Américains, se disent-ils : on va attendre que ça passe, on va essayer de bloquer les Chinois, les Européens, et après on verra. Mais nous ne pouvons tout simplement pas attendre que cela passe, car la terre se réchauffe.
Est-ce le populisme qui menace la démocratie ou est-ce la déconnexion de ceux qui dirigent ?
Non, c’est le fait qu’on a bifurqué, qu’on a pris une nouvelle direction, qu’on a quitté la révolution industrielle, qu’on est entré dans la grande guerre climatique, et qu’il y a un temps politique de transformation, ça prend du temps. temps. Et pour l’instant, nous sommes entre deux modèles, et entre ces deux modèles, il y a une solution de facilité : rassemblons tous les bons gens et excluons tous ceux qui ne nous ressemblent pas, et dénonçons les autres, mettons des frontières et fermez-nous sur nous.
C’est une position d’attente que je qualifierais de négative, même si je la respecte. Et la question est qu’il faut avant tout pousser les autres à construire un projet de développement économique et culturel d’un monde écologique et individuel. C’est la construction d’une autre voie qui fera reculer le populisme, comme la dernière fois, au début du XXe siècle.