Dans son film « Au travail ! », François Ruffin pose la question « peut-on réinsérer les riches ? », et y répond par un cas pratique : emmener Sarah Saldmann, avocate et chroniqueuse médiatique qui tue le « glandus, assistée et paresseuse », pour un petit voyage dans la « vraie vie » des classes populaires.
L’honneur des travailleurs est le thème central, presque exclusif, de la filmographie de François Ruffin. Le député de la Somme, qui collabore pour la troisième fois avec le réalisateur Gilles Perret pour Mettez-vous au travail !s’efforce une fois de plus de redonner leur dignité à « ceux qui ne sont rien » aux yeux de la bourgeoisie. Le fondateur de Fakir veut que la gauche « héroïser le travail » : il lui montre comment faire.
Passé maître dans l’art du renversement rhétorique, François Ruffin pose la question « peut-on réintégrer les riches ? » et y répond par un cas pratique : embarquer Sarah Saldmann, avocate et chroniqueuse médiatique qui critique « glandus, assisté et paresseux », pour une petite escapade hors de l’avenue Montaigne, dans la « vraie vie » des classes populaires.
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De la dégustation d’un croque-monsieur à 54 euros au Plaza-Athénée au conditionnement du poisson dans une usine de Boulogne-sur-Mer, le choc thermique est garanti. Sarah Saldmann, habituellement aidée, épargnée, choyée, découvre tout. Travail à la chaîne, solidarité ouvrière, réveil aux aurores, loisirs en commun, rendement, prix bas et salaires éthiques, usure des corps, courage prolétarien, découragement moral, fierté du travail, la boue des fermes, les odeurs qui collent à les vêtements, le poids des cartons, les sourires des petits vieux, le goût d’une pâtisserie bon marché.
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Malin, François Ruffin évite l’écueil de l’épître marxiste en ironisant sur le « réhabilitation » de son sujet, qui ne manque pas l’occasion de se moquer du député quand c’est à son tour de mettre la main à la pâte. Il faut reconnaître que la bonne volonté de Sarah Saldmann en la matière est pour beaucoup dans le succès des séquences « comiques » du documentaire.
Elle n’est ni effrontée, ni hautaine, plutôt attachante : elle s’intéresse, rit, s’émeut et ne veut pas qu’on le voie. Hélas, sous le gant en plastique de l’aide-soignante d’un jour, la coque du bracelet diamant est intacte, ou presque. Sarah Saldmann reste têtue, s’en sort toujours par une pirouette : ce n’est jamais de ces pauvres gens qu’elle parlait lorsqu’elle expliquait qu’il fallait que le Smic soit » bougent ».
Moitié Ken Loach, moitié Robin des Bois
Pas d’épiphanie, mais peu importe. La rédemption sociale de Sarah Saldmann n’est pas le sujet du film. Au fur et à mesure que la séquence avance, la caméra laisse l’avocat derrière elle. Comme nous le disions plus haut, François Ruffin l’a dit lui-même : le sujet, « ce sont les gens « . Ils sont là, à hauteur de regard, filmés sans surplomb, interviewés sans condescendance. Rien sur le safari, tout sur la célébration. Tous, partout en France, racontent un monde populaire, ses beautés et sa dureté, sa noblesse et sa misère.
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C’est cette mère à qui on demande depuis combien de temps elle fréquente le Secours populaire, et qui interpelle sa fille : « Quel âge as-tu? Douze ans ? Je viens depuis onze ans. » C’est cet échange entre l’avocate en immersion et son partenaire ponctuel : « – Est-ce que tu vas aller bien sans ta canne ? – Oui, j’ai mon balai. » C’est encore ce tour de fin de match de football à Flixecourt, et la joie universelle d’avoir « arraché » l’équipe adverse.
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Mettez-vous au travail ! peut être considéré comme une synthèse de Merci patron! et de Debout les femmes : au premier, il emprunte le truc, la farce carnavalesque, le plaisir de voir les petits gagner contre les grands. Non pas une vengeance, mais une vengeance, un juste retour des choses, comme dans Robin des Bois. De la seconde, il hérite de la tendresse, de la proximité, du véritable amour des « gens » et du désir authentique de les faire briller, comme chez Ken Loach. On ne sait pas ce qui va se passer ensuite dans son aventure politique, mais une chose sera toujours à l’honneur de François Ruffin : il rappelle au « peuple de gauche », s’ils l’avaient oublié, ce qu’est le peuple, et que quoi. est-ce que ça veut dire être de gauche ?