Bien que l’anthropologue Philippe Descola soit aujourd’hui à la retraite, il n’a jamais cessé d’apprendre, au quotidien. Il n’imagine même pas “pas d’autre vie que d’apprendre tous les jours», a-t-il déclaré au micro d’Eva Bester. La vocation pour l’anthropologie lui est venue en lisant Tropiques tristes par Claude Lévi-Strauss, qui lui conseillera plus tard de « se laisser emporter par le terrain ». Un conseil dûment appliqué tout au long de sa vie, d’abord auprès du peuple indien Achuar chez lequel il est arrivé à l’âge de 26 ans, aux côtés de l’ethnologue, mais aussi de sa compagne, Anne-Christine Taylor. Premiers pas fondateurs, plongée « dans la vraie vie », dira-t-il plus tard. Une vie faite d’oniromancie, la fin du capitalisme, des insectes et des plantes qui parlent…
Ses pensées et son œuvre se retrouvent dans Cahier Descola de l’Herne, réalisé par Grégory Delaplace et Salvatore D’Onofrio, sorti le 25 septembre. Descola signera le 6 novembre au Entreprise de librairie à Paris, et le 29 novembre à la librairie Mollat de Bordeaux.
Inventer des formes alternatives d’habitation du Monde
Anthropologue et ancien professeur à l’EHESS et au Collège de France, où il a occupé la chaire d’anthropologie naturelle pendant près de 20 ans, Philippe Descola a soutenu sa thèse sous la direction de Claude Lévi-Strauss avant de partir deux ans en Amazonie, entre le Pérou et l’Équateur. pour le CNRS, étudier les relations avec l’environnement des Amérindiens Jivaros Achuar. Il découvre alors que la nature n’existe pas. Auteur de l’ouvrage de référence Au-delà de la nature et de la culture. Cette figure majeure de la pensée écologique, ayant défini un structuralisme ontologique, a également écrit les formes du visible qualifiées par le monde événementiel qui révolutionne l’histoire et la théorie de l’art, la géographie de notre monde et l’idée que nous formons des relations entre les hommes, dieux, animaux et plantes.
Face à l’ampleur de la crise environnementale, l’anthropologue invite à inventer des formes alternatives d’habitation du monde et d’organisation entre humains et non-humains. UN Le carnet de Herneréalisé par Grégory Delaplace et Salvatore D’Onofrio, vient de lui être dédié. On y retrouve des œuvres inédites de Philippe Descola, des extraits de sa correspondance avec Lévi-Strauss et des textes de Bruno Latour, Georges Didi-Huberman, Pierre Michon et Jacques Rancière.
Le grand atelier Écoute plus tard
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« L’aube radieuse d’un monde où tout n’est que relations »
Dans le Le carnet de Herne qui lui est dédié, on peut lire le sermon que Philippe Descola a écrit pour le nouveau millénaire en 2000. Il y espérait l’aube radieuse d’un monde où tout est relation : « J’étais avec des amis et notamment Bruno Latour dans un château, et au lieu de célébrer comme tout le monde le troisième millénaire à venir, nous avons décidé de célébrer le deuxième millénaire en essayant de l’imaginer différemment de ce qu’il était et on m’a confié le soin de le faire. mission de donner un sermon que j’ai fait en partie en latin. L’idée était de faire une prédiction de la Vierge sur ce qui allait se passer dans ce deuxième millénaire. Il y a eu le début de ce que j’appelais le naturalisme et fondamentalement la modernité ; c’est ce qui s’est produit à partir du XVIIe siècle, et qui a radicalement séparé l’humain du non-humain et de la nature, comme champ d’investigation et ressource à exploiter. Et puis, d’un autre côté, les humains et leurs propres caractéristiques. J’imaginais qu’après la conquête de l’Amérique, les Amérindiens s’empareraient des armes apportées par les Européens et envahiraient à leur tour le Vieux Monde et y introduiraient de nouvelles formes de pensée qui mettraient fin à ce que j’appelais le naturalisme, et peut-être en sommes-nous à ce moment approchant du fond de ces secousses. »
Le monde est fait de différences
Philippe Descola donne encore beaucoup de conférences et il considère qu’il est de son devoir de faire connaître au public les résultats de ses travaux, mais des concepts comme le structuralisme ontologique peuvent parfois effrayer le grand public : « Dans mes cours, l’idée du structuralisme repose sur l’idée que le monde est fait de différences et que si l’on veut comprendre quelque chose dans le monde, ce ne sera pas en essayant d’établir des similitudes entre ces choses qui diffèrent, mais au contraire de comprendre en quoi ces différences diffèrent les unes des autres. C’est ce que Claude Lévi-Strauss nous a transmis comme modèle de pensée qu’il avait lui-même acquis de la linguistique, de la phonologie structurale et de l’ontologie. Pourquoi abandonner l’idée que les humains créent des mondes, qu’ils sélectionnent dans leur environnement des éléments plus ou moins significatifs et qui construiront des mondes significatifs ? Ils construiront des meubles et construiront au cours de leur socialisation, de leur éducation et de leur croissance, un mobilier particulier composé d’objets qui différeront en fonction non seulement des environnements physiques et sociaux, mais aussi des choix qu’ils feront d’y prêter. C’est l’ontologie, c’est le mobilier du monde. Le mobilier, par exemple en Amazonie, ne nous appartient pas du tout car il prête attention à autre chose que ce à quoi nous prêtons attention et vice versa. Le monde est différent et chacun de nous construit des mondes différents. Ce n’est pas simplement que chacun de nous a une vision différente d’un monde uniforme, mais que le monde est composé d’une multiplicité de mondes différents. »
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Organiser la structure du monde
Dans Au-delà de la nature et de la culture, on retrouve une des idées principales de Philippe Descola qui est que l’on peut organiser la construction d’un monde autour de quatre grands modèles : naturaliste, animiste, totémique et analogique. « Ce sont des modèles qui peuvent cohabiter. Historiquement, il y a des phases de transition. Il y en a une que l’on connaît bien, c’est celle du passage de l’analogie qui a dominé le Moyen Âge jusqu’à la Renaissance, en passant par le naturalisme qui s’est instauré dans les textes au XVIIe siècle. À partir du XVe siècle, on commence à être naturaliste, c’est-à-dire que les peintres des pays du Nord et de l’Italie du Nord prennent à cœur de montrer des choses qui n’étaient pas montrées auparavant, en particulier la description de la nature. et la peinture de l’âme, à travers l’art du portrait comme ceux de Robert Campin qui ne cachent en rien les imperfections, c’est quelque part le début de l’individualisme. »
Observer les solutions alternatives possibles pour l’avenir de l’Homme
A travers son travail, Philippe Descola est conscient des dégâts universels causés à notre monde par le capitalisme industriel, mais la pluralité des organisations humaines que l’ethnologue a en tête lui permet d’imaginer que des solutions et des voies alternatives sont possibles. : «Je les vois, par exemple, dans les territoires alternatifs qui se sont développés dans les ZAD par exemple, et dans les luttes écologiques qui se sont développées en Europe contre des projets de développement intempestifs, coûteux et inutiles, et qui ont abouti à ce que les gens se rassemblent. , et qui n’étaient pas issus d’une culture rurale mais qui s’identifiaient profondément à l’environnement qu’ils défendaient au point de vouloir y vivre ensemble et de refuser tous les impératifs du capitalisme, c’est-à-dire en partageant le travail, celui du maraîchage, l’élevage, la culture du blé, en inventant les formes de communautés que j’ai connues pour avoir partagé la vie des Amérindiens en Amazonie ou pour avoir beaucoup lu, comme tout anthropologue, sur les populations autochtones du monde entier. Je trouve admirable de voir ces structures se reproduire et se recréer face à la situation écologique catastrophique vers laquelle nous nous dirigeons. »
Pour en savoir plus, écoutez l’émission…
Du vent dans les synapses Écoute plus tard
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Extraits diffusés :
- L’anthropologue Claude Lévi-Strauss dans le spectacle « Apostrophes » en 1988
- La voix de Léon Trotsky en français diffusée dans une émission d’Yves Mourousi en 1979
- La voix d’Henri Michaux en introduction du film documentaire Images d’un monde visionnaire (1963) réalisé avec Eric Duvivier
Choix musical de l’invité :
Philippe Descola nous fait écouter la chanson cubaine Santa Barbarainterprété par le duo Celina y Reutilio, « merveilleuse hybridation entre une tradition chrétienne et la Santeria ». Notre invité ajoute malicieusement : “Cette musique, il faut être mort pour ne pas danser dessus !”
Sur les routes de la musique Écoute plus tard
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Découverte des invités :
Philippe Descola attire notre attention sur un tableau du peintre flamand Robert Campin exposé au musée de Dijon, Nativité (1420-1425). Selon notre invité, ce tableau montre le passage dans les arts d’une pensée « analogique » (qui établit des correspondances entre les êtres) à une pensée « naturaliste » (qui singularise l’humain par rapport aux autres êtres).
Mon propre travail Écoute plus tard
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Programmation musicale :
Malik Djoudi – Allez, prenons le temps
Sharon van Etten – Vie après la mort
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