« Ce prix donne du sens à tous les écrivains que nous cherchons à faire taire dans le monde arabe »

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Kamel Daoud, Prix Goncourt 2024. UN HARSIN/KICK

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Entretien Au lendemain de la remise du prestigieux prix Goncourt 2024, le lauréat et auteur de « Houris » nous a accordé une interview.

Comment s’est passée votre première soirée après avoir reçu ce tant attendu prix Goncourt ?

Chameau Daoud Je n’arrivais pas à dormir, il y avait trop d’excitation après cette journée d’adrénaline. Je suis tellement ému. C’est banal de le dire, mais je manque de mots pour le décrire. J’ai beaucoup pensé à tous ceux qui m’avaient prêté ou envoyé des livres depuis mes neuf ans, à ma famille, à ma femme, à mes enfants, à mes professeurs aussi.

Qu’avez-vous ressenti en plaçant votre propre livre dans la bibliothèque Drouant dédiée aux lauréats du prix Goncourt, aux côtés de « À l’ombre des jeunes filles en fleurs » de Marcel Proust (Goncourt 1919) ou « La vie devant » par Emile Ajar/Romain Gary (Goncourt 1975) ?

Honnêtement, c’est écrasant. Je ne m’y attendais pas, car je ne connaissais pas ce rite. C’est bouleversant parce que je suis autodidacte, j’ai encore le syndrome de l’imposteur. Alors je me suis dit : « Bon, maintenant, que va-t-il se passer le jour où les gens découvriront que je ne sais pas écrire ? »

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Kamel Daoud dépose son livre à la bibliothèque Drouant, avec les autres Goncourt, merci. ML

Vous qui disiez avoir quitté votre village de Mostaganem pour devenir célèbre, ce Goncourt est-il venu exaucer ce souhait ?

Ce prix est le plus beau cadeau de bienvenue que la puisse m’offrir. Mais elle m’a déjà apporté beaucoup de gentillesse depuis mon installation à Paris l’année dernière ; ma famille et moi avons été aidés, accueillis, il n’y a rien de plus précieux, car quand on change de pays, de vie, il y a des moments de grande solitude. Je l’ai déjà dit, je suis né une première fois du ventre de ma mère en Algérie et je suis né une seconde fois à travers la littérature française. Je remercie bien sûr la France qui a accueilli Romain Gary, Apollinaire, Kundera, et tant d’autres auteurs avant moi. Et j’ai la prétention de me placer dans cette famille-là, au moins dans quelques années, j’aurais peut-être la prétention légitime de me placer dans cette famille-là. Ce pays aime la littérature. Quand je vais dans des festivals où je signe jusqu’à l’épuisement, je me dis : mais où est ce déclin culturel dont on parle ? Cela ne veut pas dire que la culture, les libraires, les éditeurs ne connaissent pas de difficultés et qu’il n’y a pas grand chose à faire pour les soutenir. Mais la France est un paradis pour les livres et les écrivains. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point vous avez de la chance. Quand je suis arrivée à Paris pour la première fois à 26 ans, j’ai pu retrouver au même endroit, dans une librairie, tous les livres qui m’avaient toujours manqué en Algérie. C’était si violent que je suis sorti et j’ai vomi.

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Vous aviez déjà vécu l’attente des délibérations du jury en 2014 pour « Meursault, contre-enquête », cette victoire compense-t-elle la déception de ne pas avoir gagné alors ?

J’ai toujours pensé que le monde n’était ni juste ni injuste. C’est aux candidats à la vie de faire leurs preuves et se frayer un chemin dans ce magnifique labyrinthe. Si « Meursault » n’a finalement pas été retenu, c’était à moi de faire un effort pour écrire le roman qui pourrait être récompensé. Alors non, je ne travaille pas sur cette idée de réparation. Je ne suis pas l’Algérie politique qui attend des réparations. Toute littérature est une belle aventure. Cette course aux prix, même si elle est stressante, est une belle aventure.

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Lundi, vous avez immédiatement publié sur X-Twitter, dans la voiture qui vous emmenait à Drouant pour le fameux déjeuner des gagnants, ce message accompagné d’une très belle photo de vos parents : « C’est votre rêve, payé par vos années de vie. À mon père décédé. A ma mère qui est encore en vie, mais qui ne se souvient plus de rien. Il n’existe pas de mots pour dire le vrai merci. »

Il faut réussir par respect pour les sacrifices de ses propres parents. Mes parents étaient pauvres dans la pauvre Algérie socialiste. Mon père, qui était policier, voulait que ses enfants soient scolarisés, garçons et filles. Et ma mère, qui ne sait ni lire ni écrire, a toujours cru que j’étais destiné à une belle vie. Elle m’a donné confiance en moi. C’est ce que j’appelle le syndrome de Romain Gary : quand on a une mère qui voit son destin sous un jour si splendide que la chose la moins polie est d’honorer cette vision. C’est ce que je dois à mes parents. J’ai aussi l’impression que dans la bibliographie d’un écrivain, il y a toujours le roman du père et le roman de la mère sous une forme ou une autre.

Votre roman « Houris », qui retranscrit le dialogue d’une mère avec l’enfant qu’elle porte, est-il le roman écrit pour votre mère ?

Je ne sais pas encore. Ce sont des choses que l’on découvre plus tard.

Donnez-vous une signification particulière à ce prix décerné à un roman interdit en Algérie et qui traite de ce que ce pays a tant de mal à évoquer, à savoir cette terrible décennie de guerre civile ?

Oui, j’aimerais que ce roman ait le sens de déclencher des réflexions et des paroles sur cette période. Nous en avons besoin en France, mais surtout en Algérie, pour des raisons évidentes, et dans le monde aussi. Alors je rêve du moment où la parole sera débridée. L’interdiction est inutile. Interdire ce livre ou interdire la parole, nous ne pourrons jamais le faire. Ce livre circule. Ce livre sera lu, aimé, détesté… Cette récompense est une forme de reconnaissance pour l’écrivain et pour l’écriture d’abord, mais surtout une forme de reconnaissance pour ces morts qui n’ont pas de corps, qui n’ont pas d’hommage, qui n’ont pas de monument. . Et ce prix redonne enfin du sens à tous les écrivains qui sont actuellement réduits au silence dans le monde arabe, face à cette terreur qui s’exerce sur eux. En fait, le problème, ce sont les écrivains du futur.

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« Houris » est aussi un grand livre sur les femmes et le sort qui leur arrive. Vous avez évoqué le cas d’Ahou Daryaei, cette jeune étudiante iranienne qui s’est déshabillée sur son campus après avoir été agressée par deux patrouilleurs de la police morale pour un voile prétendument mal ajusté. Lui dédiez-vous ce prix ?

Totalement. Eh bien, je n’ose même pas le faire, car que vaut un livre par rapport à son courage ? C’est elle qui change les choses, ce n’est pas moi. Mais cette image, je l’ai retweetée, je l’ai repostée. Elle est fascinante. C’est aussi humiliant. C’est blessant, c’est douloureux, c’est tragique. Et finalement, ça épuise. Cela épuise nos mots quelque part.

Que voudrait dire le petit garçon de Mostaganem à l’écrivain que nous honorons et célébrons aujourd’hui ?

Il peut sans aucun doute être heureux, car l’enfant a toujours rêvé d’être cosmonaute et il regarde avec joie et fierté l’adulte qui a réussi à construire une fusée. Alors, que peut dire l’enfant à l’écrivain ? « Écrivez des histoires. » J’essaie d’écrire des livres pour enfants en ce moment, parce que c’est un sujet gigantesque. J’ai très envie de me lancer dans des scénarios de bandes dessinées par exemple.

Quel sera le prochain livre ?

J’avais lu quelque part qu’Hemingway disait : « A quoi ça sert d’écrire un roman qui a déjà été raconté ? » » Alors je ne répondrai pas. D’un autre côté, je peux dire que j’ai envie d’écrire un essai bientôt.

Hier soir, chez Gallimard, les larmes aux yeux, vous avez dit : « Je pense au mien. » Ces « miens », qui sont-ils ?

Mon village algérien, mon quartier, ma tribu, les gens qui sont si proches de mon propre sang. Les grands succès ont cet étrange effet de nous replonger dans le souvenir. C’est paradoxal. Nous sommes dans le présent, mais en même temps, nous remontons très loin dans notre mémoire pour nous souvenir des détails du passé. C’est comme ça. Il y a quelque chose qui nous pousse à faire le point dans la joie quand elle est extrême.

Que pouvons-nous vous souhaiter pour l’avenir ?

Gagner à nouveau le Goncourt dans dix ans avec un livre écrit sous pseudonyme, à la manière d’Ajar/Gary !

> Kamel Daoud sera l’un des invités du Festival du Nouvel Obs qui aura lieu les 23 et 24 novembre à Paris.

Commentaires recueillis par Marie Lemonnier

 
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