LETTRE DES BALKANS
Il est à peine 10 heures ce jeudi 31 octobre, mais après avoir servi le café, le jeune derviche à la tunique blanche demande inévitablement : “Tu ne veux pas aussi du raki?” ». Les bektachis de Tirana peuvent prétendre être islamiques, mais ils se conforment à la tradition très balkanique consistant à offrir aux invités cette eau-de-vie traditionnelle de prune ou de raisin.
Depuis que le Premier ministre albanais, Edi Rama, a annoncé, à la surprise générale, le 21 septembre dans le New York Times et à la tribune de l’ONU le lendemain, qu’il entendait donner le statut d’État souverain au siège mondial de ce mouvement soufi afin de le rendre « un centre de modération, de tolérance et de coexistence pacifique »les Albanais se demandent si leur chef du gouvernement, connu pour aimer faire parler de lui, est vraiment sérieux.
Perché sur les collines de Tirana, le siège mondial des Bektachis était jusqu’ici un lieu plutôt discret. Un grand temple transpercé de lumière, appelé « L’Odéon », est entouré de quelques hectares de verdure qui font du lieu un îlot de calme par rapport à l’agitation de la capitale albanaise. Le domaine est censé devenir un État indépendant avec tous ses attributs, c’est-à-dire un siège aux Nations Unies et un leader, en l’occurrence Baba Mondi, l’actuel chef spirituel des Bektachis.
« Mieux vaut exister globalement »
“Qui d’autre veux-tu que ce soit?” »lâche, levant les bras au ciel, cet homme rond de 65 ans, reçoit dans l’un de ses salons de réception décorés de grands tableaux mystiques et colorés. Edmond Brahimaj, de son vrai nom, porte un chapeau, arbore une barbe fournie et porte la tunique blanche et verte qui désigne le « arrière-grand-père »les guides spirituels de cette confrérie installée en Albanie dans les années 1920 après avoir été expulsée de Turquie par Mustafa Kemal Atatürk (1881-1938).
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Comme dans le sein de la grande majorité Mouvements soufis, il revendique son mysticisme et ses valeurs de « Pacifisme, tolérance et coexistence ». Les femmes ne peuvent certes pas faire partie du clergé mais ne portent pas le voile. La consommation d’alcool est tolérée. Et dans le petit musée aménagé sous la grande salle de prière, on aime montrer aux Français de passage la photographie de Baba Mondi et de tous les représentants religieux albanais réunis derrière leur premier ministre lors d’une visite à Paris pour rendre hommage aux victimes de l’attentat contre Charlie Hebdo, en 2015.
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